C'est terminé. Le peuple s'est exprimé et Nicolas Sarkozy sera le prochain président de la République. Plus rien ne permet de revenir là-dessus, et il n'y a aucune raison. Cette élection, contrairement à la précédente, a été irréprochable dans son déroulement, et tant la participation massive que l'écart considérable donne au vainqueur une légitimité incontestable.
Maintenant que les braises des passions s'éteignent, il est temps de jeter un regard apaisé sur cette campagne.
Le premier bilan que j'en tire est bien sûr l'effondrement des extrêmes. Naturellement, il y a encore du chemin à faire pour que le Front national redevienne un micro-parti, mais hormis quelques soubresauts, je crois que c'en est fini de ce phénomène politique. D'une part, la chute des voix lepénistes n'est pas due à l'abstention : en nombre de voix, c'est près d'un million de suffrage qu'a perdu Jean-Marie Le Pen. Et il semblerait que seuls 3% des électeurs de Le Pen aient respecté la consigne de s'abstenir au second tour[1]. Jean-Marie Le Pen ne tient plus ses électeurs. Son apparition hier soir, où il n'a même pas pris la peine de se lever, et ses propos très acides sonnaient comme un requiem. L'extrême gauche au total ne fait guère mieux que le FN, et c'est la fin d'une supercherie : ceux qui revendiquaient au nom de l'anti-libéralisme une légitimité populaire issue du referendum de 2005 se sont tous présentés à l'élection, ce qui a permis de compter leurs voix et de voir ce qu'ils représentent vraiment. José Bové, pour qui vous savez mon affection toute particulière, a même fait au premier tour, dans sa commune, Pierrefiche (Aveyron) le score de... deux voix.
Au delà de ces satisfactions personnelles, la démocratie se porte mieux en France, et sa guérison a été extraordinairement rapide. Le manque de renouvellement du personnel politique semblait être la cause de cette langueur : songez que c'est la première fois depuis 26 ans qu'il n'y a avait pas un bulletin au nom de Jacques Chirac lors d'une élection présidentielle.
Pour le PS, le mot d'ordre va être Vae victis : malheur au vaincu. Hier soir, les caciques du PS appelaient à la rénovation et au changement. Fort bien, mais après cinq années d'opposition, n'était-ce déjà pas à eux d'opérer une rénovation pour proposer le changement ? François Hollande devrait être la première victime de cette élection. Devrait au sens de devoir, pas au sens de prédiction. Il soutenait Delors en 1995, Jospin en 2002, Royal en 2007, il serait peut être temps de passer la main. Ce d'autant qu'il a sans doute une responsabilité personnelle dans cette défaite. De manière générale, en empêchant tout aggiornaméntto au sein du PS, avec son obsession de la synthèse au nom de l'unité, il a fait du PS une structure trop étirée entre le centre (tendances DSK et Bockel) et la gauche (tendance Emmanuelli et depuis peu Fabius) et donc fragile, tel point que Ségolène Royal a ostensiblement refusé de s'appuyer dessus pour sa campagne. D'une manière particulière, par ses déclarations à l'emporte-pièce, comme la fameuse déclaration sur les augmentations d'impôt pour les plus de 4000 euros par mois de revenus en janvier 2007, qui a fait perdre 5 points à Ségolène Royal, la faisant franchir la barre des 30%, barre qu'elle ne retrouvera jamais.
L'électorat a envoyé un message clair lors de cette élection : chute des extrêmes, score élevé du centre, le tout avec une participation historique. La France veut un gouvernement modéré. Le PS refuse de tourner le dos à l'extrême gauche, qui continue à exercer un ministère moral sur lui en refusant de participer au pouvoir (Olivier Besancenot a d'emblée décliné tout poste ministériel en cas de victoire de Ségolène Royal malgré ses 4%). Ségolène Royal lui a pourtant rendu hommage en approuvant son slogan "Nos vies valent plus que leurs profits", juste avant d'aller à la pêche à l'électorat centriste. Voilà le genre de contradictions dont le PS doit faire table rase, car rien n'effarouche plus un centriste qu'un trotskyste (et réciproquement).
Enfin, tous les candidats d'extrême gauche (plus les verts, qui n'en font pas partie à mon sens) se sont ralliés immédiatement et inconditionnellement à Ségolène Royal, même Arlette Laguiller qui avait refusé d'appeler à voter contre Le Pen en 2002. Et pourtant, le PS a largement perdu. Si avec tout ça le PS ne comprend pas que l'extrême gauche est plus un boulet qu'un allié, il se condamne à une longue cure d'opposition.
La pratique de la démocratie interne au sein du PS se révèle décidément problématique. Ca fait très bien de laisser les adhérents décider mais quand on voit que les adhérents avaient voté pour le soutien au TCE en 2005 avant de tourner casaque, et ont désigné Ségolène Royal non par adhésion (sauf Hugues, bien sûr) pour son projet mais parce que les sondages lui prédisaient la victoire, la méthode parait peu productive : tout au plus permet-elle au premier secrétaire de plaider l'irresponsabilité et le respect du vote des adhérents.
Et du côté de l'UMP ? C'est, enfin, la fin de l'ère Chirac. Qui a fait, avec Mitterrand, tant de mal à la 5e république. Si je devais conserver deux souvenirs de ces mandats pour en symboliser l'inefficacité brouillonne, ce serait la dissolution de 1997, et, moins spectaculaire mais pourtant si représentatifs, la lamentable conclusion de l'affaire du CPE, avec un premier ministre qui engage la responsabilité de son gouvernement sur un texte qu'il demande ensuite au président de promulguer sans le faire appliquer le temps que le texte soit modifié. Les mécanismes institutionnels dévoyés afin d'assurer l'irresponsabilité politique des proches du chef de l'Etat. Bref : bon débarras.
L'UMP a réussi un exploit : afficher ses divisions, tant la lutte chiraquiens-sarkozistes a été visible, permettre à un autre courant que le courant majoritaire de prendre le pouvoir au sein du parti jusqu'à s'imposer à la présidentielle contre le patriarche, poussé à la retraite. La page de la droite la plus bête du monde semble tournée. Et l'UMP, héritier du RPR, parti godillot par excellence, semble plus démocratique que le PS qui a beau faire voter ses adhérents pour ses grandes orientations mais n'en garde pas moins ses éléphants (Laurent Fabius affichait dès hier ses ambitions : rappelons qu'il était ministre du premier gouvernement Mitterrand, premier ministre il y a vingt deux ans et président de l'assemblée nationale il y a dix neuf ans et à nouveau il y a dix ans, avant de succéder à DSK, autre éléphant, à Bercy).
A présent, c'est la bataille des législatives qui commence. Le PS part perdant, tant il est improbable que les Français votent une cohabitation après avoir plébiscité Sarkozy. Est-ce Ségolène Royal qui va mener la bataille, au risque de devenir le Général aux deux défaites (la seconde s'annonçant cuisante) ? Quel va être le rôle de François Bayrou, et de son Mouvement Démocrate ?
Les mois à venir s'annoncent passionnants tout en étant moins passionnés, et saignants rue de Solférino.
Un dernier mot aux électeurs déçus qui redoutaient l'élection de Nicolas Sarkozy.
Nicolas Sarkozy n'est pas le fasciste ultralibéral qu'on vous a vendu (exemple ici, en image), tout comme Ségolène Royal n'était pas la cruche incompétente dont on a dressé le portrait aux électeurs de droite. Tout comme Mitterrand en 1981 n'était pas vendu au bloc soviétique, et que Chirac n'est pas promis aux geôles de la République dans les semaines à venir. La personnalisation très forte des élections présidentielles pousse à générer des sentiments personnels violents à l'égard des candidats. Ce sera encore le cas en 2007. La victoire a parfois ce prix, mais il est élevé pour les désappointés. Il va nous falloir vivre ensemble pendant cinq ans. Les heureux comme les malheureux, les sereins comme les inquiets.
Le choix du second tour ne s'est pas opéré entre le mauvais et le pire. Les trois meilleurs candidats étaient bien ceux arrivés en tête. Je continuerai pour ma part à me moquer des bourdes du législateur, à m'indigner des pratiques douteuses de l'administration, et à vous raconter comment ça se passe sur le front judiciaire. Et je ne désespère pas d'avoir quelques coups de chapeaux à donner à nos futurs dirigeants. Dans tous les cas, vos avis m'intéresseront.
Et puis vous n'aurez qu'à m'élire en 2012, comme ça,tout le monde sera content.
Notes
[1] Source : Jean-Marc LECHE (désolé pour la faute d'orthographe sur son nom), directeur d'IPSOS, interviewé sur Canal + ce matin.