Ca fait longtemps que je n'ai pas tapé sur Le Monde, ça commençait à me manquer. Alors allons-y.
Eric Fottorino, nouveau directeur de la rédaction, dans son éditorial du 12 juillet, Indépendance :
Le doute qui surgit déjà de journaux réputés sous influence crée un mal pire encore : de pseudos médias alimentés par de pseudo-journalistes, qui se soustraient aux règles élémentaires du métier : vérifier, recouper, s'extraire des apparences, hiérarchiser les faits sans les déformer ni les monter indûment en épingle. Ainsi prospèrent des titres ou sites Internet prétendant, en mauvais alchimistes, changer la rumeur en information, au nom d'un journalisme dit citoyen ou participatif. Le thème lancinant du "On vous cache le plus important", déclinaison ad nauseam de la théorie du complot, abrite çà et là des entreprises de désinformation qui se parent des habits de la vertu. Il y aurait la presse entravée par ses liens économiques et politiques. Et des médias libres de véhiculer impunément n'importe quoi.
D'un côté, les pseudos médias, journaux gratuits et internet, de l'autre, Le Monde, qui vérifie, recoupe, s'extrait des apparences, hiérarchise les faits sans les déformer ni les monter indûment en épingle.
Après la théorie, la pratique. Le même journal, dans son Editorial, non signé car représentant les rédacteurs dans leur ensemble, du 14 juillet, Les limites de Vélib' (je graisse) :
Les freins au développement du vélo sont pourtant nombreux. Le premier problème est celui de la sécurité. Un cycliste, surtout sans casque, est très vulnérable. En jetant sur le pavé des vagues de néophytes, les risques sont multipliés, surtout si les usagers de Vélib' adoptent le comportement proprement suicidaire de certains cyclistes réguliers. Le spectacle de la rue offre un catalogue inépuisable de conduites à risque, que la police devrait désormais considérer sans indulgence.
Ha, voilà une grave affirmation. Question : combien de cyclistes meurent ou sont blessés chaque année à Paris, suicidaires et contents d'être en vie confondus ?
Pour 2005 : 423 blessés légers, 32 blessés graves et 3 tués. Contre 1944 piétons blessés, 23 tués. 1863 automobilistes blessés, 10 tués. 4310 motards blessés dont 18 tués. Les motards représentent 3% des trajets et 50% des blessés. Pourtant, ils ont un casque. Si j'étais journaliste au Monde, j'en déduirais que les motards doivent tous être suicidaires. Comme je ne le suis pas, je me contenterai de constater que les motards et les piétons sont les plus exposés au danger.
Sur le port du casque à vélo, en tant que cycliste, je le recommande bien sûr chaudement, mais le nombre de blessures au crâne est rare à vélo. Depuis plus de trois ans que je pratique le vélo au quotidien dans Paris, je n'ai jamais chu. Aucune étude n'a jamais démontré que le port du casque avait un effet significatif sur la gravité des blessures à vélo, les chutes sur la tête étant rares, parmi des accidents qui sont déjà rares en eux même (et si vous vous faites faucher par une voiture à pleine vitesse, ou passez sous les roues d'un camion, votre casque ne vous sera d'aucune utilité). Simplement, un casque a une petite chance de vous éviter qu'un accident ne soit plus grave, et n'a aucune chance d'aggraver votre accident. Bref, c'est un pari que vous ne pouvez pas perdre.
Sans compter que le vélo est un moyen de transport saisonnier plus adapté à la période estivale qu'aux autres saisons. Le danger et l'inconfort sont accrus par une voirie parisienne peu accueillante. Contraindre les cyclistes à emprunter des couloirs "protégés" où ils côtoient bus, taxis et deux-roues motorisés en infraction est une solution inadaptée et dangereuse.
J'en déduis donc que le vélo doit être un moyen de transport plus répandu en Espagne que dans des pays encore plus glaciaux et pluvieux comme la Hollande ou le Danemark. Ce doit être une information vérifiée, recoupée, extraite des apparences, issue de faits hiérarchisés sans les déformer ni les monter indûment en épingle. Il suffit d'aller visiter Amsterdam ou Copenhague pour voir ce qu'il en est : le Danemark est un pays où 5 millions d'habitants se partagent 15 millions de bicyclettes.
Le vélo est un moyen de transport de toutes saisons. Comme la marche à pied. Il faut savoir s'habiller pour faire du vélo. Le cycliste débutant s'habille toujours trop. En été, tombez la veste, desserrez la cravate, relevez les manches. En hiver, ajoutez un coupe vent à votre tenue habituelle, mettez des gants et un bonnet s'il fait très froid, et le tour est joué. La pluie est plus embêtante, mais si Le Monde n'est pas au courant qu'il existe des étés pluvieux, je l'invite à dépêcher un envoyé spécial à la fenêtre. Et pour ceux qui craignent d'arriver en sueur, sauf si vous allez travailler en haut de la rue Lepic, si vous êtes en nage, c'est pour deux raisons : vous vous couvrez trop, et vous ne jouez pas assez des vitesses (ou vous êtes en retard et êtes obligés de foncer, mais là, c'est pas la faute du vélo). Et je vous garantis que quand il fait 30 °c à Paris, vous serez plus frais en arrivant à vélo qu'en prenant le métro, surtout à l'heure de pointe.
Quant aux couloirs de bus peu accueillants, permettez moi, à l'instar d'une très estimable consoeur, de les préférer mille fois aux voies dites "sécurisées", qui sont les seuls endroits où je frôle l'accident. Je suis plus à l'aide quand je m'élance pour traverser la place de la Bastille ou celle de la Concorde que pour descendre la rue de Rivoli, et ses arcades cache-piéton, sans parler de l'abominable Boulevard de Magenta, et ses portières guillotines.
Bref, un éditorial qui collectionne les idées reçues sur le vélo. Merci pour la leçon aux pseudos médias. Il n'y a plus qu'à l'appliquer.