Allez, aujourd'hui, c'est distribution de baffes, les commentaires sous mon précédent billet m'ont mis d'humeur.
Au tour de José Bové.
Il fait actuellement le tour des plateaux pour chanter le blues du prisonnier, et se déclare prêt à être un candidat prisonnier.
Ha. La chose semble d'importance. Et pourquoi donc ?
Parce qu'il a été condamné le 15 novembre 2005 a quatre mois de prison sans sursis (sévérité dû au fait qu'il a déjà été condamné par le passé à une peine ferme pour des faits similaires, et que la justice n'aime pas les récidivistes) pour des destructions volontaires commises en juillet 2004 à Menville, près de Toulouse. Un pourvoi a été formé, qui va être examiné le 4 février 2007. Si ce pourvoi était rejeté (l'arrêt devrait être rendu début mars), sa peine deviendrait définitive. Juste avant les présidentielles.
Et on verrait alors les troupes de César venir se saisir de Saint José et le traîner dans un sépulcre de 9m² avant sa résurrection du 120e jour.
Sauf que le chemin de croix a un peu plus de stations que ça, et que même avec la meilleure volonté du monde, José Bové aura bien du mal à respecter l'échéance carcéro-électorale.
Car supposons que la cour de cassation rejette le pourvoi. Que se passera-t-il ?
Le greffe de la cour de cassation délivrera dans les trois jours un extrait de cet arrêt au procureur général près la Cour de cassation, qui l'adressera à son tour au procureur général de la cour d'appel de Toulouse, sans qu'un délai ne soit prévu pour cette transmission (article 617 du Code de procédure pénale, le CPP).
S'agissant d'une condamnation à une peine privative de liberté inférieure à un an, celui-ci devra adresser, sans que la loi ne lui impose un quelconque délai, un extrait de la décision de condamnation au juge d'application des peines du tribunal de grande instance du domicile du condamné, soit je crois Millau. A la réception de cet extrait, le juge d'application des peines aura un délai de quatre mois pour convoquer le condamné et décider d'éventuels aménagements de peine (article 723-15 du CPP). Pour cela, il chargera le SPIP, service pénitentiaire d'insertion et de probation, d'effectuer une enquête sur la situation du condamné. Cela consiste principalement en l'envoi d'un questionnaire au condamné, lui demandant de préciser son travail, ses revenus, ses charges de famille, ses conditions de logement, etc. Le juge pourra alors décider de ne pas mettre la peine à exécution mais de la transformer en des mesures alternatives à l'emprisonnement, dont la loi offre une vaste palette. La loi prévoit même que si la situation du condamné ne lui permet pas de bénéficier de mesures d'aménagement, le juge doit lui indiquer quelles modifications il doit apporter à sa situation pour pouvoir en bénéficier (même article). Concrètement, il s'agira d'un domicile stable, par exemple.
La loi prévoit que le condamné peut refuser ces mesures auquel cas la date d'incarcération est décidée en tenant compte de l'avis du condamné. Si le condamné ne répond pas ou refuse de collaborer avec le SPIP, le juge d'application des peines mettra la peine à exécution et ordonnera l'incarcération immédiate. S'il n'a pas statué dans le délai de quatre mois, le procureur de la République peut mettre lui même la peine à exécution.
Bref, vous l'avez compris, vu les délais, il n'y a aucune chance pour que José Bové aille en prison d'ici le 22 avril. Le délai de quatre mois n'aura pas expiré quand bien même le JAP de Millau aurait été saisi avec la plus grande célérité.
Et après cette date, pour qu'il y aille, il faudra qu'il y mette du sien en refusant toute mesure d'aménagement ou en s'abstenant de répondre au juge d'application des peines. Car face à une personne qui nonobstant son comportement délictuel est bien insérée, qui est agriculteur dans une exploitation en activité, tout juge d'application des peines sera enclin à éviter une peine de prison qui nuirait à son activité économique et n'apporterait pas grand chose au reclassement du condamné (qui est la première préoccupation des juges d'application des peines).
Je pourrais supposer que José Bové n'est pas au courant de ces subtilités s'il n'était déjà passé par là : or il a déjà fait l'objet d'une incarcération le 22 juin 2003. Et ce ne sont pas les gendarmes qui l'avaient interpellés au saut du lit : il s'était rendu en cortège de tracteurs, escorté par la gendarmerie, à la maison d'arrêt de Villeneuve-lès-Maguelone après avoir informé la presse de la date et de l'heure de son incarcération pour en faire un spectacle : images INA.
Trois ans après, il nous refait le coup.
Alors, puisque la mode est au procès d'intention, je précise tout de suite que même si je suis contre les opérations concertées de destruction du bien d'autrui qu'on appelle du doux vocable de "fauchage volontaire", je n'ai à titre personnel aucun goût de voir José Bové en prison.
Mais je vois assez d'hommes et de femmes incarcérées sans avoir eu de possibilité d'y échapper, parce qu'elles ont été jugées en comparution immédiate qui permet un emprisonnement immédiat quelle que soit la durée de la peine prononcée, parce qu'elles n'ont pas compris la notification d'un jugement qu'elles sont forcloses à faire appel ou opposition, ou qu'elles sont tellement exclues que le JAP ne peut rien proposer comme alternative à l'emprisonnement (expliquez moi comment on place un SDF sous bracelet électronique, alors qu'il faut une ligne France Telecom pour le terminal) ; je lis leurs lettres désespérées, leurs appels à l'aide bouleversants, écrits d'une écriture hésitante et bourrée de fautes d'orthographe (parfois par une autre prisonnier moins illettré) sur la page arrachée d'un cahier ; j'ai leur famille, pour ceux qui en ont, qui m'appellent tous les jours pour savoir quand il va sortir. Des mères prêtes à vendre leur alliance si c'était une question d'argent, qu'il faut convaincre de ne pas le faire. Il faudrait que vous voyiez un jour les dessins que des enfants envoient à leur père en prison : ils se dessinent en train de casser les murs pour que leur père revienne à la maison.
Avoir un client en prison, c'est un poids sur l'estomac de tous les instants, un nuage qui gâche un peu toutes vos journées. Le faire sortir devient une obsession, et l'angoisse du suicide une peur sourde et continue. En France, un prisonnier se suicide tous les trois jours (Source : Observatoire International des Prisons). C'est le troisième taux en Europe. Et c'est la famille de votre client qui vous l'annonce, après avoir reçu un appel du chef d'établissement. Quand votre client n'a aucune famille, c'est vous qu'il aura désigné comme personne à prévenir, lors de son écrou. Vous n'êtes même pas au courant au préalable. C'est quand vous recevez le coup de fil que vous apprenez qu'il vous considérait comme sa seule famille, même si la seule fois que vous l'avez vu, c'était au tribunal, le jour où vous étiez de permanence.
Alors j'espère que vous comprendrez que le numéro de José Bové, qui joue le condamné apeuré quand il a l'assurance d'échapper à l'incarcération s'il fait le nécessaire, et qui n'ira donc que s'il le veut bien, fait plus que m'agacer. Elle me met en fureur.