Au coeur des émeutes de l'automne dernier, j'avais raconté l'ambiance électrique qui pouvait régner dans certains tribunaux de banlieue à cette époque dans ce billet : La banlieue dans le prétoire.
Un confrère, Atoon, racontait son expérience dans un commentaire :
Un petit mot pour confirmer tes impressions d'audiences : j'ai assuré la défense d'un jeune à une audience dans des circonstances similaires : tentative d'incendie d'un centre social reconnu par un prévenu qui dénonce trois des ses amis. Les trois dénoncés nient. Aucune enquête de police, audience de comparution immédiate dans une ambiance très similaire au cas que tu évoques et conclusion : tout le monde a pris 12 mois dont 7 fermes avec mandat de dépot.
Je ne sais pas si mon client était coupable, il a 23 ans, un casier vierge, n'a qu'une envie c'est de partir de sa banlieue et le voilà en prison pour 7 mois (moins les remises automatiques) et un avenir professionnel un peu plus compromis.
J'ai fait appel et j'ai espoir (vain sans doute).
Je me demande cependant comment notre société compte faire grandir le respect du à la justice dans ces cités à partir du moment où les citoyens y sont traités par la justice de façon aussi légère.
J'imagine si en bas de chez moi une voiture avait brulé, la police aurait fait une enquête, ordonné confrontation des prévenus (ce qui n'a pas été fait dans le cas que j'évoque), interrogé des témoins, fait des constatations matérielles et n'aurait renvoyé à une audience normale que les personnes contre lesquelles ils existaient d'autres preuves qu'une simple dénonciation.
En période de crise, les garanties des justiciables semblent s'effacer d'autant plus vite qu'ils viennent de certains milieux...
Pour finir l'anecdote, à la même audience j'ai assisté un jeune plus blanc et habitant un quartier plus fréquentable qui avait reconnu avoir brulé plusieurs voitures. Pompier volontaire, j'ai plaidé la pyromanie et la prise en charge médicale. Il n'a écopé que d'une peine avec sursis...
Ce même confrère vient de reprendre contact avec moi pour me raconter la suite.
L'appel a eu lieu aujourd'hui, mon client a été relaxé au vu de l'indigence du dossier. Son honneur est sauf, mais il a passé un peu plus de trois mois en prison. A noter qu'à l'audience, l'avocat général m'a carrément fait la leçon en ces termes : votre client aurait mieux fait de purger sa seine et de s'en contenter plutot que d'interjeter cet appel dénué de toute chance d'aboutir.
Comme quoi, il ne faut pas toujours écouter les confrères qui m'ont tous dissuadé de faire appel également (je précise comme tu l'as deviné que je ne fais pas partie de la grande caste des pénalistes).
Comme je lui ai répondu, cette relaxe obtenue en appel contre l'avis du parquet général et surtout de cet aréopage de confrères bien intentionnés l'y fait renter au contraire par la gande porte.
Les propos de l'avocat général tels qu'ils sont rapportés peuvent surprendre et méritent d'être interprétés. Ce magistrat n'a certainement pas voulu dire que quand on est condamné à tort, il vaut mieux ne pas faire appel malgré tout plutôt que d'oser insinuer qu'un tribunal s'est trompé. Cette appréciation repose sur un calcul simple : condamné début novembre, à sept mois fermes, cela veut dire libération au bout de cinq mois (soit date de sortie début mars, peine purgée) et possibilité de libération conditionnelle mi janvier, c'est à dire qu'il pouvait espérer être libéré avant que l'appel ne soit jugé, tandis que son appel, ayant un effet suspensif, empêchait le jeu des réductions de peine et a fait que le prévenu a comparu détenu devant la cour. Dès lors, faire un appel aurait été un très mauvais calcul de la part de l'avocat si la condamnation avait été confirmée. Voilà le fondement du reproche formulé par l'avocat général.
Ce genre de calcul est fréquemment fait par les prévenus condamnés à de courtes peines de prison (du genre deux ou trois mois fermes) qui savent, s'ils ont de l'expérience, ou apprennent très vite à la maison d'arrêt qu'ils sortiront plus vite s'ils ne font pas appel. Et les juges des tribunaux correctionnels le savent très bien eux aussi. Le tuning de la peine existe pour décourager les appels sur des dossiers où l'intime conviction du juge l'emporte sur les faits matériels dans le dossier.
Et voilà un prévenu qui a effectué trois mois de détention pour rien. Et qui a eu le courage de préférer la prison à l'admission d'un délit qu'il n'avait pas commis contre l'espoir d'une plus prompte sortie. Un mini Outreau, qui passera inaperçu et donnera lieu à une indemnisation misérable.
Je ne vais pas me lamenter en versant des larmes de crocodiles sur cette justice qui se trompe parfois. La justice peut se tromper, parfois aussi en relaxant un coupable, et de telles détentions sont inévitables. Traitez moi de cynique désabusé, mais j'en fais mon parti. Tant que je ne serai pas infaillible, je n'aurai pas le front d'exiger que d'autres le fussent. Je voulais juste que cette affaire, noyée dans le maëlstrom quotidien du traitement en temps réel, qui emporte juges, procureurs, avocats et surtout prévenus et parties civiles, ne passe pas par perte et profit.
Car le jugement qui a envoyé un innocent trois mois en prison commençait par ces mots : Au Nom du Peuple Français.