Les thèmes de l'insécurité et de son corollaire, l'enfance délinquante, vont sans nul doute faire les beaux soirs des gazettes en cette période pré-électorale où la surenchère vise plutôt un électorat, disons conservateur.
Centres à encadrement militaire par cì, centre éducatif fermé par là.
Mal du XXIe siècle, vous dira-t-on, jamais les jeunes n'ont été aussi inciviques, désobéissants, rebelles, irrespectueux, que sais-je encore ?
Pour vous permettre de juger de la pertinence de ce cliché, je vous convie à lire avec moi quelques articles du Code civil original, tel que promulgué le 13 Germinal An XI et imprimé par les soins de J.J. Marcel, directeur de l'Imprimerie de la République. Les gras sont de moi, puissent les mânes de J.J. me pardonner cette modification.
TITRE IX De la puissance paternelle [1]
371. L'enfant, à tout âge, doit honneur et respect à ses père et mère.
(...)
375. Le père qui aura des sujets de mécontentement très graves sur la conduite d'un enfant, aura les moyens de correction suivans.
376. Si l'enfant est âgé de moins de seize ans commencés, le père pourra le faire détenir pendant un temps qui ne pourra excéder un mois ; et, à cet effet, le président du tribunal d'arrondissement[2] devra, sur sa demande, délivrer l'ordre d'arrestation.
377. Depuis l'âge de seize ans commencés jusqu'à la majorité[3] ou l'émancipation, le père pourra seulement requérir la détention de son enfant pendant six mois au plus ; il s'adressera au président dudit tribunal qui, après en avoir conféré avec le Commissaire du Gouvernement[4] délivrera l'ordre d'arrestation ou le refusera et pourra, dans le premier cas, abréger le temps de la détention requis par le père.
378. Il n'y aura, dans l'un et l'autre cas, aucune écriture ni formalité judiciaire, si ce n'est l'ordre même d'arrestation, dans lequel les motifs n'e nseront pas énoncés.
Le père sera seulement tenus de souscrire une soumission de payer tous les frais, et de fournir les alimens convenables[5].
379. Le père est toujours maître d'abréger la durée de la détention par lui orodnnée ou requise. Si après sa sortie l'enfant tombe dans de nouveaux écarts, la détention pourra être de nouveau ordonnée de la manière prescrite aux articles précédents.
Deux simples observations pour nourrir votre réflexion :
La première : si il y a deux siècles et deux ans, le législateur, qui en l'espèce était une commission de quatre avocats et magistrats, a ressenti le besoin de conserver dans le droit civil la fameuse lettre de cachet, c'est peut être que nos jeunes sauvageons d'aujourd'hui ne font guère d'ombre à ceux d'alors ; et il est intéressant de constater qu'alors que le choix politique était de donner les pleins pouvoirs au père, le choix fait aujourd'hui est d'accuser les parents d'être responsables de la déliquescence civique du temps. L'art de la réforme, c'est souvent de passer d'une erreur à l'autre.
La deuxième : vous avez ri du caractère surané de ce texte ? Et bien figurez vous que l'article 371 qui ouvre ce titre est encore en vigueur.
Notes
[1] On parle aujourd'hui d'autorité parentale.
[2] du tribunal de grande instance.
[3] Fixée à cette époque à vingt et un ans.
[4] Le procureur de la République.
[5] Aliment, qui s'écrivait sans t à l'époque, désigne non pas la nourriture mais l'argent nécessaire à l'entretien global de l'enfant : nourriture, vêtement, bois de chauffage...