Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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jeudi 30 novembre 2006

jeudi 30 novembre 2006

Blogue fermé

Aujourd'hui encore, les avocats de France suspendent toute activité juridictionnelle, et demandent le renvoi à une date ultérieure de toutes les affaires, sauf urgence ou si la liberté est en jeu.
Le gouvernement a clairement montré ses intentions : alors que le parlement avait voté un transfert de crédits au sein du budget de la justice au profit de l'enveloppe de l'aide juridicitonnelle (A.J.), le gouvernement a refusé ce transfert et rétabli l'état initial.
Déshabiller Pierre pour habiller Paul n'était sans doute pas une solution, mais il y avait là un message de demande de moyens supplémentaires que le gouvernement a choisi d'ignorer. Les périodes électorales sont celles des caseaux fiscaux, pas des responsabilités assumées.
Alors aujourd'hui, je ne plaide pas, je ne blogue pas, et je ferme encore une fois mon Journal.
un euro pour plaider

France, patrie des droits de l'homme...

La presse étant trop occupée à parler de ce scoop extraordinaire qu'est la déclaration de candidature du président de l'UMP, vous n'entendrez probablement pas parler de deux affaires sans intérêt, qui n'intéresseront nullement aux yeuxdes rédac'chefs les citoyens de la république, dont la curiosité est amplement rassasiée avec des considérations sur la couleur du tailleur de la candidate du parti socialiste.

Les blogues en général et le mien en particulier se passionnant pour le sans-intérêt, je vais donc vous en causer. On ne sait jamais, il pourrait y avoir ci ou là quelques farfelus comme moi qui pourraient s'y intéresser.

La France vient d'être condamnée deux fois en trois semaines par la cour européenne des droits de l'homme, à l'unanimité des sept juges composant la section saisie, la première fois pour traitement inhumain et dégradant, la deuxième fois pour atteinte à la liberté d'expression.

Vous, je ne sais pas, mais moi, ça me fait mal.

La condamnation pour torture a été prononcée le 24 octobre dernier par la deuxième section (arrêt Vincent contre France, req. n°6253/03).

Le plaignant n'est pas sympathique, c'est vrai. Il est en prison, pour enlèvement et séquestration d'un enfant de sept mois, mais pas pour violences sur cet enfant. Il est un détenu désagréable et procédurier, qui porte plainte contre un peu tout le monde ; mais parfois à raison, comme nous allons le voir. Il est paraplégique depuis un accident de la circulation en 1989 et a perdu l'usage de ses jambes. Il est en prison depuis 2002 et purge une peine de dix années d'emprisonnement.

Depuis sa détention provisoire, il a visité plusieurs hostelleries de la république : Nanterre de novembre 2002 à février 2003, Fresnes de février à juin 2003, Osny de juin 2003 à février 2005, Meaux-Chauconin de février 2005 à mars 2006, établissement adapté aux handicapés, d'où il a été transféré à Villepinte où il résiderait encore.

C'est lors de son passage à Fresnes que Monsieur Vincent a connu une situation inhumaine et dégradante pour la cour, du fait de l'inadaptation de cet établissement, construit au XIXe siècle, pour un détenu se déplaçant en fauteuil roulant. Là, je confirme. Je dois baisser la tête et rentrer les épaules pour franchir la porte menant au parloir des avocats, et je mesure 1m80. Monsieur Vincent ne pouvant franchir seul les portes (ce qui nécessitait qu'il fût porté pendant qu'une roue de son fauteuil était démontée), il est resté confiné dans sa cellule pendant quatre mois sauf à l'occasion de rares sorties, principalement pour les nécessités de l'instruction. Cette situation a été constatée dès son arrivée, et aucune raison impérieuse n'imposait de le laisser dans cette maison d'arrêt ; pourtant il y est resté quatre mois, sans sport, sans promenade, sans sans accès à la bibliothèque. Faute de chaise adaptée, il n'a pu prendre de douche pendant deux mois. Enfin, les soins que nécessitaient son état, sondages urinaires et touchers rectaux pour l’évacuation des urines et des selles, étaient faits en cellule, au vu de ses codétenus.

Le récit du plaignant sur ses autres conditions de détention fait frémir, même si la cour les écarte faute de preuve (un détenu ne peut avoir d'appareil photo dans sa cellule ni faire venir un huissier...) : à Nanterre, il ne pouvait atteindre les placards, ni utiliser le miroir ou le lavabo, placés trop haut pour un homme en fauteuil ; il aurait même été contraint durant quatre jour d'aller aux toilettes en rampant, son fauteuil étant cassé. A Osny, Dans sa cellule, la douche n’était pas adaptée à une personne paraplégique puisqu’il devait actionner le bouton poussoir avec l’arrière de sa tête pour obtenir de l’eau. Il faudra neuf mois pour que ce problème soit réglé.

Sans commentaires.

Dans la deuxième affaire (Mamère contre France, req. n°12697/03), le camouflet est double car il dépasse la seule affaire judiciaire. Il s'agit de la condamnation de Noël Mamère et Marc Tessier (président de France Télévision) pour diffamation envers le professeur Pierre Pellerin, ancien directeur du service central de protection contre les rayons ionisants (SCPRI) qui en 1986 était responsable des informations officielles sur le nuage de Tchernobyl. A l'occasion d'un passage à l'émission « Tout le monde en parle », le député maire de Bègles, après avoir rappelé qu'à l'époque, il présentait le journal de treize heures, avait parlé du professeur Pellerin en ces termes :

il y avait un sinistre personnage au SCPRI qui s’appelait Monsieur Pellerin, qui n’arrêtait pas de nous raconter que la France était tellement forte – complexe d’Astérix – que le nuage de Tchernobyl n’avait pas franchi nos frontières

Noël Mamère a été condamné pour ces propos, en raison de leur manque de mesure, qui exclurait la bonne foi de leur auteur, et de leur inexactitude factuelle : le professeur Pellerin avait bien dit que la radioactivité avait augmenté en France, ce qui suppose un survol, mais que cette augmentation n'aurait pas de conséquence sur la santé publique, propos qui, d'après la cour d'appel de Paris dans son arrêt du 3 octobre 2001, « ce qui n’a toujours pas été réfuté avec certitude ». Qu'en termes choisis ces choses là sont dites, n'est ce pas ?

La cour de cassation a validé cette condamnation le 22 octobre 2002 en rejetant le pourvoi de Messieurs Mamère et Tessier.

La cour des droits de l'homme estime qu'en statuant ainsi, la justice française a violé l'article 10 de la convention qui garantit la liberté d'expression, en soulignant que le débat en question portait sur un sujet d'intérêt général, qui impose une plus grande souplesse, et que dès lors l'interdiction que fait la loi française d'apporter la preuve de la véracité des faits diffamatoires quand ils remontent à plus de dix ans n'est pas une limitation acceptable, car « lorsqu’il s’agit d’événements qui s’inscrivent dans l’Histoire ou relèvent de la science, il peut au contraire sembler qu’au fil du temps, le débat se nourrit de nouvelles données susceptibles de permettre une meilleure compréhension de la réalité des choses. ».

De même, la cour n'accepte pas que la bonne foi du requérant ait été écartée au seul motif qu'il a tenu des propos exagérément vifs, encore une fois, il s'agit d'un débat d'intérêt général, et, flèche du Parthe, « dans le cadre d’une émission qui tient moins de l’information que du spectacle et qui a construit sa notoriété sur l’exagération et la provocation ». La carte de presse de Thierry Ardisson appréciera.

L'animateur n'est pas le seul à se prendre un coup de règle sur les doigts par la cour : savourez cette appréciation obiter dictum sur l'attitude des autorités françaises en 1986, qualifiée « d'attitude particulièrement confiante, au détriment d’ailleurs du bon sens géographique ». Et paf. Le premier ministre de l'époque appréciera. Heureusement pour lui que les Français ne sont pas rancuniers, puisqu'il est à l'Elysée actuellement.

Bref, la cour trouve que condamner un homme qui a dit la vérité sur un sujet d'intérêt général, certes en des termes outranciers, mais dans une émission outrancière par sa nature, sous prétexte qu'il n'a plus le droit de prouver qu'il disait la vérité et qu'il l'a dit en termes exagérés, ça ne s'appelle pas de la liberté d'expression, mais de la police politique (cette dernière interprétation est de moi, elle est outrancière mais d'intérêt général alors j'ai le droit). Dire qu'il aura fallu aller jusqu'à Strasbourg pour que cette évidence soit dite.

Et pour finir sur une envolée lyrique qui plaira à mon ami Jules,

Ha, France, terre des droits de l'homme, qu'as-tu fait de ces fruits ? Alors qu'ils étaient un meuble pour ton blason, tu en as fait une nature morte !

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