Chose promise, chose due. Le délibéré de mon code bleu est tombé aujourd'hui, et ce n'est pas bon pour mon client.
Pas le temps de me lamenter sur mon sort, il faut réconforter son épouse en larmes, lui donner la force d'expliquer à ses enfants, l'aider à faire face aux conséquences désastreuses de cette décision pour cette famille (ils vont devoir quitter leur logement), calculer la date de sortie de prison, préparer la demande de liberté conditionnelle, gérer le licenciement à venir, l'indemnisation (considérable) de la victime.
Ce soir, je vais pouvoir enfin m'en prendre à moi même, qui n'ai pas été fichu de faire comprendre aux juges le désastre qu'une telle décision entraînerait (et pourtant, ils m'ont écouté, ou ont très bien fait semblant), qui, après avoir réussi pendant deux ans à empêcher ce dossier de basculer dans le malheur, ai été impuissant lors qu'il a chu dans l'abîme. Et jusqu'à ce que ce client sorte de prison, j'aurai ce poids sur l'estomac, ce voile sur le ciel qui assombrit le jour, raccourcit les nuits et gâche un peu les moments de joie. Il n'y a que le rire de ma fille qui échappe à cette emprise, heureusement.
Ha, zut. Je n'ai jamais été bon perdant.
Vous, les étudiants en droit qui rêvez au barreau et d'y faire du pénal : il y a des moments comme ça ; sachez-le, préparez-vous, ou faites autre chose si vous n'avez pas les épaules solides.
Je risque d'avoir un passage à vide ces prochains jours, pardonnez mon silence. « Quand Eolas blessé, Eolas se cacher dans caverne pour lécher plaies », dit un proverbe sioux.
NB : Après relecture, une précision : mon client était coupable, ça n'était même pas discuté. Les juges ont statué conformément à la loi, je leur donne quitus, ils sont irréprochables. Mais il y a malgré tout des peines que je n'arrive pas à comprendre. D'où : caverne.