En droit, les données du problème sont les suivantes (où on quitte le domaine de la programmation pour celles du droit, et où je redeviens maître chez moi) :
Pour résumer d’entrée, le délit de contrefaçon est au droit de l’auteur d’une œuvre sur celle-ci, ce que le vol est au propriétaire d’une chose.
En effet, la loi protège l’auteur d’une œuvre contre toute atteinte à ses droits sur celles ci.
Qu’est ce qu’une œuvre, quels sont ces droits ?
Une oeuvre est une création de l’esprit, quels qu'en soient le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
L’article L.112-2 du code de la propriété intellectuelle en donne une liste fort longue mais non exhaustive. Les logiciels y figurent au 13°.
La seule condition est l’originalité de cette oeuvre. Le plagiat n’est pas protégé. Les simples idées non plus, il faut que l'oeuvre soit matérialisée. Notons que les textes législatifs et assimilés (décrets, arrêtés…) ne sont pas protégés et peuvent être reproduits à l’envie.
L’auteur d’une œuvre a, du seul fait de sa création, deux droits sur celle-ci, outre un droit moral au respect de son œuvre qui ne nous intéresse pas ici : un droit de représentation et un droit de reproduction.
La représentation d’une œuvre est une présentation publique éphémère de celle ci. C’est le cas d’une représentation théâtrale (le terme droit de représentation vient de là), de l’exposition publique d’un tableau, de la déclamation d’un poème ou d’un discours (ou d’une plaidoirie...),etc.
La reproduction d’une œuvre est sa fixation sur un support matériel (photographie d’un tableau, enregistrement d’une chanson, gravage d’un logiciel sur un CD, ou son installation sur un disque dur, etc…).
Premier élément à bien comprendre : la propriété du support ne se confond pas avec la propriété de l’œuvre.
L’auteur d’une oeuvre de l’esprit cède à un tiers (maison de disque, éditeur) le droit de reproduire son œuvre. Ces reproductions sont mises en vente, l’auteur touchant une part déterminée du produit de la vente. On parle de redevance, ou improprement de royalties.
Le fait que vous soyez propriétaire d’un CD de Mireille Mathieu, d’un exemplaire de Windows XP professionnel, ou d’un album de bande dessinée ne vous rend pas propriétaire de l’œuvre qui y figure. Vous n’avez pas le droit de la reproduire (L’œuvre, hein, pas Mireille Mathieu, mais je m’égare), seul l’auteur de l’œuvre ou celui à qui il a cédé le droit de reproduction peut le faire.
Ne pas respecter cela, c’est porter atteinte au droit de l’auteur de l’œuvre. Cette atteinte est appelée de manière globale une contrefaçon et c’est un délit. Utiliser une œuvre contrefaite est aussi un délit, c’est le recel de contrefaçon.
Le délit de contrefaçon est défini par l’article L.335-2 du Code de la propriété intellectuelle :
« Toute édition d'écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit. La contrefaçon en France d'ouvrages publiés en France ou à l'étranger est punie de trois ans d'emprisonnement et de 300 000 euros d'amende. ''Seront punis des mêmes peines le débit, l'exportation et l'importation des ouvrages contrefaits. Lorsque les délits prévus par le présent article ont été commis en bande organisée, les peines sont portées à cinq ans d'emprisonnement et à 500 000 euros d'amende. »''
En matière de logiciels, domaine qui nous intéresse dans l’affaire Guillermito, les articles L.122-6 et L.122-6-1 apportent les précisions suivantes, eu égard à la nature particulière de ces œuvres :
Art. L. 122-6 : Sous réserve des dispositions de l'article L. 122-6-1, le droit d'exploitation appartenant à l'auteur d'un logiciel comprend le droit d'effectuer et d'autoriser :
1º La reproduction permanente ou provisoire d'un logiciel en tout ou partie par tout moyen et sous toute forme. Dans la mesure où le chargement, l'affichage, l'exécution, la transmission ou le stockage de ce logiciel nécessitent une reproduction, ces actes ne sont possibles qu'avec l'autorisation de l'auteur ;
2º La traduction, l'adaptation, l'arrangement ou toute autre modification d'un logiciel et la reproduction du logiciel en résultant ;
3º La mise sur le marché à titre onéreux ou gratuit, y compris la location, du ou des exemplaires d'un logiciel par tout procédé. Toutefois, la première vente d'un exemplaire d'un logiciel dans le territoire d'un Etat membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen par l'auteur ou avec son consentement épuise le droit de mise sur le marché de cet exemplaire dans tous les Etats membres à l'exception du droit d'autoriser la location ultérieure d'un exemplaire.
Art. L. 122-6-1 :
I. Les actes prévus aux 1º et 2º de l'article L. 122-6 ne sont pas soumis à l'autorisation de l'auteur lorsqu'ils sont nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser, y compris pour corriger des erreurs.
Toutefois, l'auteur est habilité à se réserver par contrat le droit de corriger les erreurs et de déterminer les modalités particulières auxquelles seront soumis les actes prévus aux 1º et 2º de l'article L. 122-6, nécessaires pour permettre l'utilisation du logiciel, conformément à sa destination, par la personne ayant le droit de l'utiliser.
II. La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l'utilisation du logiciel.
III. La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut sans l'autorisation de l'auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n'importe quel élément du logiciel lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu'elle est en droit d'effectuer.
IV. La reproduction du code du logiciel ou la traduction de la forme de ce code n'est pas soumise à l'autorisation de l'auteur lorsque la reproduction ou la traduction au sens du 1º ou du 2º de l'article L. 122-6 est indispensable pour obtenir les informations nécessaires à l'interopérabilité d'un logiciel créé de façon indépendante avec d'autres logiciels, sous réserve que soient réunies les conditions suivantes :
1º Ces actes sont accomplis par la personne ayant le droit d'utiliser un exemplaire du logiciel ou pour son compte par une personne habilitée à cette fin ;
2º Les informations nécessaires à l'interopérabilité n'ont pas déjà été rendues facilement et rapidement accessibles aux personnes mentionnées au 1º ci-dessus ;
3º Et ces actes sont limités aux parties du logiciel d'origine nécessaires à cette interopérabilité.
Les informations ainsi obtenues ne peuvent être :
1º Ni utilisées à des fins autres que la réalisation de l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ;
2º Ni communiquées à des tiers sauf si cela est nécessaire à l'interopérabilité du logiciel créé de façon indépendante ; '' 3º Ni utilisées pour la mise au point, la production ou la commercialisation d'un logiciel dont l'expression est substantiellement similaire ou pour tout autre acte portant atteinte au droit d'auteur.''
V. Le présent article ne saurait être interprété comme permettant de porter atteinte à l'exploitation normale du logiciel ou de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.
Toute stipulation contraire aux dispositions prévues aux II, III et IV du présent article est nulle et non avenue.
Je sais, ce n'est pas simple, mais qui a prétendu que le droit était une discipline facile ?
En l’espèce, quelle est la contrefaçon que le juge d'instruction a estimé suffisamment caractérisée ?
1. Tout d’abord, la version de Viguard qu’aurait utilisée Guillermito n’aurait pas été achetée dans le commerce mais aurait été une copie sans licence d’utilisation ("warez"). Ce serait une violation directe de l’article L.335-2 du code de la propriété intellectuelle.
2. A défaut de cette licence, les opérations de désassemblage seraient illicites et constitueraient également le délit de contrefaçon. De ce défaut de licence découle donc une grande partie des charges, car la plupart des actes accomplis par Guillermito seraient licites avec une licence d’utilisation : en effet, le désassemblage du logiciel est licite en vertu de l’article L.122-6-1, III :
« La personne ayant le droit d'utiliser le logiciel peut sans l'autorisation de l'auteur observer, étudier ou tester le fonctionnement de ce logiciel afin de déterminer les idées et principes qui sont à la base de n'importe quel élément du logiciel lorsqu'elle effectue toute opération de chargement, d'affichage, d'exécution, de transmission ou de stockage du logiciel qu'elle est en droit d'effectuer. »
(Je souligne.)
3. Enfin, il aurait distribué gratuitement des logiciels tirés des sources du logiciel VIGUARD, en reproduisant ainsi celles ci sans l’autorisation de leur auteur, ce qui est également une contrefaçon.
Ce qui peut paraître surprenant, et provoque tant de réactions outragées dans le landernau de l'internet, c’est que ce qui est reproché à Guillermito n’est pas d’avoir fait savoir urbi et orbi qu’il pense que le logiciel Viguard est moins efficace que le prétend TEGAM, mais d’avoir fait sa démonstration à partir d'une version « warez», une copie illégale du logiciel.
Pourtant, on peut supposer que TEGAM International est plus remontée contre Guillermito pour avoir publié une telle affirmation avec démonstration à l’appui, à laquelle un expert judiciaire n’a rien trouvé à redire, que pour s’être procuré UN exemplaire de leur logiciel sans leur payer la redevance correspondante (prix de vente public chez Surcouf : 118,40 € TTC).
Mais comme je l’indiquais, le fait d’affirmer que tel produit est inefficace n’est pas un délit ni même une faute civile pouvant entraîner une condamnation à dommages-intérêts si l’affirmation est exacte et démontrée.
TEGAM International a-t-elle intenté ces poursuites pour punir indirectement Guillermito d’avoir dénigré leur produit ? Peut-être, je ne ferai pas de procès d’intention à cette société, mais ce serait tout à fait légal, même si c’est moralement discutable. Vous vous souvenez, droit et morale, patati, patata…
Demain : Concrètement, comment ça va se passer, ou : le déroulement d’une audience correctionnelle, petit manuel de survie, et de savoir vivre.