La loi dite "Sarkozy", mal nommée car il y a déjà bien des lois Sarkozy qui ont eu les honneurs du JO [1] est donc devenue la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 relative à l'immigration et à l'intégration. La plupart de ses dispositions entrent en vigueur demain, le Conseil constitutionnel ayant rejeté le recours déposé par l'opposition, les neuf sages n'ayant posé qu'une réserve d'interprétation sur l'article 45 de la loi portant sur le regroupement familial. En effet, la loi nouvelle prévoit que le regroupement familial peut être refusé si le demandeur ne se conforme pas aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », notion un peu vague, ces principes étant reconnus par le préambule de la constitution de 1946 (encore en vigueur), mais aucune liste précise n'en est faite ; le conseil constitutionnel, pour respecter le principe de clarté et de prévisibilité de la loi précise donc que « le législateur a entendu se référer aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil » ; peu importe donc que le demandeur au regroupement familial exprime de profondes réticences sur des principes fondamentaux reconnus comme le droit d'association, par exemple, cela ne le privera pas de la compagnie de ses enfants.
Un mot sur ce recours, toutefois. Une des dispositions que je trouve critiquables de cette loi est la suppression de la carte de séjour de plein droit à l'étranger qui justifie par tout moyen de dix années de séjour en France (ex article L.313-11, 3° du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile - CESEDA). L'argument du législateur est qu'il n'y a pas lieu de récompenser une situation illicite sous prétexte qu'elle a duré pendant dix années. L'argument frappé au coin du "bon sens" typique. Bon, c'est donc par un oubli manifeste que le législateur a oublié d'abroger la prescription en matière criminelle de dix années elle aussi. Pourquoi diable récompenser l'assassin qui ne s'est pas dénoncé pendant dix ans ? Rendons les crimes imprescriptibles, au nom du bon sens. Après tout, les américains ne connaissent pas cette loi qui leur permet ainsi de faire de très bonnes séries policières qui font les beaux dimanches soirs de France 2. De même, abrogeons la prescription fiscale qui interdit au fisc de revenir plus de dix années en arrière en cas d'absence de déclaration. Pourquoi récompenser le fraudeur qui n'a pas payé sa redevance télé pendant dix ans ? Au nom du principe d'égalité et surtout du bon sens, j'exige l'abrogation de ces dispositions. Bien sûr, toute atteinte au droit de frauder le fisc sera sanctionné électoralement, mais je sais que nos gouvernants ne transigent pas avec le bon sens et ne sauraient faire passer leurs petits intérêts personnels avant les principes fondamentaux.
Bref, ce recours. Enfin, si on peut appeler ça un recours. Quel arguments nos bouillants députés de l'opposition, si critiques envers le futur président de la république ministre de l'intérieur ont-ils trouvé à opposer à cette abrogation lourde de conséquences pour les étrangers ?
La réponse, affligeante, est au quatrième considérant :
les requérants soutiennent que cette abrogation porte atteinte au principe de la dignité de la personne humaine ; (...)
Non, sérieux, c'est tout ce que vous avez trouvé ?
Le Conseil a beau jeu de leur répondre de manière cinglante :
la disposition critiquée se borne à modifier les catégories d'étrangers bénéficiant de plein droit d'un titre de séjour et ne saurait, de ce seul fait, porter atteinte au principe du respect de la dignité de la personne humaine consacré par le Préambule de la Constitution de 1946 ;
ajoutant, coup de pied de l'âne qui réjouira le ministre de l'intérieur si critiqué pour cette mesure :
par ailleurs (...) aucun principe non plus qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national ;
Avec une opposition pareille, la droite n'a pas grand'chose à craindre.
Faire un recours c'est bien, mais au moins il faut se creuser la tête pour opposer une argumentation qui évite le ridicule. Je ne pense pas que l'abrogation du 3° de l'article L.313-11 soit anticonstitutionnel : cette disposition n'est apparue en droit français qu'en 1997 (ou 1998 ?) quand le ministre de l'intérieur d'alors, Jean-Pierre Chevènement, a réalisé qu'il fallait une porte de sortie légale aux situations complètement bloquées d'étrangers présents en France depuis si longtemps que toute mesure coercitive à leur encontre risquait d'être illégale. Le législateur a la mémoire courte, et les ni-ni vont donc réapparaître, ces étrangers ni régularisables ni expulsables.
Mais nos députés ne pouvaient ils pas tout simplement inviter les sages à s'interroger sur l'éventuelle violation du droit à la sûreté reconnue par la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (article 2) ? En effet, les étrangers passent d'une situation ou, à terme, ils avaient une garantie légale de sortir de leur situation irrégulière, sans que l'administration n'ait son mot à dire (sauf risque de trouble à l'ordre public, comprendre si l'étranger a été condamné pendant ce laps de temps) à une situation où leur statut dépendra entièrement de l'appréciation discrétionnaire des préfets. Leur situation, objectivement se dégrade. Peu importe dès lors qu'aucun principe constitutionnel n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national, le problème étant qu'une garantie légale quant à leur personne et leur liberté leur est retirée sans qu'un principe fondamental ne le justifie, il s'agit d'un pur fait du prince qui reprend ce qu'il a donné il y a huit ans.
Voilà qui aurait contraint les Sages à un peu de réflexion, qui aurait permis à la gauche de se poser en protecteur des faibles, et qui aurait souligné l'effet pervers de cette disposition frappée du coin du bon sens. Peut être le Conseil aurait-il quand même validé cette disposition. Mais ce n'est pas une raison pour se contenter d'un combat purement symbolique.
Bon, je n'ai plus qu'à annoter mon Code, et à écrire des lettres qui vont plonger des hommes et des femmes dans un profond désespoir. Je risque de ne pas être de bonne humeur ces jours ci.
Je ferai un commentaire un peu plus détaillé de cette loi dès que j'en aurai le temps.