Par Dadouche
La diffusion du film Parcours meurtrier d’une mère ordinaire s’achève et laisse une impression bizarre.
C’est un beau film, incontestablement, qui livre le portrait d’une femme à travers ses mots, dans des circonstances uniques, celles d’un procès d’assises.
Parfois poussée dans ses derniers retranchements par un président qui réclame de la cohérence et des explications qu’on “peut entendre”, parfois secourue par un avocat qui, selon le même président “casse la dynamique de l’interrogatoire”.
Une première impression : c’est un procès d’assises comme personne n’en verra jamais. Et pour cause, il n’a pas existé.
Certes, la reconstitution du dispositif est minutieuse : les robes, les jurés, le public, les dessinateurs, tout est là. Il paraît même que certains “personnages” ont joué leur propre rôle.
Le souci du détail est poussé très loin : on jurerait que Jean-Louis Courjault a prêté son blouson à son double télévisuel.
La retranscription des propos est sans doute fidèle, du moins dans les paroles “en longueur”.
On se doute, quand on connaît la procédure des Assises, que la dynamique des échanges a parfois été retravaillée. En effet, les témoins et experts doivent d’abord faire leur déposition et c’est ensuite, pour préciser leurs propos, que des questions sont posée. Le jeu de questions réponses qui apparaît dans le film est donc vraisemblablement l’équivalent scénaristique du montage.
C’est un procès qu’on n’a jamais entendu : quiconque a assisté à une audience dans une salle comme on en trouve dans tous les palais de justice sait que la sonorisation est souvent un problème majeur…
C’est un procès comme personne ne l’a vu : le point de vue est le plus souvent celui de l’accusée (avec des images d’ailleurs parfois très belles du reflet de celle-ci dans la vitre du box, regardant un témoin, le plus souvent son mari, au second plan, flou).
Aucun juré, aucun spectateur, n’a vu le procès comme cela. Il y a d’ailleurs très peu d’images du point de vue de la cour.
C’est un procès en gros plan, alors qu’une audience est toujours en plan large.
C’est un procès sous titré : les entretiens avec certains protagonistes, parfois juste après la reconstitution de leur audition à la barre, éclairent leurs propos, les précisent, les décryptent parfois.
Les interventions de Claude Halmos sont un contrepoint intéressant, qui contribue à dresser le portrait de cette femme.
Celles d’Henri Leclerc contribuent souvent à décrypter la difficulté de la “machine judiciaire” à appréhender une parole qui lui est parfois étrangère. Il a une réflexion très fine sur la sincérité des propos de sa cliente en garde à vue, qui complète ce qu’elle a essayé d’expliquer à la cour.
C’est un procès déconstruit. Le “plan” classique d’une audience d’assises, c’est généralement l’examen de la personnalité, avec le défilé des proches, des experts psychologues et psychiatres, puis l’examen des faits.
Le réalisateur a bouleversé la chronologie des interrogatoires et dépositions, dans un vrai travail journalistique de synthèse et de mise en perspective.
C’est un procès de regards : celui, fixé sur sa cliente, de Maître Nathalie Senyk, ceux qu’échangent les époux Courjault, ceux que voudrait fuir la famille Fièvre pendant qu’on parle d’elle
c’est un procès virtuel, mêlé au monde réel, entrecoupé d’images de la salle des pas perdus pendant les suspensions, des vrais journalistes en train d’enregistrer leurs sujets. On a parfois un temps d’arrêt devant une image de la porte de la salle d’audience : vraie ou fausse ?
C’est un procès d’experts, dont la parole retravaillée par les scénaristes à partir des “vrais” mots de l’audience devient pédagogique.
Mais c’est un procès qui n’existe pas, qui dure 105 minutes au lieu de dix jours d’audience, où tout est réduit, retravaillé.
C’est un beau film, un portrait de femme (et d’homme) saisissant, mais ça n’a rien à voir avec un procès.
C’est sans doute cela le plus intéressant ; le procès, l’objet de toutes les convoitises télévisuelles, a été détourné, malaxé, trituré pour en sortir quelque chose d’autre, qui va au delà du jugement des faits ou de celle qui les a commis.
Et des images du vrai procès, avec les contraintes que cela impliquerait quant au positionnement des caméras, le dérangement qui en aurait résulté dans l’ordonnancement judiciaire, n’auraient paradoxalement pas permis de faire ce film.
Je reste très réservée sur le principe de la reconstitution d’une audience. Mais il s’agissait là d’autre chose. Et c’est cet autre chose qui est si réussi.
Simplement, il ne faut pas y voir un procès, ni un compte rendu d’audience, juste un portrait.