Fousia, étudiante en droit m'a laissé un commentaire me posant des questions sur la profession d'avocat, qu'elle envisage d'embrasser. Ses interrogations étant assez générales, je vais y répondre ici, au risque de faire quelques redites.
Depuis mon plus jeune âge j'ai souhaité faire des études de droit et par la suite, je l'espère, devenir avocat. (…) Pourquoi? C'est une question que je me pose encore et qu'on me pose souvent. La réponse est, je crois, face aux injustices que je et j'ai pu constater. Moi même étant petite j'ai beaucoup cotoyé les tribunaux et juges pour diverses raisons. Et ce métier particulièrement, car j'aime m'exprimer. Je m'énerve parfois seule dans mon coin lorsqu'il m'arrive d'assister à des procès et que je ne vois pas l'avocat d'une partie défendre son client du plus profond de ses tripes, du moins tel qu'il le faudrait. C'est parfois à peine si on l'entend prononcer un mots, tel une petite souris.
Vous faites preuve ici d'une vision très idéalisée du métier d'avocat. C'est un métier formidable, sans nul doute, mais quitte à vous lancer dans la profession, autant le faire pour de bonnes raisons et en connaissance de cause.
Le rôle de l'avocat n'est pas de lutter contre des injustices. Parfois, il peut même être amené à tenter d'en provoquer. Des clients vous demanderont de leur gagner du temps face à une somme d'argent qu'ils doivent, vous pourrez même parfois décourager son adversaire face au coût de sa défense, ou le faire trébucher grâce à la procédure.
L'avocat défend les intérêts de ses clients. Pas de la société, pas de la justice, de ses clients. C'est pour ça qu'il vous paye, ce n'est pas un mécène épris d'équité et de votre talent oratoire. Et jusqu'à ce que vous soyez un richissime avocat de réputation internationale, vous ne choisirez pas vos clients : c'est eux qui vous choisiront. Tous les avocats n'ont pas l'opportunité de défendre Alfred Dreyfus, ou Guillaume Seznec (deux affaires perdues dans le prétoire, au passage). Vous serez amenée à défendre des cons, des désagréables, des salauds, des gens qui ne vous mériteront pas, qui vous paieront au mieux avec leur mépris. Et vous devrez les défendre de votre mieux, en déployant toute votre science, et en y mettant toutes vos tripes. C'est ça d'ailleurs que les juges attendront de vous.
Rassurez vous toutefois. Dans la majorité des affaires que vous traiterez, la Justice, au sens de vertu universelle et idéal philosophique, ne sera pas en cause. Votre client sera un type normal, pas malhonnête par nature, qui ne nuit à personne, sans répandre le bien autour de lui. Vous, moi, quoi. Et sa demande sera banale. Quand un consommateur veut demander la nullité d'un contrat de vente pour non respect des délais, qu'un emprunteur poursuivra la déchéance des intérêts contractuels parce que le TEG n'était pas mentionné dans l'offre préalable, quand un couple viendra vous voir pour divorcer parce qu'ils ne peuvent plus s'entendre, ou si vous faites du droit de l'urbanisme ou de la copropriété, il n'y aura pas de position juste contre une position injuste. Il n'y a que du droit, dépassionné et technique.
Quant à vos confrères à la voix étranglée et aux "effectivement" redondants, vous réaliserez vite que l'art oratoire est très difficile, d'autant qu'on s'y forme sur le tas. Il est difficile de ne pas avoir la gorge serrée et sèche les premières fois qu'un juge se tourne vers vous, le stylo à la main, prêt à prendre des notes, en vous disant "Maître, vous avez la parole". Souvenez-vous de votre hargne la première fois que vous vous prêterez à cet exercice, et vous vous sentirez emplie de compassion pour vos confrères.
Avant d'entrer à la faculté de droit, l'avocat était dans ma vision beaucoup plus partie prenante dans le procés. Je veux dire par là qu'un avocat pouvait par exemple faire référence à la morale etc... Mais en entrant à la fac, je me suis rendue compte que l'on ne devait que se référer à la loi et la loi seule. Je vous avoue que cela m'a frappée. Je m'étais créée une image idéaliste du métier d'avocat.
Je crois que dans toutes les facs, le premier sujet de dissertation est "droit et morale" pour dissiper d'entrée de jeu tout malentendu. Ce sont deux matières différentes. La morale est du domaine de la philosophie, pas du journal officiel. Et il en va de même avec l'histoire, suis-je tenté d'ajouter. J'ai déjà raconté ici que lors de ma première cours d'assises, le président m'avait vertement objecté la première fois que j'ai pris la parole "Maître, nous sommes ici pour faire du droit, pas de la morale" parce que j'émettais des réserves sur le fait que la partie civile était la fille mineure de l'accusée et ignorait qu'elle faisait un procès à sa mère.
J'aimerais vous demander alors si lors de vos plaidoiries il vous était déja arrivé de ne pas dire quelque chose qui vous semblait importante, mais qui selon les règles du droit n'a rien à faire dans une plaidoirie?
J'ai du mal à imaginer une telle hypothèse. Si cette chose est importante, elle doit figurer dans ma plaidoirie, parce que le droit prévoit assez d'outils pour que le juge adapte au mieux sa décision aux circonstances de fait. Dès lors, selon les règles du droit, elle a quelque chose à faire dans ma plaidoirie. Il m'est arrivé de taire quelque chose qui semblait important aux yeux de mon client, oui. Parce que cet élément n'a objectivement aucun intérêt pour le juge ou enfoncerait mon client. Mais qui me semblait important à mes yeux, non, l'hypothèse me paraît absurde.
A l'opposé vous est il arrivé de mettre en avant, lors d'un procés, quelque chose avec laquelle vous n'êtes pas d'accord dans votre plus profond intérieur? Vous est-il arrivé de défendre quelque chose avec laquelle vous n'êtes pas d'accord? Si oui, comment?
Oui, cela peut arriver. C'est l'aspect porte parole de l'avocat, l'office de parler, d'exprimer ce que le client n'est pas capable d'exprimer clairement à l'audience, faute d'éducation ou parce que face à un tribunal quelqu'un de non habitué perdra aisément ses moyens. Dans ce cas, on traduira son propos pour que le magistrat comprenne la mentalité du client, pourquoi il agit ainsi, car rien n'est pire qu'un juge qui ne comprend pas comment fonctionne celui qu'il juge. Dans ce cas, l'avocat prendra de la distance avec son client : il laissera clairement entendre qu'il ne partage pas le point de vue qu'il exprime, que c'est celui de son client, mais que ce point de vue, aux yeux de l'avocat (qui étant extérieur peut se permettre d'exprimer une opinion) est tolérable.
C'est fréquent dans les affaires de stupéfiant, ou de presse par exemple. Je ne soutiens à titre personnel la consommation d'aucun produit stupéfiant, ni l'injure raciale ou homophobe. Ce n'est pas pour ça que je refuserai de défendre un consommateur d'héroïne, un présentateur-producteur-rédacteur de SMS, ou un député craignant pour la survie de la race humaine dans le marais. Dans ces derniers cas, si je ne suis pas d'accord avec les propos exprimés, je puis toutefois me référer à une valeur supérieure, la liberté d'expression, qui s'applique aux imbéciles qui ont envie de dire des imbécilités.
Et une dernière, que peut-on et ne peut-on pas dire dans une plaidoirie?
Le juge est la mesure de toute chose. Le braquer ou le mettre de mauvaise humeur est à proscrire. De manière générale, il faut être respectueux avec les magistrats. Leur fonction l'impose, la plupart le mérite, et un avocat vociférant n'est pas écouté.
Au pénal, faire le procès de la victime est très risqué : il faut l'attaquer avec sa besace bien garnie de munitions, sinon, c'est l'empathie assurée.
Dire que la loi est mauvaise et qu'il ne faut pas l'appliquer est une ânerie : les juges sont là pour l'appliquer, ils ont prêté serment en ce sens, même s'ils sont d'accord avec l'avocat sur le fond. Mieux vaut leur suggérer comment l'appliquer au mieux.
D'un point de vue plus légal, l'avocat plaidant jouit d'une immunité pour le délit d'injure et de diffamation au cours de sa plaidoirie et dans les actes du procès. C'est "l'immunité de la robe". Mais elle est limitée aux stricts faits de la cause, et aux propos et écrits tenus dans le cadre de la procédure, non pas devant la presse sur les marches du palais.
Enfin, certains aspects du secret professionnel interdisent de tenir certains propos même dans l'intérêt du client : répéter des propos que nous a tenus l'avocat adverse, ou faire état des échanges informels avec le juge d'instruction est une faute déontologique, et ne sera pas pris en compte qui plus est, l'opinion du juge d'instruction important peu pour la juridiction de jugement et les propos de l'avocat adverse qui seuls seront retenus seront ceux tenus à la barre.
Cette liste ne saurait être exhaustive : c'est ce qui m'est revenu à la fortune de la plume. Vos premières années d'exercice font partie intégrante de votre formation, vous le verrez. Vous découvrirez vous même quelles règles s'appliquent : pensez simplement à vous projeter à la place de votre auditoire, qui n'est pas votre client mais le tribunal. Qu'attend-il de vous ? Quelles questions se pose-t-il ?
Voilà ce qui doit diriger votre réflexion au moment où vous vous levez et que tous les yeux sont tournés vers vous.