La Cour de cassation siégeant comme cour de révision a rejeté aujourd'hui la demande en révision présentée par Marilyse Lebranchu.
Loin de moi l'idée de dire que la Cour s'est trompée ou non. Silas Day-Lewa approuve la décision de la Cour de s'en tenir à un strict légalisme plutôt que de rendre une décision symbolique qui aurait fait plaisir à beaucoup sans faire de tort à personne de vivant.
N'étant pas historien et totalement étranger à cette affaire, je voudrais juste expliquer en quoi consiste cette procédure de révision en vous expliquant ce qui s'est passé et pourquoi il apparaît très difficile d'imaginer une nouvelle requête.
- La révision n'est pas l'appel.
Un condamné à une infraction allant de la contravention de la 5e classe (1500 euros d'amende maximum, 3000 exceptionnellement en cas de récidive), jusqu'au crime peut faire appel dans les dix jours de la connaissance qu'il a de sa condamnation pour demander à être rejugé par une cour d'appel. Cela me fait penser que la question de cette connaissance par le condamné de sa condamnation mériterait un billet à part entière qui ferait le bonheur des étudiants en procédure pénale et de mes lecteurs curieux.
Notons également au passage que les condamnés pour crime (encourant des peines de 15 ans de réclusion jusqu'à la perpétuité, quand ce n'était pas pire encore) n'ont le droit de faire appel de leur condamnation que depuis la loi du 15 juin 2000. Aussi étonnant que cela paraisse, un condamné à mort n'avait pas droit de faire appel de sa condamnation. Quand on sait qu'il était à Paris un président réputé pour revenir avec une condamnation à mort après trois quart d'heure de délibéré...
Quand la voie de l'appel n'est pas ou n'est plus ouverte, soit que l'infraction est jugée sans appel (contravention de la 1e classe...), soit que la condamnation ait été prononcée en appel, la seule voie de recours restant est le pourvoi en cassation.
La particularité de ce pourvoi est qu'il ne vise qu'à remettre en cause l'application de la loi par la juridiction ayant statué en dernier. On ne peut contester les preuves : elles ont été appréciées souverainement par les juges. Il faut impérativement soulever une violation de la procédure ou une mauvaise application de la loi. La cour de cassation casse, c'est à dire annule la décision, et renvoie l'affaire pour être à nouveau jugée devant une juridiction équivalente (tribunal de police, cour d'appel...) mais naturellement autre que celle ayant statué. En effet, la cour ne peut juger les faits, ce qui suppose d'apprécier à nouveau les preuves. C'est ce qui rend les arrêts de la cour de cassation si intéressants pour le juriste : statuant en droit, ses solutions sont toujours transposables à d'autres affaires. C'est là l'essence de sa mission : unifier l'interprétation du droit. C'est pourquoi il n'y a qu'une seule cour de cassation (Quai de l'Horloge, à Paris 1er).
Quand le pourvoi en cassation est rejeté, la condamnation devient définitive. L'accusé devient coupable, la présomption d'innocence n'existe plus, on est passé à la preuve de la culpabilité. Il faut savoir mettre fin à un procès.
Le président de la République a le droit de grâce, qu'il tient de la Constitution, mais la grâce ne fait que dispenser de l'exécution de la peine, en tout ou partie. Elle ne fait pas disparaître la condamnation.
Néanmoins, il serait insupportable qu'une décision que tout le monde sût fausse ne pût être remise en cause. Cette voie de recours exceptionnelle, donc restrictive, s'appelle la demande en révision.
Le vocabulaire précis est donc : l'appel, le pourvoi en cassation, et la demande en révision.
- Une voie de recours exceptionnelle.
Cette procédure est régie par les articles 622 à 626 du Code de procédure pénale. Elle n'est ouverte que dans quatre cas.
- Pour les seules condamnations pour homicide, si « des pièces propres à faire naître de suffisants indices » (sic) démontrant que la victime serait en vie. La tournure n'est pas très gracieuse. Des pièces ne font pas naître des indices, elles SONT des indices ; ce qu'elles font naître sont des doutes.
- Si deux condamnations ont été prononcées condamnant deux personnes différentes pour les mêmes faits. C'est le cas le plus facile, mais devenu quasiment impossible aujourd'hui, puisque cette contradiction démontre nécessairement l'innocence d'un des condamnés.
- Si un des témoins ayant déposé contre le condamné est condamné pour faux témoignage pour cette déposition.
- Enfin, si se produit ou se révèle un fait nouveau ou un élément inconnu de la juridiction au jour du procès, de nature à faire naître un doute sur la culpabilité du condamné.
La demande rejetée aujourd'hui relevait de ce quatrième cas : un témoin affirme que la personne que Seznec disait aller voir à Paris avec la victime Quemeneur existait bel et bien, alors que l'enquête initiale avait conclu que c'était une invention de Seznec.
Ce n'est pas tout que ces conditions soient remplies. Encore faut-il avoir qualité pour agir, c'est à dire faire partie des gens que la loi habilite à présenter une telle décision.
Il s'agit :
- Du condamné lui même, ou de son représentant légal s'il est mineur ou sous tutelle ;
- S'il est mort, par conjoint, ses enfants, ses parents, ses légataires universels ou à titre universel ou par ceux qui en ont reçu de lui la mission expresse. On pense au célèbre « Réhabilitez-moi ! » lancé par Ranucci à son avocat au moment d'être emmené vers la guillotine. Cette liste est exhaustive : Denis Seznec, petit-fils de Guillaume, ne peut pas présenter lui-même de demande en révision ; seule sa mère pouvait.
- Le Garde des Sceaux, en tout temps. C'est donc Marilyse Lebrachu qui avait, à la demande de Denis Seznec, signé la demande le 30 mars 2001.
- Une procédure en deux temps.
La demande est adressée à la commission de révision de la cour de cassation. Elle est composée de cinq magistrats de la cour, dont le président est impérativement choisi au sein de la chambre criminelle, celle qui juge tous les pourvois en matière pénale.
Cette commission a des pouvoirs d'enquête et joue un rôle de filtrage. Elle peut interroger les parties prenantes et les témoins, ordonner des expertises ou des investigations policières. Une fois ses investigations terminées, et les observations des avocats et du ministère public ouïes au cours d'une audience qui peut être publique si une partie le demande, elle peut rejeter la demande, rejet qui n'est pas susceptible de recours, ou saisir la chambre criminelle statuant comme cour de révision. Il s'agit de la chambre criminelle en entier, soit pas moins de trente trois conseillers. Cette décision s'appelle un avis, puisqu'elle ne juge pas mais dit que la commission est d'avis qu'il y a lieu de saisir la cour de révision.
C'est ce qui s'est passé le 11 avril 2005, au cours d'une audience publique à la demande de Denis Seznec, lors de laquelle l'avocat général avait clairement pris partie pour une révision du procès, allumant les plus grands espoirs chez les héritiers de Seznec.
Une fois la cour de révision saisie, elle peut à son tour procéder aux mêmes mesures d'enquête. Concrètement, elle désigne un conseiller rapporteur, qui s'occupe du travail et dirige les débats lors de la délibération. Ce conseiller était Jean-Louis Castagnède, qui présidait la cour d'assises de Bordeaux lors du procès Papon.
Quand le dossier est en état d'être jugé (on dit « en état » tout court), une audience a lieu où le demandeur en révision peut présenter ses observations en personne ou par avocat, ainsi que la victime si elle le souhaite, et bien sûr le ministère public.
Cette audience est publique. Elle s'est tenue le 5 octobre dernier.
La cour met ensuite sa décision en délibéré. La décision est prise par les trente trois magistrats.
- A quoi peut aboutir une demande en révision ?
La cour de révision peut tout d'abord rejeter la demande. C'est l'hypothèse la plus simple : circulez, il n'y a rien à innocenter.
Elle peut au contraire décider que la demande était fondée. Là, deux possibilités s'ouvrent à elle.
S'il est encore possible d'organiser un débat contradictoire, c'est à dire où toutes les parties pourront à nouveau faire valoir leur argument, l'affaire est renvoyée devant une juridiction de même nature que celle ayant statué. On revient alors à une situation proche de la cassation de la décision sur pourvoi.
Si ce n'est pas possible, du fait du décès des parties, d'une amnistie, de la démence d'une partie, ou autre, la cour juge l'affaire au fond dans sa décision. Elle annule les condamnations qui lui paraissent injustifiées, ou si les intéressés sont décédés, elle « décharge la mémoire des morts ».
Aujourd'hui, la cour a choisi la première branche de l'alternative : elle a rejeté la demande.
- Et maintenant ?
Ayant moi même un peu de sang breton, je suis têtu comme une mule. Je ne doute pas dès lors que les héritiers de Guillaume Seznec, plus bretons que moi, ne soient encore plus obstinés et continueront leur combat.
Mais les obstacles sont difficiles à surmonter, et vous les connaissez désormais, cher lecteurs.
D'une part, il faudra trouver des éléments nouveaux au sens d'inconnus par la cour d'assises du Finistère qui a jugé l'affaire le 4 novembre 1924. La demande nouvelle pourra s'appuyer sur les éléments déjà soumis à la cour lors de cette demande, mais il en faudra d'autres. 82 ans après les faits, cela sera très difficile.
D'autre part, il faudra convaincre le Garde des Sceaux de présenter la demande, seul lui pouvant désormais le faire.
Vous voilà désormais équipés pour lire le (très long) arrêt de la chambre criminelle du 14 décembre 2006, affaire n°05-82.943, arrêt n°5813.
Vous verrez, maintenant que vous avez les armes pour décoder la procédure, ça se lit comme un roman policier.