Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 30 mars 2007

vendredi 30 mars 2007

Un point sur les comparutions immédiates

Je profite du fait que la 23e chambre du tribunal de Paris, qui juge les comparutions immédiates, soit devenue hier la chambre star pour expliquer un peu comment ça marche et ce qui s'est passé.

Les comparutions immédiates sont ce qu'on appelait autrefois les flagrants délits, et font partie de ce qu'on appelle le traitement en temps réel (TTR en jargon).

Quand une personne est interpelée pour des faits venant d'être commis, voire commis sous les yeux des policiers, la personne est d'abord placée en garde à vue pour que la police puisse réunir les preuves de l'infraction. Dans bien des cas, en quelques heures, toutes les preuves sont réunies, les témoins et la victime entendus, et les faits sont même souvent reconnus par le gardé à vue. La garde à vue dure 24 heures maximum, et peut être renouvelée une fois avec l'autorisation écrite du parquet.

Le parquet est tenu informé de l'état de la procédure, dès le placement en garde à vue, puis dès que les policiers ont besoin d'instructions ("On a entendu tout le monde, voilà ce qu'on a, on fait quoi ?"). C'est un procureur de permanence (il y en a au moins un joignable 24h/24 dans chaque tribunal de France ; l'invention du portable a changé leur vie) qui décide des suites.

La suite peut être :

- La remise en liberté du gardé à vue et le classement sans suite de l'affaire. Tel est le cas de la directrice de l'école maternelle Rampal, qui était intervenue lors de l'interpellation d'un grand-père chinois la semaine dernière.

- La remise en liberté avec une mesure alternative aux poursuites. Cela va du simple rappel à la loi à des mesures plus contraignantes (comme obliger le mari violent à quitter le domicile conjugal...) dont le non respect entraînera l'exercice de poursuites judiciaires. Il y a aussi la composition pénale, mais elle est rarement employée.

- La remise en liberté du gardé à vue avec une convocation en justice (on appelle ça une Convocation par Officier de Police Judiciaire, COPJ) pour être jugé : le gardé à vue devient prévenu[1]. Cela indique que les faits méritent sanction mais que la privation de liberté n'apparaît pas indispensable : les faits sont d'une gravité limitée, le prévenu a commis sa première infraction, il a un travail ou suit des études. Le prévenu a tout le temps de solliciter l'aide d'un avocat, le procureur n'est pas remonté contre le prévenu, bref, ce sont de très bonnes conditions pour être jugé.

Ensuite, on passe aux mesures excluant la remise en liberté immédiate du gardé à vue : les faits sont graves, le gardé à vue a déjà des antécédents judiciaires (ce qui ne signifie pas récidiviste, pour les ministres qui me liraient), bref, une réponse immédiate s'impose.

On parle ici de déferrement (car autrefois on ôtait les fers au prisonnier, qui était dé-ferré) : le déféré n'est plus gardé à vue, et il doit être présenté au procureur dans un délai de 20 heures. Les palais sont munis d'une mini-prison, qu'on appelle "le dépôt", où sont gardés les déférés dans l'attente de leur présentation. Un procureur reçoit les déférés, et peut décider :

- soit de les convoquer pour une audience ultérieure mais avant de les remettre en liberté, de les présenter au juge des libertés et de la détention pour un placement sous contrôle judiciaire. C'est surtout utilisé en matière de violences conjugales.

- soit de saisir un juge d'instruction si les faits nécessitent des investigations plus poussées ou constituent un crime ;

- soit enfin, nous y voilà, de faire passer le prévenu en comparution immédiate, le jour même.

Une fois le déféré devenu prévenu, sa situation change du tout au tout. Certes, on lui remet les menottes qu'il avait en entrant, et on le ramène dans sa même cellule : le changement peut lui échapper. Mais il a droit à un avocat, qui a accès au dossier, et peut contacter la famille du prévenu pour se faire amener des documents utiles. Le prévenu est également conduit devant un enquêteur de personnalité qui va faire son CV en tâchant de vérifier les déclarations du prévenu sur son domicile, son travail, etc.

L'avocat consulte le dossier le plus vite possible (c'est une gymnastique intellectuelle épuisante, et en plus vous êtes sous pression : "Maître, vous êtes bientôt prêt ? Le tribunal attend... »), s'entretient brièvement avec le prévenu, appelle la famille... Il faut prendre des notes car il faut rendre le dossier en arrivant au prétoire, on n'a pas de copie du dossier sous les yeux. C'est en arrivant dans le tribunal que l'huissier lui remet la dernière pièce du dossier : l'enquête de personnalité.

Quand vient le tour de l'affaire du prévenu, le président commence par constater son identité complète, lui rappelle les faits qui lui sont reprochés, sous la forme "...d'avoir, à Paris, le 27 mars 2007, en tout cas sur le territoire nationale depuis temps n'emportant pas prescription, volontairement commis des violences sur la personne de Monsieur Lecontroleur, personne chargée d'une mission de service public, faits prévus et réprimés par les articles...".

Puis il lui demande s'il accepte d'être jugé tout de suite, ou demande un délai pour préparer sa défense. Ce délai est de droit, le tribunal ne peut pas le refuser. Le tribunal peut aussi décider d'office de renvoyer cette affaire s'il lui apparaît que le dossier n'est pas en état d'être jugé.

Dans ces deux cas, le tribunal ne statuera que sur le sort du prévenu en attendant cette audience : remise en liberté, contrôle judiciaire, ou détention provisoire ? Un débat a lieu, parole à l'avocat de la partie civile s'il y a lieu, au procureur et à la défense en dernier. Le tribunal fixe la date d'audience de renvoi, qui doit avoir lieu entre deux et six semaines[2], sauf si le prévenu accepte d'être jugé à plus bref délai, et statue sur le sort du prévenu.

C'est ce qui s'est passé hier pour notre resquilleur et un des casseurs. Tous deux ont été placés en détention provisoire et ils seront jugés respectivement le 2 mai et le 25 avril.

Si le prévenu accepte d'être jugé tout de suite, les faits sont abordés, puis la personnalité du prévenu est examinée. La parole est ensuite donnée à la partie civile s'il y en a une présente, qui demande une réparation pécuniaire, au procureur, qui demande une peine, et enfin à l'avocat, qui essaye d'être intéressant et de dire le moins de fois possible "effectivement" (c'est très dur). Ca va très vite : rares sont les dossiers jugés en plus de quinze minutes (plaidoirie de l'avocat non comprise, c'est l'élément incontrôlable).

Le tribunal rend ses décisions à la suite, en fin d'audience.

La particularité de la comparution immédiate, je veux dire à part toutes ces particularités déjà citées, est que le tribunal peut décider du maintien en détention du prévenu quelle que soit la peine prononcée. L'article 723-15 du CPP ne s'applique pas, on va directement à la case prison sans passer par la case juge d'application des peines, et je vous rassure, l'avocat ne touche pas 20.000 francs. L'idée de la comparution immédiate est de prononcer immédiatement une sanction sévère sans être forcément longue. Pour les audiences ordinaires, le tribunal ne peut prononcer un mandat de dépôt que si la peine ferme dépasse un an.

C'est ce qui est arrivé à deux prévenus qui ont commis des actes de violence contre les policiers, et qui ont été condamnés à quatre mois de prison ferme et trois ans d'interdiction du territoire pour l'un d'entre eux qui était en situation irrégulière (lui), et qui ont été conduits immédiatement en prison pour purger leur peine ; un troisième qui a cru que c'était les soldes chez Foot Locker a été condamné à quatre mois avec sursis et a été remis en liberté après l'audience.

Les appels sont rares pour les petites peines, car par un malicieux tour du code de procédure pénale, le fait de faire appel ne fait pas bénéficier des réductions de peine, et un appelant risque de sortir de prison après un condamné n'ayant pas fait appel de sa condamnation, si la peine est courte (c'est certain pour une peine n'excédant pas deux mois, et probable jusqu'à six mois).

Le droit pénal est très taquin, parfois.

Notes

[1] Et comme un homme prévenu en vaut deux, il y aura association de malfaiteurs selon le ministre de l'intérieur.

[2] Entre deux et quatre mois si la peine encourue est supérieure à sept ans d'emprisonnement.

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