J'avais déjà parlé de cette réforme ici, quand elle était annoncée dans son principe. A présent que les détails commencent à être connus (plus de la moitié de la réforme a été révélée), il est temps de faire un retour dessus.
Premier constat : la montagne annoncée accouche d'une souris. On est très loin de l'objectif, il faut le dire irréaliste, d'un tribunal de grande instance par département et d'une cour d'appel par région.
En fait, cette réforme se résume essentiellement à la suppression massive de tribunaux d'instance (il y en a 476 à ce jour) et de commerce dans les régions rurales, et de quelques petits tribunaux de grande instance, choisis sur des critères assez obscurs. Les suppressions de cours d'appel annoncées (Bourges, qui a une faible activité, Metz, qui ne s'étend que sur un seul département et trois tribunaux de grande instance) n'ont pas eu lieu.
A Paris et en région parisienne, là, on sombre dans l'incompréhensible. Les magistrats comme les avocats souhaitaient un regroupement des 20 tribunaux d'instance en quatre pôles nord, sud est et ouest, tant le problème du transport ne se pose pas hors période de grève (et encore, il y a vélib). Il n'en sera rien. Quand on sait que trois tribunaux d'instance parisiens traitent moins de 500 dossiers par an (1er, 2e et 4e arrondissements), contre plus de 1000 pour la plupart des tribunaux de la région, comme celui de Vincennes, pourtant supprimé pour être regroupé avec Nogent Sur Marne (lui aussi à plus de 1000 dossiers par an). L'argument semble avoir été que Vincennes et Nogent Sur Marne sont à deux stations de RER, ce qui est exact, à ceci près que le tribunal est à 1,2 km de la gare de RER.
Mais Paris n'a pas à se plaindre, par rapport au ressort de la cour d'appel de Bourges, qui va passer de 12 à 4 tribunaux d'instance. La civilisation de l'automobile n'est pas près de disparaître.
La réforme voulait regrouper les tribunaux de grande instance en vue de l'apparition des pôles de l'instruction le 1er janvier 2010 (les instructions seront menés par trois juges d'instruction travaillant de conserve et devant délibérer à trois sur les décisions les plus importantes) ce qui menaçait tous les tribunaux ayant moins de trois juges d'instruction. On se dirigerait en fait vers la suppression d'une vingtaine sur 181. De ce point de vue, on est loin de l'ambition affichée au départ.
On notera au passage un virage à 180° par rapport au président précédent, qui ne jurait que par la proximité et avait même créé un "juge de proximité", qui ne méritera plus guère son nom quand les habitants de Chateau-Chinon devront faire 64 kilomètres pour faire juger leur contentieux de 250 euros à Nevers.
Enfin, et c'est ce qui suscite la grogne des avocats, c'est la concertation annoncée qui est une vaste farce. Un Comité Consultatif National a été créé et n'a jamais été consulté avant les premières annonces. Les avocats en ont donc claqué la porte il y a quinze jours.
Bref, le Garde des Sceaux a réussi le tour de force de prendre une réforme qui n'était pas contestée dans son principe, même si l'argument du vieillissement de la carte judiciaire est fallacieux, et en produisant pourtant un résultat inférieur à ce qui était annoncé de prime abord, à se fâcher avec à peu près tous les acteurs de la justice.
Pourquoi dis-je que l'argument du vieillissement de la carte judiciaire est fallacieux ? Parce qu'il consiste à dire : « cette carte date de 1958 et n'a pas été révisée depuis alors que la France a changé. Je vais donc moderniser tout ça, en laissant entendre que ceux qui ne seront pas d'accord sont des notables corporatistes qui voudraient vivre dans les années 50 ». D'une part, le projet de départ était d'aligner la carte des tribunaux de grande instance sur la carte des départements qui date de 1790. On se demande où est la modernisation. D'autre part, la carte a été modifiée, et parfois en profondeur, depuis 1958. Citons par exemple la création de la cour d'appel de Versailles en 1975, et des tribunaux de grande instance de Bobigny, Créteil et Nanterre à la même époque, tribunaux qui aujourd'hui sont parmi les plus gros de France. Enfin, la population de la France n'a pas diminué depuis 1958, pas plus que le nombre d'actions en justice, au contraire. L'évolution de la législation du travail, plus protectrice du salarié, et la libéralisation du divorce en 1975, ont considérablement augmenté la charge de travail des conseils de prud'hommes et des tribunaux de grande instance pour ne prendre que deux exemples. Une réforme cohérente aurait voulu que l'on déplaçât des juridictions isolées vers des nouveaux pôles urbains, et qu'on en augmente plutôt le nombre. Or c'est tout le contraire. On concentre et centralise. C'est aller à contresens de l'histoire.
Crédits : Martine Cover Generator