Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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mardi 26 juin 2007

mardi 26 juin 2007

Essayons de comprendre

J'ai été surpris de voir au zapping d'une célèbre chaîne cryptée un de mes confrères marseillais, ayant pourtant un certain passif au pénal, exposer face aux caméras de télévision son impuissance à expliquer à ses clients la décision du juge des libertés et de la détention de Marseille de placer sous contrôle judiciaire le policier qui conduisait le véhicule qui a tué un garçon de 14 ans qui traversait sur un passage piéton. Il est vrai qu'il n'était pas présent lors du débat contradictoire qui se tient à huis clos, hors la présence de l'avocat des parties civiles.

Ayant un peu moins d'années de métier que lui, et étant d'une confraternité qui a fait ma réputation jusqu'au tribunal d'instance de Gonesse, je me propose de le lui expliquer, et en même temps à vous, chers lecteurs, avant que des mauvais esprits ne vous soufflent que seule la profession du mis en examen explique une telle décision. Elle a joué, sans nul doute, mais elle seule n'explique pas tout.

A titre préalable, je vous propose une piqûre de rappel : j'avais proposé fut un temps un petit jeu de rôle vous permettant de vous glisser dans la peau d'un juge des libertés et de la détention (JLD), et la solution réelle donnée à ces cas se trouve ici. Ces billets vous apprendront tout ce que vous avez à savoir sur une audience de JLD.

Maintenant, essayons de nous mettre à la place de ce juge.

L'affaire est grave : un adolescent de 14 ans est mort. Le procureur de la république a ouvert une information judiciaire, confiée au cabinet de votre collègue le juge Machin, qui vient de mettre le policier en examen. C'est d'ailleurs le juge Machin qui vous demande d'envisager le placement en détention du policier, car il estime, comme le procureur qui a pris des réquisitions en ce sens, que le contrôle judiciaire est insuffisant. D'ailleurs, le parquet est présent dans votre bureau pour vous le rappeler et vous demander le placement sous mandat de dépôt.

Le JLD a lu le dossier ; pas nous. Nous en savons ce que la presse a pu révéler : le véhicule roulait fort vite, largement au dessus de la vitesse autorisée en ville. Il se rendait sur un lieu d'intervention, mais l'enquête de police a révélé que cette intervention ne revêtait aucune forme d'urgence qui pouvait justifier que le véhicule s'affranchisse des règles normales de conduite. La victime traversait sur un passage piéton. Le feu gardant le passage était-il rouge ou vert ? Les témoignages divergent sur ce point. Le conducteur a-t-il fait usage de sa sirène pour signaler son arrivée ? Là aussi, les témoignages divergent.

Le JLD a devant lui le mis en examen, il peut l'interroger, il l'entend parler des faits ; pas nous. Nous ne pouvons donc nous reposer là dessus. Tout ce que nous savons est qu'il a 22 ans, est policier stagiaire, c'est à dire en fin de phase de formation. On peut aisément en déduire qu'il n'a aucun casier ni même de signalement négatif au STIC.

Rappelons ici la règle :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si elle constitue l'unique moyen :
1º De conserver les preuves ou les indices matériels ou d'empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes et leur famille, soit une concertation frauduleuse entre personnes mises en examen et complices ;
2º De protéger la personne mise en examen, de garantir son maintien à la disposition de la justice, de mettre fin à l'infraction ou de prévenir son renouvellement ;
3º De mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé.

« L'unique moyen » : s'il y a un autre moyen, il ne faut pas décerner mandat de dépôt.

Alors, voyons. Peut-on craindre que ce jeune homme aille maquiller les preuves ? Non, les constatations ont déjà été faites sur place, cette affaire étant considérée comme prioritaire. Qu'il fasse pression sur les témoins ? Un policier stagiaire de 22 ans ? Alors que les témoins ont déjà été entendus pendant la garde à vue ? Ca peut paraître douteux, non ?

Pression sur la victime, sans commentaire, hélas. Concertation frauduleuse avec ses complices ? Il était seul au volant, il est seul responsable.

Protéger la personne mise en examen ? Quelle que soit la douleur de la famille de la victime, ce serait lui faire injure que de soupçonner qu'elle pourrait exercer des représailles. Tout indique que c'est une famille sans histoire et honnête.

Garantir son maintien à disposition de la justice ? Peut-on sérieusement redouter que ce jeune homme prenne la fuite à l'étranger pour échapper aux conséquences de son acte ? Mettre fin à l'infraction ? Trop tard, hélas. Prévenir son renouvellement ? Là encore, qui peut croire qu'il va recommencer à conduire imprudemment en ville après ce qui s'est passé ?

Reste le dernier argument, et je parie que c'est autour de celui-ci que le débat a été le plus animé : mettre fin à un trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Là, on est en plein dedans. Il y a un trouble à l'ordre public, car il y a eu mort d'homme, à cause de l'imprudence d'un policier, dépositaire de l'autorité publique ; ce fait divers a attiré l'attention des médias nationaux, et l'émotion publique est forte. Il est même possible que la décision de requérir un mandat de dépôt vienne du chef du parquet en personne, j'ai nommé Madame Rachida Dati, Garde des Sceaux. La détention provisoire est-elle le seul moyen de mettre fin à ce trouble ? Oui ! a dû s'exclamer le procureur, pensant aux caméras et micros qui l'attendent et à la famille de la victime. Non ! a dû clamer l'avocat de la défense : outre les obligations pouvant assortir le contrôle judiciaire, il y a en plus les mesures administratives qui ont été prises : le policier est mis à pied, et se verra probablement interdire l'accès aux fonctions de policier. Il ne ressortira pas comme si de rien n'était reprendre le volant d'une voiture de police. Le trouble public aura donc pris fin, conclura l'avocat de la défense.

Vous voyez, il n'y a pas de solution évidente. Le mandat de dépôt ou le contrôle judiciaire étaient deux solutions envisageables. Que la liberté l'emporte dans ce cas est tout à fait normal.

Mais surtout, il y a un ultime argument, qui a dû je pense être soulevé par l'avocat de la défense et qui était de nature à faire basculer définitivement l'esprit du juge en faveur de la liberté.

C'est qu'une loi du 5 mars 2007, tendant à renforcer l'équilibre de la procédure pénale, entre en vigueur le 1er juillet, c'est à dire dimanche prochain, qui modifie ce fameux 3° de l'article 144 du code de procédure pénale. Dimanche à zéro heure, ce texte deviendra le suivant :

La détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de (...) Mettre fin au trouble exceptionnel et persistant à l'ordre public provoqué par la gravité de l'infraction, les circonstances de sa commission ou l'importance du préjudice qu'elle a causé. Ce trouble ne peut résulter du seul retentissement médiatique de l'affaire. Toutefois, le présent alinéa n'est pas applicable en matière correctionnelle.

A partir de dimanche, la loi ne permet plus de placer quelqu'un en détention provisoire à cause du trouble à l'ordre public, cet argument n'étant valable qu'en matière criminelle. Bref, si le JLD avait placé sous mandat de dépôt en raison du trouble à l'ordre public, qui est le seul motif qui pourrait être valablement retenu, la chambre de l'instruction saisie par la voie de l'appel n'aurait pas eu d'autre choix que de remettre ce policier en liberté, à cause de la disparition du fondement légal de l'emprisonnement.

Qu'un juge rechigne à prendre une décision privant un homme de sa liberté, décision qui six jours plus tard sera devenue illégale, est-ce vraiment incompréhensible ? Fallait-il emprisonner quand même ce jeune homme, en se disant "tant pis, légalement, c'est border line mais ça soulagera peut être la famille de la victime ?"

Il est loisible à chaque citoyen de commenter voire critiquer une décision de justice. Personne n'est obligé d'approuver le JLD de Marseille. Mais reconnaissons lui quand même à l'unanimité qu'il a très probablement bel et bien statué en droit, et n'a pas été aveuglé par la profession de l'auteur des faits.

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