Quelqu’un m’a demandé, dans le prolongement du vade-mecum précédent, de faire une note sur le fait de se défendre soi même devant un tribunal correctionnel. [Mise à jour : j'ai jouté le mot correctionnel suite à une remarque pertinente de Padawan. Ces remarques ne s'appliquent pas à une juridiction civile, où les audiences sont fort différentes, mais il y faudrait un autre vade mecum... Je ne traite donc ici que de la défense devant une juridiction répressive : tribunal de police et tribunal correctionnel, l'asistance d'un avocat étant obligatoire devant une Cour d'assises]
Je vais y répondre très simplement.
Je vous exhorte à ne pas le faire.
Permettez moi d’emblée de désamorcer toute polémique sur le fait que je défendrais ma chapelle, et qu’il ne faut pas s’attendre à voir un avocat encourager les prévenus à se passer d’eux.
Voici mes raisons, à vous de les juger.
Tout d’abord, le droit pénal est une matière complexe. Lire le code pénal et le code de procédure pénale ne suffit pas. L’avocat est un professionnel du droit, il y a 5 ans, bientôt 6 ans d’étude pour y arriver. Aucun bouquin de vulgarisation n’arriveront à remplacer ces années d’études des textes et de la jurisprudence, outre des controverses doctrinales entre professeurs de droit, connaissance sans cesse maintenue à jour par une lecture régulière du Recueil Dalloz et de la revue trimestrielle de droit civil, entre autres, auxquelles s’ajoutent l’expérience des tribunaux.
Ensuite, l’avocat a de par sa fonction d’auxiliaire de justice des possibilités pour préparer une défense qui sont fermées au prévenu : notamment l’accès au dossier au greffe du tribunal, pour lui permettre de prendre connaissance des procès verbaux de police à la recherche des fameuses nullités et de ce que lira le juge. Il a une indépendance protégée par la loi jusqu’à certaines limites, qui lui permet le cas échéant de s’accrocher avec le président du tribunal qui sort de sa réserve ou rétorquer à un procureur exagérément répressif, ce qu’un prévenu ne pourrait faire sans encourir une peine sévère voire un outrage à magistrat.
De plus, l’avocat vous accompagne à l’audience, il est à vos côtés. C’est tout bête mais quand vient le moment, c’est précieux. Même s’il est taisant la plupart de l’audience, c’est comme un garde du corps. En cas de coup dur, il est là pour vous tirer d’un mauvais pas. Et l’ambiance d’un prétoire ne l’impressionne pas plus que le fait de devoir prendre la parole en public.
Il a une vision extérieure de l’affaire, n’étant pas partie. Son analyse technique n’est pas altérée par la peur d’aller en prison, la rancœur que peut éprouver la victime, ou par le traumatisme des faits.
Il a l’expérience des tribunaux, voire du président lui même. Il sait ce que le tribunal attend, ce qui est de nature à entraîner sa clémence. Il vous préparera à l’audience, vous mettra en garde contre de mauvaises tactiques de défense ou des mensonges trop visibles. J’ai déjà écrit sur le sujet.
Il vous conseillera sur l’opportunité de faire appel ou non et pourra même le faire pour vous.
Tandis que l’avantage de se défendre soi même est simple : ça économise les frais d’avocat. Point.
A vous de voir, c’est votre liberté qui est en jeu.
Sinon, on me demande aussi si cela est fréquent et si c’est bien ou mal vu.
Fréquent, oui. Une bonne moitié des affaires, dirais je totalement subjectivement. Mais c’est souvent par ignorance : le prévenu ne sait pas qu’il existe l’aide juridictionnelle, ou comment la demander, ou croit qu’il faut le demander le jour de l’audience. Je constate souvent que chez les jeunes mineurs (jusqu’à 25 ans), ce sont les parents qui font les démarches, voire payent les honoraires.
Mal vu, non, je n’ai jamais eu cette impression. Si les tribunaux sont sans doute plus sévères avec ceux qui ne sont pas assistés d’un avocat, ce n’est pas à cause de cette absence, mais plutôt du défaut de défense effective et efficace.
Cela dit, il est vrai qu’il est impossible de savoir quelle eût été la peine prononcée pour la même affaire par le même tribunal selon qu’un avocat aurait été présent ou non.
Ma consœur blogueuse Veuve Tarquine racontait il y a tout juste un mois un échange entendu par elle à une audience, qui me paraît une bonne illustration. Je lui emprunte donc un petit extrait de son excellent billet . Le prévenu est poursuivi pour avoir blessé une personne en conduisant en état d’ivresse.
Je me souviendrai toujours d’un jeune homme sans avocat, qui en réponse à la question rabâchée « qu’avez-vous à dire pour votre défense ? » a répondu : « Rien du tout, je suis désolé, je n’aurais pas du boire autant, je n’en avais pas conscience, je n’imaginais pas que j’aurais pu blesser quelqu’un, je la prie de m’en excuser… ». Il bredouillait misérablement des excuses parfaitement sincères. La Présidente, qui rendait ses délibérés sur le siège, lui a alors fait connaître sa décision : « puisque vous n’avez rien à dire pour votre défense, je suis les réquisitions du Procureur ! » ce qu’elle prononce illico.
Ce à quoi j’avais fait observer qu’il avait bien dit quelque chose pour se défendre, qu’en fait, il avait fait une plaidoirie complète.
Ainsi l’exorde, qui vise à capter l’attention et la bienveillance de l’auditoire : "Rien du tout", ce qui est faux puisqu'il continue à parler, mais ainsi, il se met en position d'humilité et fait comprendre qu'il sera court, invitant le tribunal à lui accorder le peu d'attention dont il a besoin.
Puis il dit "je suis désolé" : c’est la confirmation qui pose l’argument de la défense et qui consiste en une acceptation de sa responsabilité avec la conséquence morale qui en découle : le remord.
Vient ensuite "je n’aurais pas du boire autant, je n’en avais pas conscience, je n’imaginais pas que j’aurais pu blesser quelqu’un" : voici la réfutation, qui combat l’argumentation adverse. En l’occurrence, le rejet de trois arguments l'accablant que pouvait retenir le tribunal : le prévenu n'invoque pas l'excuse de croire pouvoir conduire ivre, d'avoir pris le volant ivre en connaissance de cause, d'avoir sciemment pris le risque de blesser quelqu'un.
Enfin : " je la prie de m’en excuser… " : voici la péroraison, qui clôt un discours, où, comme conclusion logique de la reconnaissance de sa responsabilité, il s'adresse cette fois à la victime par l'intermédiaire du tribunal : c'est à elle que les remords s'adressent, non à la juridiction, c'est un appel à la réconciliation, au pardon, qui seul est de nature à mettre fin au trouble social causé par l'accident.
Il y a eu plaidoirie, la présidente ne s’en était même pas rendu compte.
Je pense que la présence d’un avocat aurait sûrement diminué la peine prononcée en deçà des réquisitions du parquet, ne serait ce que pour éviter un appel du prévenu.