Le président de la république a annoncé la rupture d'une tradition remontant à François Mitterrand (Elles étaient systématiques depuis 1991) : l'octroi de grâces collectives le 14 juillet de chaque année.
Ces grâces s'appuyaient sur l'article 17 de la Constitution, qui prévoit que le président de la République dispose du droit de grâce. Rappelons que la grâce s'entend d'une dispense totale ou partielle d'avoir à exécuter une peine, ou de la commutation d'une peine en une autre : elle ne fait pas disparaître la condamnation, qui reste inscrite au casier judiciaire et fonde une éventuelle récidive (ce qui la distingue de l'amnistie, qui ne peut résulter que d'une loi votée par le parlement).
C'est un droit discrétionnaire. Il n'a pas à être motivé, pas plus que le refus d'en faire usage, et ne peut faire l'objet d'un recours. Il a un côté archaïque, puisqu'il nous vient de l'ancien régime, quand le roi était fontaine de justice : c'était lui seul qui avait le pouvoir de rendre la justice, et les juges n'agissaient que sur sa délégation, délégation qu'il pouvait reprendre à tout moment pour statuer lui-même.
Nicolas Sarkozy n'a pas renoncé au droit de grâce en lui-même, et c'est heureux. Le droit de grâce peut jouer un rôle d'apaisement, voire de réparation urgente d'une erreur judiciaire avérée. Mais il faut reconnaître ce qui est : depuis l'abolition de la peine de mort, le droit de grâce a perdu l'essentiel de son intérêt. François Mitterrand avait donc inauguré cette tradition des grâces collectives, car on sait combien il était attaché à l'aspect monarchique de sa fonction.
Exeunt donc les grâces du 14 juillet. Est-ce une bonne ou une mauvaise chose ?
D'un point de vue strictement personnel, je les regrette. J'ai quelques clients qui auraient pu en profiter, et un mois de détention en moins, c'est toujours ça de pris.
D'un point de vue plus général, je dois bien dire que non. Ces grâces avaient certes pour effet de diminuer grandement la population carcérale, mais cet effet était très limité dans le temps, et surtout, c'est une solution-rustine à un problème bien plus grand : l'insuffisance du parc carcéral. Problème qui risque de s'aggraver sérieusement avec le vote prochain de la loi sur les peines plancher.
Mais autant un retour à la liberté aménagé, suivi par un juge d'application des peines, précédé de permissions de sortie permettant la recherche d'un logement et d'un emploi, qui aboutissait à une période de liberté conditionnelle avant la liberté pure et simple de la fin de peine, a d'excellents résultats en terme de récidive, autant un retour non préparé à la liberté peut être désastreux. Un voleur qui volait parce qu'il n'avait pas d'emploi se retrouvant brutalement dehors, toujours sans emploi, sans logement et sans argent, a de grandes chances de se "débrouiller" en faisant la seule chose qu'il sache faire et qui rapporte tout de suite. Les comparutions immédiates de juillet et août voyaient passer nombre de ces récents libérés qui avaient gâché cette opportunité.
Car si une incarcération est une expérience violente, un retour à la liberté peut l'être aussi, même pour un primo-délinquant. En prison, le temps passe lentement, on est oisif, mais aussi déresponsabilisé. Dormir, manger ne sont pas des soucis (si on arrive à dormir avec des cris qui résonnent et qu'on aime la soupe froide). Quand sa vie se résume pendant des mois à 9m², deux heures de promenade, et quelques ateliers quand les gardiens n'oublient pas de venir vous chercher, se retrouver à la rue, ou pour les plus chanceux revenir chez soi, pouvoir sortir à tout moment, ou tout simplement pouvoir ouvrir soi même une porte, cela peut donner un vertige, une ivresse mais pas forcément euphorique. Il y a une phase dépressive post-libération pour ceux qui n'ont pas la chance d'avoir une famille et un travail qui les attend. La République ne se rend pas compte de tout ce qu'elle doit aux enfants de détenus et aux employeurs qui acceptent d'embaucher d'anciens taulards. Il y a des médailles qui se perdent.
Et plus la peine a été longue, plus le choc est rude. Dehors, beaucoup de choses ont changé, même en quelques mois. A tel point que beaucoup de prisonniers demandent à bénéficier du droit à reporter leur sortie au lendemain matin pour éviter le souci de la première nuit dehors, alors qu'on pourrait croire qu'ils n'ont pas envie de passer une minute de plus en prison.
Donc ces grâces collectives créaient un risque accru de récidive, ce qui aurait été paradoxal pour un gouvernement qui est en train de faire voter des peines plancher pour lutter contre la récidive (quand bien même l'effet à en attendre est quasi-nul).
Je ne les regretterai donc pas, ces grâces. Mes clients, un peu plus, sans doute. Mais leur disparition rend encore plus prégnante l'obligation pour l'Etat de se doter de places de prison en nombre suffisant, et de développer les alternatives à l'incarcération.
Et las, de ce point de vue, rien à l'horizon.