Comme mes lecteurs habitués le savent, je suis un ami des Etats-Unis. J’aime et admire ce grand pays qui nous a tant appris sur la démocratie au point que nous préférons l’oublier et faire comme si elle était née chez nous, avec son frère jumeau, l’Etat de droit, et j’aime beaucoup, à l’occasion, tordre le coup à quelques idées reçues qui courent par chez nous pour tenter de démontrer que ce pays ne mérite qu’aux mieux, mépris, et au pire, crainte.
C’est donc vierge de tout parti pris que je puis m’indigner de quelque chose qui s’y passe.
En l’occurrence, une décision discrète, qui passerait inaperçue si l’internet ne la reliait pas. Parce que quelques fois, la raison défaille, face à une décision indigne d’un pays civilisé.
Je veux donc vous parler de Genarlow Wilson. Il a 19 ans, bon athlète, bon étudiant, avec une moyenne générale de 16/20[1], pas de casier judiciaire.
Il a été interpellé en août 2004 et placé en détention provisoire.
Les faits qui lui sont reprochés laissent pantois : lors du réveillon du Nouvel An le 31 décembre 2003, lui et cinq de ses copains et une copine de lycée ont loué une chambre d’hôtel et ont fêté l’année nouvelle d’une façon plutôt paillarde. A cette occasion, cette jeune fille de 15 ans lui a fait une fellation, lui en avait 17. Elle était consentante. Le tout a été filmé.
En France, un juge ne dirait qu’une chose : « veinard ! ». En Georgie, dans le Comté de Douglas, il a été considéré comme un child molester, un délinquant sexuel sur mineurs. J’insiste sur un point : le rapport était consenti et la supposée victime n’a pas porté plainte.
Bon, un emballement judiciaire dans un Etat sudiste réputé pour ses jeunes femmes prudes et fidèles, et on a envie de ricaner devant ces juges coincés et outrés qu’un jeune homme de 17 ans ait des pulsions sexuelles, et qu’une jeune fille de 15 ans puisse y répondre.
Désolé de gâcher l’ambiance.
En Georgie, l’âge de la majorité sexuelle est de 16 ans (il est de 15 ans en France). La loi de Georgie prévoit que l’agression sexuelle sur mineur est un crime passible de 10 ans de prison minimum, sans possibilité de libération conditionnelle (parole), et d’être inscrit à vie sur les fichiers des délinquants sexuels. Il a été condamné à 11 ans, dont dix sans parole, et un an de probation, outre son inscription à vie sur les fichiers de délinquants sexuels. Ses compagnons de chambrée, ayant plaidé coupable, purgent des peines de cinq années. Genarlow avait plaidé non coupable.
Le 15 décembre, la Cour Suprême de Georgie a confirmé ce jugement.
Ca vous glace ?
Il y a pire encore.
En 2006, le parlement de Georgie a modifié le Code pénal de cet Etat pour transformer le délit d’agression sexuelle sans violence ni contrainte ni surprise sur une victime âgée de 13 à 16 ans par un auteur de 18 ans ou moins en délit mineur (misdemeanor) passible d’un an de prison maximum. La peine prononcée contre Genarlow Wilson relève d’un crime aboli.
Sauf que le législateur a expressément exclu que la loi nouvelle s’applique à des faits antérieurs. Ce que la Cour Suprême de Georgie n’a pu que constater, dans cet attendu de son président qui fait frémir :
Ainsi, bien que je sois très sensible à l’argument de Wilson sur l’injustice de condamner ce jeune homme prometteur, avec de bons résultats scolaires et aucun antécédent judiciaire à dix années de prison sans parole et une inscription à vie comme délinquant sexuel parce qu’il a eu un rapport sexuel oral consenti avec une jeune fille de 15 ans, soit âgée de deux ans de moins que lui, cette Cour est tenue par la décision du parlement que des jeunes personnes dans la situation de Wilson n’ont pas droit au traitement de délit mineur désormais prévu par l’article 16-6-4 (d) du Code pénal de Georgie (OCGA).
Notons que cela ne pourrait arriver en France : la rétroactivité de la loi pénale plus douce, principe à valeur constitutionnelle, interdirait au parlement de prévoir que l’abolition de ce crime ne puisse profiter à des personnes en cours de jugement ou déjà condamnées.
Mais, quand, sous les meilleurs prétextes du monde, celui de vous protéger des méchants, vous et vos enfants, on vous parle de durcir la répression des mineurs, de prévoir des peines plancher, quand chaque nouvelle loi répressive prive le juge de son pouvoir d’adaptation de la peine, souvenez vous de Genarlow Wilson. 19 ans. Pas de casier. Très bons résultats. Un avenir prometteur.
Tout cela, broyé, détruit, anéanti. Au nom de la protection des mineurs.
Ha, il était mineur, lui aussi ?
On ne fait pas d’omelettes sans casser des oeufs.
Un billet juridique sur la question sur le blog The Volokh’s conspiracy. L’auteur est très pessimiste sur les chances de succès d’un recours devant la cour suprême des Etats-Unis.
Merci de vous abstenir de propos anti-américains en commentaire, je les effacerai. Ce sont des américains qui m’ont informé de cette affaire et tous expriment leur indignation face à cette affaire. Même la Cour Suprême de Georgie trouve cette décision injuste. Et Bush n’a rien à voir là dedans (il n’a pas le pouvoir de gracier). Récupérer cette affaire pour de la propagande serait abject.