Un jour de permanence à la 23e chambre (qui juges les comparutions immédiates), je mets à profit quelques instants de battement pour discuter avec un autre avocat de permanence nos dossiers respectifs, histoire d'échanger des idées.
Il m'explique qu'un des ses clients du jour est poursuivi pour des faits de violences avec arme de 6e catégorie (armes blanches), en l'occurence une barre de fer de 30 cm. Le dossiers est mauvais : le mobile de l'agression sent le racisme à plein nez, le prévenu était ivre mort et en garde à vue a raconté une version délirante selon laquelle il défendait en réalité un ami (dont il ne connaît ni le nom de famille ni le numéro de téléphone, numéro qui ne figure pas dans le répertoire de son téléphone mobile), et qu'il n'a sorti sa barre de fer que lorsque trois copains de sa victime qui passaient par là par hasard sont venus lui prêter main forte. Or la victime est un provincial qui était venu avec sa fiancée passer le week end en amoureux à Paris. Quant à la barre de fer, il explique que c'est la première fois qu'il est sorti avec, parce qu'il a lui même été agressé il y a peu. Ajoutons qu'il a été interpellé immédiatement par une patrouille de police qui passait derrière lui à ce moment là, patrouille qui dément totalement l'agression préalable. Bref, un roi du baratin, qui nie l'évidence et fait le procès de la victime. Tout ce qui met un juge de bonne humeur.
Les points positifs du dossier sont l'absence de casier du condamné, son profil d'étudiant bien inséré et le fait que les blessures sont très légères (deux jours d'incapacité totale de travail, s'il n'y avait pas la barre de fer, il ne serait pas en correctionnelle).
Il m'indique qu'il a montré à son client les invraisemblances du récit, et lui a conseillé de dire la vérité, qui est facile à deviner : l'agressivité exacerbée par l'alcool, le mensonge inventé sous le coup de l'angoisse de la garde à vue. Qu'il présente ses excuses et s'engage à indemniser la victime, qui présente une demande très raisonnable, et ça devrait bien se passer.
En effet, assumer sa responsabilité quand on est en faute n'est pas un réflexe naturel, mais c'est ce qu'attend le tribunal et pour peu qu'il y ait des accents de sincérité dans cette attitude, la décision s'en ressent. Je conviens pour ma part que c'est en effet ce qu'il y a de mieux à faire.
Quelques heures après, ce jeune homme est introduit dans le box. La présidente constate son identité, rappelle la prévention et constate son consentement à être jugé aujourd'hui. Puis elle rappelle brièvement les faits, qui sont simples, et se tourne vers lui en disant : « Alors, aujourd'hui, qu'est ce que vous avez à dire sur ce qui s'est passé ? ».
Et aussitôt, le prévenu se lance dans son histoire de légitime défense de son ami-dont-il-ne-connaît-que-le-prénom, des amis qui passaient par là, sans changer un iota. Du coin de l'oeil, j'observe mon confrère, qui regarde ses notes sans broncher. D'un air détaché, il prend son stylo et semble prendre des notes. En fait, il écrit rageusement « Putain mais quel c... ! »
Seul hommage au travail en amont de son défenseur, il conclut son récit épique en précisant qu'il regrette profondément ce qui s'est passé et présente ses excuses à la victime.
Le procureur est à la fête. Un provincial vient à Paris avec sa fiancée pour agresser des gens dans la rue, c'est certain. Le monde est petit puisqu'à ce moment viennent à passer non pas un, non pas deux, mais trois de ses amis, venus eux aussi, quel hasard, agresser des passants à Paris. Et vaillament, il prend la défense de quelqu'un que visiblement il connaît à peine puisqu'il ne peut que donner son prénom, et encore, c'est peut être bien un surnom. Et cette barre de fer, quelle prévoyance louable. Mais voyons, s'il a défendu son ami, il n'a pas à exprimer de regrets ni d'excuses à présenter ! Au contraire, il devrait exiger les acclamations du tribunal ! Il demande pour le repos du guerrier un séjour, aux frais de la République reconnaissante, de huit mois ferme avec maintien en détention.
Son avocat ne peut que se dissocier de cette version des faits, invoquer la peur du tribunal qui paralyse la raison, insister sur le caractère léger des blessures, sur l'absence totale d'antécédents judiciaires.
Et contenir sa rage contre son client sous un masque d'impassibilité quand le tribunal colle six mois fermes à celui-ci, sans maintien en détention toutefois.
Si vous saviez combien de fois cela m'est arrivé à moi aussi. Et combien de fois cela m'arrivera encore ?
Prévenus, n'écoutez jamais votre avocat. Vous êtes plus malin que lui et plus malin que tout le monde. Baratinez les juges, ce sont des sots crédules qui ne connaissent rien à la vie. Et tout se passera bien.