Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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avril 2006

vendredi 28 avril 2006

Cherche info...

Cela fait plusieurs fois qu'on me demande plus ou moins poliment de parler de la condamnation de Jean-Michel Maulpoix pour diffamation, pour avoir relayé un texte dont l'auteur principal a été relaxé du même chef.

Quelqu'un pourrait-il m'avoir le texte de l'arrêt rendu par la cour d'appel de Montpellier, idéalement complété du texte du jugement ? Les commentaires sur cette affaire sont d'un parti pris tel qu'il est impossible d'en tirer des éléments factuels assez solides.

Merci de me contacter pour le document (je me débrouillerai avec tout format de fichier).

Ca y est, je suis une star

Ce matin, en sortant du vestiaire des avocats, je remarque tout de suite que quelque chose ne va pas.

Galerie Marchande, un gendarme, portant le képi, discute le plus sérieusement du monde avec un avocat qui l'écoute d'un air grave.

Les gendarmes ne portent pas le képi à l'intérieur des bâtiments, hormis les salles d'audience. Cela les dispense de saluer réglementairement un supérieur chaque fois qu'il le croise (ils doivent en revanche se couvrir dans les salles d'audience et saluer le tribunal quand il entre pour siéger et quand il lève l'audience). De plus, quand un avocat discute avec eux, c'est généralement d'un ton badin, car d'une part leurs fonctions font qu'ils n'ont pas à nous communiquer d'informations sur nos dossiers, et surtout ils sont loins d'être dénués d'humour (tiens, je leur consacrerai un billet, ils le méritent bien).

Un autre avocat marche d'un pas nonchalant, un dossier sous le bras. Il n'a pas de téléphone portable à la main.

S'il a un dossier, c'est qu'il va à une audience, il doit être pressé, ou alors, s'il ne l'est pas, il téléphonera immanquablement à son cabinet ou à un client pour parler d'un autre dossier.

Une avocate passe près de moi, elle n'a pas de sac à main.

Une avocate transporte la moitié de son cabinet dans son sac à main dont elle ne se sépare jamais, même à la barre.

Quelque chose ne tourne pas rond, tout sonne faux.

Un coup d'oeil sur ma gauche m'apporte l'éblouissante révélation, au sens propre comme au figuré.

Un spotlight brille, une caméra est posée sur un trépied, une armée de jeunes gens habillés en pulls noirs trop grands s'affaire au milieu de coffres à roulette.

On tourne un épisode d'Avocats et Associés, et mon confrère putatif Robert Carvani trône majestueusement sur un des bancs de la galerie, discutant à voix basse avec un client des secrets d'un dossier en faisant abstraction du micro suspendu à dix centimètres de sa tête et de l'objectif de caméra encore plus proche que son client.

Avis donc aux spectateurs de cette série : si dans un épisode, vous voyez en arrière plan un avocat poser des sacoches de vélo pour enfiler sa robe, c'est votre serviteur qui passe à la télé.

Et pour une fois, il y aura eu un peu de réalité dans Avocats & Associés.

La cour d'appel de Versailles confirme le jugement Milka.

Vous vous souvenez de l'affaire Milka, du prénom d'une couturière d'origine yougoslave à qui ses enfants avaient offert le nom de domaine Milka.fr et qui a été poursuivie par Kraft Foods pour violation de leur droit exclusif sur cette marque ?

Les détails de l'affaire sont ici.

Je soulignais que cette décision était conforme au droit des marques et l'approuvait sans réserve.

Notre couturière de la Drôme n'a hélas pas lu mon blogue et a interjeté appel de cette décision, et la cour d'appel, apprends-je via Museedesmarques, vient de confirmer le jugement de Nanterre.

Avant de commenter cette affaire, merci de lire le premier article sur ce sujet. Juriscom est sur le point de publier cet arrêt, j'éditerai ce billet si nécessaire.

jeudi 27 avril 2006

Où l'on reparle de la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité

Où l'auteur sort d'un long mutisme pour se fendre d'un billet malgré un agenda chargé.

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dimanche 23 avril 2006

Rubrique nécrologique

La presse l'avait déjà enterré depuis longtemps, mais le CPE n'a rendu son dernier souffle que ce matin à zéro heure : la loi n°2006-457 du 21 avril 2006 sur l'accès des jeunes à la vie active en entreprise, dont l'objet principal est l'abrogation du CPE sans le dire, est parue au J.O. d'hier, et est donc entrée en vigueur aujourd'hui.

L'article 2 a effectivement disparu : ce ne sont pas les fumeurs qui financeront ces emplois aidés, mais tous les contribuables.

Cette loi n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel, qui ne s'est donc pas prononcé sur le sens à donner à ce "remplacement" sur la valeur des contrats déjà signés et sur son application dans le temps.

mercredi 19 avril 2006

Bug de la loi Perben : la cour de cassation lit mon blog.

Où l'auteur chope définitivement la grosse tête

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mardi 18 avril 2006

Une fable politique

A lire absolument chez Diner's room, un de mes compères de Lieu-Commun, une désopilante fable, Le singe, la fourmi, le héron et le rat.

Désopilante car comme toutes les fables, elle est inventée et totalement imaginaire. Jamais on ne verrait une telle pantalonnade dans un pays civilisé, un Etat de droit.

Décidément, après le théâtre, voici que les blogues ressuscitent la poésie. Qui a dit que l'internet était le domaine de la médiocrité, de la haine et de la calomnie ?

vendredi 14 avril 2006

Les dessous de France culture

Où l'auteur raconte son aventure dans la jet set médiatique.

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Discussion sur l'émission de ce matin

J'ouvre ce billet uniquement pour donner un point de chute aux commentaires sur l'émission de ce matin, que vous pouvez réécouter ici.

Je ferai un récit plus détaillé de l'envers du décor dans la journée.

jeudi 13 avril 2006

Un juste

C'est un magistrat chenu, l'hiver qui a recouvert ses cheveux témoigne de son expérience. Il siège dans un tribunal de grande instance dans le ressort du quel se trouve un aéroport international, où il exerce les fonctions de juge des libertés et de la détention, notamment dans la terrible matière du droit des étrangers, terrible matière qui fera prochainement l'objet d'une série de billets tant la colère monte en moi.

Les étrangers qui sont amenés devant lui viennent soit d'un centre de rétention des étrangers, soit d'une zone d'attente de l'aéroport. Congolais de RDC, Congolais de Brazzaville, Colombiens, Maliens, Nigérians, Biélorusses, ils fuient tous des criminels aux noms aussi variés que Cobras, Ninjas, FARC, et les pires de tous, Misère et Désespoir. Les malheurs du monde défilent dans son prétoire, escortés par des gardiens de la paix.

A l'appel de chacun des dossiers, il regarde droit dans les yeux l'étranger prendre place, essayant par un sourire empreint d'humanité d'apaiser la peur qui noue le ventre de celui qui comparaît. Jamais il n'oublie de faire précéder son nom de "Monsieur" ou "Madame", il s'adresse à eux en des termes calmes et respectueux. C'est peu dire que l'audience s'en ressent. La sérénité baigne le prétoire.

A un Congolais dont la voix étranglée par la peur et la fatigue n'arrive pas à exprimer dans un français qu'il maîtrise mal les raisons détaillées de sa fuite, il dit "Soyez sans crainte, le tribunal sait que l'on ne quitte pas son pays sans y avoir mûrement réfléchi et sans avoir de bonnes raisons de le faire". C'est une évidence, mais qu'il est bon de l'entendre rappeler.

Il examine les procédures avec un soin méticuleux, aidé en cela par des avocats de permanence particulièrement compétents, et sanctionne impitoyablement le moindre vice. Ainsi ce Yougoslave amené devant lui, à bout de forces à cause de l'épuisement (il n'a pas dormi depuis son placement en rétention il y a deux jours) et de désespoir : au moment de sa sortie de prison pour infraction à la législation sur les étrangers, alors qu'il était "sortant", on lui a notifié son placement en centre de rétention en vue de son expulsion et il a vu sa liberté promise s'envoler de sous son nez. Le placement en rétention mentionne bien l'heure de notification, mais pas la levée d'écrou, qui ne mentionne que la date. Or il est impératif que la notification ait eu lieu AVANT sa levée d'écrou. Comme le juge n'est pas en mesure de s'assurer que la procédure a été respectée, il l'annule, en rappelant que la constitution fait de lui le gardien des libertés individuelles. "Vous serez libre dans quatre heures, sauf si le procureur fait appel", dit-il en souriant à l'homme qui n'ose croire que son cauchemar va prendre fin.

Et ce dernier étranger, qui justifie avoir échappé à un attentat par balles le visant directement et à qui la police de l'air et des frontières chipote le caractère sérieux de sa demande d'asile (une victime d'attentat se doit de succomber pour être prise au sérieux par l'administration) et dont la famille en France offre de l'héberger, après avoir approché de son bureau pour signer le procès verbal de la décision ordonnant sa remise en liberté immédiate, sursaute quand le magistrat se lève pour lui serrer la main, poignée de main muette et non consignée au procès verbal mais que tout le monde comprend comme des excuses tacites : la place d'un homme qu'on veut assassiner n'est pas en zone d'attente le temps que la police le réexpédie en urgence dans son pays d'origine.

Beaucoup de ceux qui comparaissent aujourd'hui ressortiront libres, grâce à l'actions conjuguée d'avocats compétents et d'un juge ayant compris que l'enjeu de la matière n'est pas la maîtrise d'un flux que l'on voudrait choisi et non subi, mais la liberté d'individus, d'êtres humains, que l'on parque dans des conditions ignobles pour faire des statistiques en vue d'une prochaine échéance électorale.

Le parquet ne fera appel d'aucune de ses décisions.

Dans un pays qui est en train de perdre la raison quand on lui parle d'étrangers, il est un magistrat qui sauve notre honneur car il est juste, et il l'est au nom du peuple français.

mardi 11 avril 2006

Votre serviteur sur France Culture

J'ai la surprise et l'honneur d'être cité à comparaître aux Matins de France Culture ce vendredi 14 avril de 7h30 à 9 heures, aux côtés de Versac et d'un troisième blogueur qui reste à confirmer.

Voici un excellent moyen de commencer cette journée de jeûne, de méditation et d'introspection qu'est le Vendredi Saint.

Si quelqu'un veut un autographe d'Alexandre Adler, ça peut se négocier.

Site des Matins.

Liste des fréquences de France Culture.

lundi 10 avril 2006

La Nemesis du CPE

Bingo.

Voici le texte de la proposition de loi sur l'accès des jeunes à la vie active, qui sera le fossoyeur du CPE. Le législateur étant le seul qui jusqu'à présent ne s'était pas ridiculisé dans cette affaire, c'est à présent chose faite. Merci à qui se reconnaîtra pour ce document. Je grasse.


Proposition de loi sur l’accès des jeunes à la vie active

Article 1 :

Dans la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances, l’article 8 est remplacé par les dispositions suivantes :

« I - L’article L.322-4-6 du code du travail est ainsi rédigé:
Pour favoriser l’accès des jeunes à l’emploi et à la qualification professionnelle, les employeurs peuvent bénéficier d’un soutien de l’Etat lors de la conclusion, de contrats à durée indéterminée, à temps plein ou à temps partiel :
1° Avec des jeunes gens[1] âgés de seize à vingt-cinq ans révolus dont le niveau de formation est inférieur à celui d’un diplôme de fin de second cycle long de l’enseignement général, technologique ou professionnel ;
2° Avec des jeunes gens âgés de seize à vingt-cinq ans révolus qui résident en zone urbaine sensible ;
3° Avec des jeunes titulaires du contrat d’insertion dans la vie sociale[2] défini à l’article L322-4-17-3 du code du travail.

La durée du travail stipulée au contrat doit être au moins égale à la moitié de la durée du travail de l’établissement[3]. L’aide de l’Etat est accordée pour une durée de deux ans, le cas échéant de manière dégressive.

Ce soutien est cumulable avec les réductions et les allégements de cotisations prévus aux articles L. 241-64. L. 241-13 et L. 241-14 du code de la sécurité sociale ainsi qu’à l’article L. 241-13 tel que visé par l’article L. 741-4 du code rural et aux articles L. 741-5 et L. 741-6 de ce dernier code. Il n’est pas cumulable avec mie autre aide à remploi attribuée par I’Etat. Toutefois, les employeurs embauchant des jeunes en contrat de professionnalisation à durée indéterminée peuvent bénéficier de ce soutien, le cas échéant dans des conditions spécifiques prévues dans le décret mentionné ci-après.

Un décret précise les montants et les modalités de versement du soutien prévu ci-dessus.

II - L'article L.322-4-17-3 du code du travail est ainsi rédigé:
Toute personne de seize à vingt-cinq ans révolus rencontrant des difficultés particulières d’insertion sociale et professionnelle bénéficie à sa demande d'un accompagnement personnalisé sous la. forme d’un « contrat d'insertion dans la vie sociale », conclu avec l’Etat. Ce contrat fixe les engagements du bénéficiaire en vue de son insertion professionnelle et les actions engagées à cet effet, ainsi que les modalités de leur évaluation. L’accompagnement personnalisé est assuré, au sein de l’un des organismes mentionnés au premier alinéa de l’article L.322-4-17-2, par un référent qui établit avec le bénéficiaire du contrat, dans un délai de trois mois à compter de sa signature, un parcours d’accès à la vie active. Le référent doit proposer à ce titre, en fonction, de la situation et des besoins du jeune, l’une des quatre voies suivantes :

- un emploi, notamment en alternance, précédé lorsque cela est nécessaire d’une période de formation préparatoire ;
- une formation professionnalisante, pouvant comporter des périodes en entreprise, dans un métier pour lequel des possibilités d’embauche sont repérées ;
- une action spécifique pour les personnes connaissant des difficultés particulières d’insertion ;
- une assistance renforcée dans sa recherche d’emploi ou dans sa démarche de création d’entreprise, apportée par l’un des organismes mentionnés au 3ème aliéna de l’article L. 311-1.

Après l’accès à remploi, l’accompagnement peut se poursuivre pendant un an. Les bénéficiaires d’un contrat d'insertion dans la vie sociale sont affiliés au régime général de sécurité sociale dans les conditions prévues aux articles L 962-1 et L. 962-3 pour les périodes pendant lesquelles ils ne sont pas affiliés à un autre titre à un régime de sécurité sociale.

Un décret fixe les caractéristiques des personnes qui peuvent bénéficier de l’accompagnement, ainsi, que la nature des engagements respectifs de chaque partie au contrat, la durée maximale de celui-ci et les conditions de son renouvellement. »

Article 2 Les charges éventuelles qui résulteraient pour l'Etat de l’application de la présente loi sont compensées par l’augmentation à due concurrence des tarifs visés aux articles 575 et 575A du code général des impôts[4].

La présente loi sera exécutée comme loi de l'Etat[5].


Mon opinion ? Hallucinant. Ce n'est plus de l'acrobatie, c'est de la haute voltige.

Pas un mot n'est dit sur le CPE.

D'accord, on ne parle pas de corde dans la maison d'un pendu. Mais il eût été intéressant de savoir comment s'applique concrètement la disparition de ces contrats, surtout du fait de la technique originale qui est employée.

On "remplace" un article de loi qui se suffisait à lui même par un article qui modifie le Code du travail.

L'article 1er de cette proposition de loi pouvait très bien commencer directement par "I - l'article L.322-4-6 du Code du travail est ainsi rédigé : ...". C'est dissimuler l'abrogation avec la même élégance qu'on dissimule la poussière sous un tapis.

Se pose du coup un problème d'application de la loi dans le temps.

L'article 8 est entré en vigueur le 3 avril 2006. Cette loi remplaçant cet article 8 alors que rien ne l'imposait juridiquement, faut-il en déduire que ces nouvelles dispositions entreront en vigueur au 3 avril 2006 ? Dès lors, les CPE seront ils rétroactivement annulés ? Visiblement, il n'a pas effleuré l'esprit de nos députés que quiconque ait pu passer outre l'injonction présidentielle de ne pas appliquer la loi qu'il venait de signer.

Je parlais dans mon billet de ce matin de colifichets. Les députés dépassent toutes les espérances.

Exit le Contrat Première Embauche, voici le contrat "d'insertion dans la vie sociale" (qui inclut sûrement une invitation à Paris Blogue-t-il) qui n'est pas un contrat de travail, ce qu'était le CPE, et qui consiste à se voir désigner un "référent", expression à la mode, qui va proposer dans les trois mois un "parcours d’accès à la vie active".

En quoi consiste ce parcours ? Au début, je pensais au parcours d'accès à la vie active de tous les français : chambre à coucher - WC - salle de bain - cuisine - métro. Mais non.

Là, c'est une perle : c'est soit "un emploi, notamment en alternance, précédé lorsque cela est nécessaire d’une période de formation préparatoire" ; soit "une formation professionnalisante, pouvant comporter des périodes en entreprise". Oui, vous avez bien lu. Soit un boulot avec une formation, soit une formation avec un boulot. Il suffisait d'y penser.

Et pour couronner le tout, un superbe néologisme : une formation professionnalisante, qui n'est ni une formation préparatoire à un emploi (qui est prévue par l'alinéa précédent) ni une formation professionnelle (qui comme son nom l'indique ne suppose pas un contact avec le monde du travail).

C'est officiel : les shadoks sont au pouvoir.

Notes

[1] Jeunes gens, un nouveau concept juridique rempalçant le jeune de moins de 26 ans.

[2] Un jeune titulaire d'un CIVIS fait il ou non parties des "jeunes gens" prévus aux 1° et 2° ?

[3] si quelqu'un comprend cette phrase, merci de me l'expliquer

[4] Traduction : par l'augmentation des taxes sur le tabac, c'est les buralistes qui vont être contents.

[5] Si tel est le bon plaisir du Président de la République, bien sûr.

In memoriam CPE

Ainsi, la nouvelle est tombée : le CPE sera "remplacé" par des colifichets pour l'insertion des jeunes en difficulté. Pas retiré, pas abrogé, remplacé.

Visiblement, l'activité de réflexion politique de ce dimanche a essentiellement consisté en la consultation du dictionnaire des synonymes pour trouver le mot idéal qui apaisera les syndicats, redonnera le goût des études aux jeunes bloqueurs, et défroissera la susceptibilité du premier ministre, dont les talents de poète sont bloqués sur la rime abrogation / démission, rime tout juste suffisante.

Donc, voilà le remède du jour : le CPE sera remplacé. Pas abrogé, remplacé, tout comme la loi a été promulguée mais pas appliquée.

Juridiquement, ça donne quoi ?

N'en déplaise au premier ministre, un remplacement est une abrogation.

Une loi s'applique de son entrée en vigueur [1] à son abrogation.

Cette abrogation peut être expresse ("L'article 8 de la loi du 31 mars 2006 est abrogé"), ou tacite, quand la loi nouvelle est clairement incompatible avec l'ancienne. Le terme remplacement laisse supposer que la loi qui va être votée au pas de charge devrait être rédigé dans cet esprit : "L'article 8 de la loi du 31 mars 2006 est ainsi rédigé", ou "est remplacé par les dispositions suivantes : bla bla bla".

Il demeure que le texte remplaçant l'article 8 actuellement en vigueur l'abroge puisque ce texte ne sera plus applicable. J'insiste sur le "actuellement en vigueur" tant nombre de commentateurs semblent considérer que le texte est d'ores et déjà supprimé (notamment Marie-Eve Malouine, Chef du service politique de France Info). Tant que l'article 8 n'a pas été abrogé, remplacé, ou ce que vous voulez, le CPE reste en vigueur.

Bref, le mot "remplacé" n'est pas du droit, c'est de la communication, et mes lecteurs savent quelle tendresse j'ai pour cette science appliquée au politique. Et je me désole de voir avec quelle docilité il est repris par les journalistes qui n'ont pas l'air de se demander si avec ce mot sorti de son chapeau, le président de la république n'est en train de se payer notre tête une fois de plus.

Quid alors des CPE signés sur des modèles à 10 euros ou des modèles mis à disposition gratuitement sur internet ?

De deux choses l'une : soit la future loi règle expressément leur sort en édictant les règles qui s'y appliquent, soit elle est muette sur la question. Le mutisme est tentant car toute disposition transitoire ne ferait que pointer du doigt l'horrible vérité : on a bel et bien abrogé le CPE à l'insu de Dominique de Villepin. Si la loi ne dit rien, ce sera aux Conseils de prud'hommes de trancher.

Aventurons nous un peu sur le terrain mouvant de l'extrapolation juridique. Terrain d'autant plus mouvant que nous sommes en matière sociale, ou des règles particulières s'appliquent, puisqu'il est toujours possible de déroger à la loi dans un sens favorable au salarié, mais dans ce sens là seulement.

Le principe est qu'une loi n'est pas rétroactive, sauf si elle le dit expressément. Puisque nous sommes dans une hypothèse de mutisme de la loi, sa rétroactivité est donc à écarter. Je précise qu'en matière pénale, le principe de non rétroactivité est absolu, c'est une protection fondamentale, un des droits de l'homme.

Si une loi n'est pas rétroactive, elle est en revanche d'application immédiate. Donc, à l'entrée en vigueur de cette loi nouvelle, il ne sera plus possible de signer de CPE.

Un CPE signé malgré cette abrogation ce remplacement sera requalifié en CDI de droit commun. Toutefois, si le contrat stipule l'indemnité de 8% en cas de rupture, il y a gros à parier que le CPH l'estimera due en cas de rupture pour cause réelle et sérieuse, puisqu'il s'agit d'une stipulation en faveur du salarié.

Et qu'en sera-t-il des CPE signés AVANT l'abrogation du CPE ? Puisque nous sommes en matière contractuelle, le principe est qu'il y a survie de la loi ancienne pour respecter l'équilibre voulu par les parties. Les CPE signés avant l'abrogation devraient rester valables (je le répète : nous sommes dans l'hypothèse où rien n'est dit dans la loi d'abrogation) jusqu'à l'expiration de la période de consolidation, où ils deviennent des CDI de droit commun. Outre le respect rigoureux des règles d'application de la loi dans le temps, des raisons d'opportunité viennent renforcer cette position : d'une part, les spécificités qui font le CPE ayant une durée de vie limitée à deux ans maximum, tous les CPE finiront par disparaître à brève échéance ; d'autre part, le CPE protège le salarié en cas de rupture en lui accordant une indemnité d'un montant considérable par rapport à un CDI, il n'est pas laissé dans une position désavantageuse par rapport à un salarié ordinaire.

Autre possibilité, plus sévère mais plus simple : au nom de l'ordre public et de l'égalité des salariés, tous les CPE sont immédiatement requalifiés en CDI et les Conseils de prud'hommes refusent d'appliquer les règles du licenciement non notifié (mais appliquent l'indemnité de rupture).

Bref, pour ménager l'ego du premier ministre par l'emploi de termes inappropriés, on ouvre une situation d'incertitude juridique pour les salariés et les employeurs. Le bouquet final est à la hauteur du reste du spectacle.

Mais il y en a qui doivent danser de joie, me direz-vous, ce sont les étudiants et lycéens ? Grâce à leur héroïque obstination à ne pas vouloir étudier, ils sont à l'abri de la "période d'essai" de deux ans et du licenciement non motivé ?

Et bien non, même pas.

Car si le CPE, faute d'estocade législative, aura droit à un déshonorant descabello, son frère jumeau le Contrat Nouvelles Embauches (CNE), lui, se porte comme un charme (400.000 signés pour une création nette de 140.000 emplois, claironne le gouvernement). Et rappelons que le CNE est un CPE qui s'applique à tout âge, moins de 26 ans inclus, pour les entreprises de moins de 20 salariés, c'est à dire là où les syndicats sont souvent absents et où il n'y a parfois aucune institution représentative du personnel (s'il y a moins de 11 salariés). Pour le reste, sa rédaction est identique à celle du CPE[2] : il y a une période de consolidation de deux ans, et la lettre de rupture n'a pas à être motivée.

Le CPE avait un avantage pour les jeunes : il ouvrait la porte des grandes entreprises, où l'emploi est nettement plus stable que dans des petites structures, qui certes recrutent plus, mais sont à la merci du premier retournement de la conjoncture économique.

Les étudiants ont remporté leur victoire d'Ausculum. Bon courage pour le bachotage de ces prochains mois (cette dernière phrase est dépourvue de toute ironie, je suis sincère, ils vont en baver).

Notes

[1] soit le lendemain de sa publication au JO sauf si la loi prévoit une entrée en vigueur repoussée le temps de mettre en place les structures nécessaires, la loi Perben II est un superbe exemple, avec une dizaine de dates d'entrée en vigueur différentes

[2] Voyez vous même : lisez l'article 2 de l'ordonnance du 2 août 2005 et l'article 8 de la loi du 31 mars 2006 : c'est un copier/coller.

vendredi 7 avril 2006

Leader d'opinion

Plusieurs lecteurs ont eu la gentillesse de me le signaler : Le Monde m'a promu au rang de "leader d'opinion", aux côtés d'un prestigieux avocat général, d'un capitaine de la marine à voile et à vapeur, d'un professeur de droit d'informatique de re-non, d'un lieu-commun, et d'un ultralibéral de gauche, entre autres.

Las, les leaders d'opinion sont gens bien ingrats, et voilà que la médaille en chocolat à peine apposée sur mon pyjama de satin, je mords la main qui vient de me caresser.

En effet, je tiens à signaler au Monde que les quelques lignes qui me sont consacrées recèlent une erreur : mon blog promeut la pensée unique depuis non pas avril 2005 mais depuis avril 2004 (oui, je souffle mes deux bougies le 15). Pour le savoir, il suffit de regarder la liste de mes archives, en bas à droite de n'importe quelle page de mon blog. Bon, le journalisme d'investigation, c'est pas le truc de tout le monde.

Mais l'informatique non plus : le lien vers mon site sur la version internet de l'article est mort car un correcteur trop rigoureux a tenu à faire figurer l'accent circonflexe sur le i de mon nom de domaine. Or "maître.eolas.free.fr" donne, une fois converti en langage intelligible par un navigateur ma%c3%83%c2%aetre.eolas.free.fr. Ce qui n'est pas l'adresse de mon site, et n'est pas facile à prononcer, en plus.

Difficile d'être un leader d'opinion quand les brebis ne peuvent trouver leur berger.

Mais bon, je ne jouerai pas les divas : je suis surpris (n'ayant pas été contacté préalablement à l'article) et flatté de cette promotion imméritée. Que vais je donc pourvoir faire de cette gloire soudaine ?

Qui a dit "Eolas Président" ?

Mise à jour (11h57) : Pas de doute, je SUIS un leader d'opinion. A peine ma remarque mise en ligne, le lien était réparé. Rendez vous compte. Une phrase, un clic, et Le Monde rectifie aussitôt. Même Dominique Baudis n'a pas réussi ce tour de force. Bon, comment on fait pour les tribunaux, maintenant ?

jeudi 6 avril 2006

Dé-libérez les Pieds Nickelés

(Où l'auteur lève le voile sur le destin de nos livreurs de shit kebab)

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mercredi 5 avril 2006

Les pieds nickelés sont dans la place

Où l'auteur tourne enfin la page du CPE et retourne dans le prétoire pour y tomber nez à nez avec ses nouveaux ennemis.

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mardi 4 avril 2006

La FIDL est elle ultralibérale ?

Où l'auteur, après avoir défié le pouvoir, se fâche avec la jeunesse de son pays.

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lundi 3 avril 2006

La pensée du jour

Article 432-1 du Code pénal :

Le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique, agissant dans l'exercice de ses fonctions, de prendre des mesures destinées à faire échec à l'exécution de la loi est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75000 euros d'amende.

C'est curieux, ce texte me fait penser à quelqu'un mais je n'arrive pas à savoir qui...

(Merci aux commentateurs qui ont signalé ce délit, il est vrai d'application plutôt rare).

Entrons en résistance républicaine

Ainsi, le Président de la République, après avoir signé une loi, demande à ne pas l'appliquer, et comme aucun moyen légal ne lui permet de s'assurer de l'effectivité de cette mesure (ou de l'ineffectivité de la loi, si vous me suivez), le ministre de la cohésion sociale a décidé de ne pas faire imprimer les contrats type pour faire obstacle à l'application de ce contrat sur lequel rappelons-le le gouvernement de ce même ministre a engagé sa responsabilité.

Que le CPE ne soit ni fait ni à faire, c'est une chose. Mais que l'exécutif complote ainsi au vu et au su de tout le monde pour faire obstacle à l'application de la loi, outre le fait que cela pourrait bien relever de l'article 68 de la constitution, est une insulte à la démocratie et surtout à la liberté contractuelle, qui a valeur constitutionnelle.

Alors, à titre de pied de nez à mon confrère Jean-Louis, voici un modèle de CPE, prêt à signer. Et par dérogation à l'usage sur ce blog, je le mets à disposition librement de quiconque le souhaite : vous pouvez librement l'utiliser et le modifier. Bon, j'aurais mauvaise grâce à m'en réserver les droits puisque je me suis abondamment inspiré du modèle de Contrat Nouvelle Embauche, qui, lui, est toujours disponible sur le site du ministère de l'emploi et de la cohésion sociale.

Ceci n'est pas une approbation du texte de loi sur le CPE ; c'est un geste de résistance. Signer ou non un CPE relève de la liberté de l'employeur et du salarié, et pas des acrobaties démagogiques d'un président qui ne doit de ne pas avoir été remplacé vendredi par le président du Sénat qu'au fait que le ridicule ne tue pas.

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dimanche 2 avril 2006

Le CPE au JO

La loi sur l'égalité des chances est au JO d'aujourd'hui, son nom complet étant loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances, qui est quand même plus joli que son deuxième nom administratif : SOCX0500298L.

La loi entre donc en vigueur demain à zéro heure, et il sera tout à fait légal de signer des CPE, quoi qu'en dise notre président bien aimé.

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