Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mercredi 12 septembre 2007

mercredi 12 septembre 2007

Etat des lieux

Le quartier disciplinaire d'une prison, c'est "le mitard" dans le jargon des prisonniers.

Dans le jargon de l'administration et des juristes, c'est un confinement en cellule disciplinaire, défini comme

le placement du détenu dans une cellule aménagée à cet effet et qu'il doit occuper seul. La sanction emporte pendant toute sa durée la privation d'achats en cantine prévue à l'article D. 251 (3º) ainsi que la privation des visites et de toutes les activités sous réserve des dispositions de l'article D. 251-1-2 relatifs aux mineurs de plus de seize ans. Toutefois, les détenus placés en cellule disciplinaire font une promenade d'une heure par jour dans une cour individuelle. La sanction n'emporte en outre aucune restriction à leur droit de correspondance écrite.

Cette sanction, la plus lourde que peut prendre l'administration pénitentiaire, est d'une durée maximale de 45 jours pour les fautes du premier degré (il y a trois degrés, le premier étant le plus grave, le deuxième intermédiaire et le troisième le moins grave).

Elle est prise par une formation disciplinaire, la commission de discipline, le "prétoire" en jargon des prisonniers. Elle est présidée par le directeur d'établissement ou son délégué, avec deux assesseurs qui sont des gardiens. Le dossier fait quelques pages, intitulées "rapport d'incident", écrit par un des gardiens qui est souvent la victime des faits reprochés. Le prisonnier est invité à exposer ses explications, son avocat s'il en a un est entendu, et la décision est rendue après un bref délibéré. L'audience a lieu à l'intérieur de la prison, c'est le seul cas où nous sommes admis dans la zone de détention pour les prisons où les parloirs des avocats sont à l'écart, soit les prisons les plus récentes (Fleury Mérogis, Nanterre...), les plus anciennes n'ayant pas anticipé la nécessité d'éloigner les regards indiscrets (La Santé, Fresnes).

C'est expéditif, c'est le moins qu'on puisse dire.

Et le saviez-vous ?

Jusqu'en 1995, ces décisions étaient qualifiées par le juge administratif de "mesures d'ordre intérieur" non susceptibles de recours devant le juge de la légalité. Qui faut-il applaudir, Edouard Balladur ou Alain Juppé ? Aucun des deux, c'est le Conseil d'Etat, par deux arrêts, Hardouin et Marie (17 février 1995) qui a mis fin à ce scandaleux état de fait. Certes, le recours est porté devant la juridiction administrative, qui jugera en deux ans, soit bien après que les 45 jours auront été purgés, mais le référé administratif permet d'obtenir rapidement la suspension d'une mesure dont la légalité serait douteuse.

J'ai mieux.

Jusqu'en 2000, le détenu n'avait pas droit à l'assistance d'un avocat. Les prétoires étaient alors des moments de grande tension, les détenus, livrés à eux même, souvent intellectuellement limités, ayant le sentiment de n'avoir pas voix au chapitre, ce qui n'était pas absolument faux, d'après le récit d'une consoeur ayant effectué un stage à Fleury lors de sa formation d'élève avocat. Faut-il applaudir Lionel Jospin de ce progrès des droits de la défense ? Ce serait injustifié. Ce progrès est un accident législatif. Le gouvernement Jospin a fait voter une loi n°2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations. Cette loi prévoyait dans son article 24, toujours en vigueur, que toute personne faisant l'objet d'une décision individuelle qu'elle n'a pas sollicité et qui a le caractère d'une sanction, peut se faire assister d'un avocat. Les débats parlementaires montrent que le législateur n'avait à l'esprit que les commissions de discipline des fonctionnaires. Mais la loi ne distinguant pas, les avocats ont exigé son application aux "prétoires" des prisons. Le gouvernement a dans un premier temps estimé que non, ce texte ne s'appliquait pas aux prétoires, parce que ce n'était pas ce que le législateur avait à l'esprit. Certes, mais c'est ce qu'il a écrit. Il faudra un avis du Conseil d'Etat le 3 octobre 2000 pour le gouvernement se rende à l'évidence et réalise sa terrible erreur: sans avoir fait exprès, il avait fait progresser les libertés.

France, pays des droits de l'homme... On nous rebat tellement les oreilles avec cette formule qu'on n'en oublie de se demander si la réalité y correspond.

Et une cellule disciplinaire, concrètement, c'est quoi ?

Grâce à Rue 89, qui fait état d'une expertise judiciaire ordonnée par le tribunal administratif de Versailles, nous apprenons des détails qui donnent la nausée. Chaque cellule mesure en moyenne 8,21m² chez les hommes et 7,59m² chez les femmes (ben quoi, elles sont plus petites que les hommes, non ?), lit et toilettes comprises. La surface de déambulation, c'est à dire là où le prisonnier peut se tenir debout et marcher fait en moyenne 4,15m², c'est à dire inférieure aux normes réglementaires pour les chenils (5 m², arrêté du 25 octobre 1982). La luminosité y est de 7 à 30 lux. Pour lire, la norme est de 300. Notons que le code de procédure pénale précise que les prisonniers au mitard conservent le droit de recevoir et d'écrire des lettres. Manifestement, cela n'inclut pas celui de les lire. Les prisonniers sont confinés dans ces cellules 23 heures par jour. Ils ont droit à une promenade d'une heure, dans des cours spéciales où ils sont seuls, de 20 à 30m², ces cours étant en réalité des pièces couvertes par des barreaux grillagés, qui sont inondées les jours de pluie rendant la promenade impossible (vous vous souvenez du temps de ce mois d'août ?). Le prisonnier n'ayant pas le droit de "cantiner" c'est à dire de se procurer des produits en les payant auprès de l'administration pénitentiaire, ils n'ont même pas de cigarettes.

Et pour ceux qui espéraient qu'au moins, ce sont des endroits propres et confortables, voyez les photos réalisées par l'expert. Pour ceux qui ont des doutes, le filet d'eau de la 6e photo, qui sort du mur vers les toilettes, oui, c'est la douche.

Un particulier qui logerait quelqu'un dans ces conditions encourrait cinq années d'emprisonnement (les peines initiales de deux ans ont été portées à cinq par la loi sur la sécurité intérieure du précédent ministre de l'intérieur...). Mais l'Etat est pénalement irresponsable, alors il peut se permettre.

C'est en France. C'est au XXIe siècle.

Et pour ceux qui ont un coeur désespérément sec, et qui estiment qu'il n'y a pas à pleurer sur le sort de délinquants et criminels qui ne savent pas bien se tenir en prison, une petite suggestion. Prenons un de ces mauvais garçons, au comportement violent. Enfermez le 45 jours dans un tel cul de basse fosse. Imaginez vous 23 heures d'affilée avec 4,15m² pour marcher, dans des conditions où si vous mettiez un chien, vous seriez vous même un délinquant ; ce pendant 45 jours.

Et pensez au jour où ce type va sortir de prison, peine purgée. Vous croyez qu'il sera calmé, assagi, devenu citoyen modèle, ayant mûri par cette expérience ? Le jour où vous le croiserez, j'espère que tel sera le cas.

Dans le doute, puisque vous n'avez pas pitié des autres, ayez pitié de vous.

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