Journal d'un avocat

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samedi 11 mai 2013

Du mariage pour tous (3e partie) : après la bataille

La modération est fatale. Rien ne réussit comme l’excès.
Oscar Wilde


Troisième et avant-dernier billet de ma trilogie en quatre billets sur le mariage pour tous, officiellement connu sous le nom de mariage entre personnes de même sexe. Un dernier volet sera consacré à la décision à venir du Conseil constitutionnel.

Des raisons professionnelles m’ont empêché de consacrer à mon blog le temps nécessaire pour le nourrir, d’où un long silence, qui aura au moins la vertu d’avoir laissé du temps au temps, au tumulte de s’apaiser, et à présent que le texte définitif a été adopté, de nous pencher sur la version finale de cette loi, pour répondre aux arguments des opposants.

Oh, je ne me fais guère d’illusion. Débat il y a eu, nul ne peut honnêtement dire le contraire, mais triste et pauvre débat, où les anathèmes, les slogans et surtout la Communication ont remplacé la Raison et les arguments. Michel Serres a raison de dire que le débat démocratique est stérile par nature. Soit la question est simple et clivante, comme celle-ci, et le débat vire au pugilat, ou elle est complexe et le débat meurt d’ennui.

Heureusement, il reste les blogs, où les deux camps sont réconciliés : on peut y avoir des débats sur des sujets ennuyeux virant au pugilat.

La loi à venir sera donc connue comme la loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe. Voici son texte définitif tel qu’il est soumis au Conseil constitutionnel. Elle devrait passer la rue de Montpensier sans subir trop d’outrages. Nous y reviendrons le moment venu.

Que dit la loi ?

Pour l’essentiel, cette loi pose clairement que la différence de sexe n’est plus une condition pour se marier, et en tire les conséquences en neutralisant grammaticalement les articles du Code civil qui étaient rédigés en impliquant nécessairement la différence de sexe des époux.

Elle précise que les mariages homosexuels conclus à l’étranger seront reconnus en France, même ceux passés antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi et que les Français domiciliés à l’étranger pourront épouser quelqu’un de leur sexe soit au consulat soit, si ce n’est pas possible, en France, dans la commune de leur choix.

Aussi surprenant que cela puisse paraître au regard des prises de position des opposants à ce texte, la loi est muette sur la filiation et quasi muette sur l’adoption (elle ne modifie que quelques règles d’attribution du nom de famille et ouvre un nouveau cas d’adoption par le conjoint, l’adoption simple de l’enfant adoptif par adoption plénière, cas qui profitera aussi aux couples de sexe différent). Le reste n’est que des disposition dites de coordination, c’est à dire la mise en conformité de textes que les modifications apportées par la loi priveraient de sens s’ils étaient laissés en l’état. C’est que, comme je l’avais déjà expliqué dans un précédent billet, l’adoption par un célibataire était déjà ouverte aux homosexuels, seule l’adoption par un couple étant réservé aux couples mariés. Le fait de permettre à deux personnes de même sexe de se marier leur permet automatiquement d’adopter ensemble, sans qu’il y ait quoi que ce soit à changer à la loi.

Voilà pour l’essentiel. Ajoutons qu’au titre des droits créés, elle permet désormais à un salarié homosexuel de refuser sans sanction une mutation dans un pays où l’homosexualité est un crime, pour l’anecdote. Difficile d’y voir la fin de la civilisation française, me direz-vous. Mais c’est parce que les arguments essentiels des opposants à cette loi se trouvaient dans ce qu’elle ne disait pas, mais impliquait selon eux. Soit. Allons donc dans les terres du non-dit et voyons ce qu’il en est.

Que ne dit pas cette loi ?

Je ne pense pas trahir la pensée des opposants à ce projet de loi en disant que leur rejet de cette loi se cristallise autour de trois points : la famille, par le changement qu’elle apporte au mariage, la parentalité, puisqu’elle va institutionnaliser le fait que deux hommes ou deux femmes puissent avoir un lien en commun avec un enfant, et la bioéthique, car cette loi impliquerait nécessairement des changements dans le domaine de la procréation médicalement assistée (PMA) et de la Gestation Pour Autrui (GPA). Tous les arguments soulevés par les opposants se rattachent à une de ces trois catégories.

Pour résumer, première catégorie : cette loi en changeant la définition du mariage changerait la nature de cette pierre angulaire de la famille, ce qui aurait des conséquences aussi graves qu’imprécisément exprimées. Deuxième catégorie : cette loi nierait la filiation père-mère dont nous sommes tous issus, brouillant ainsi les repères ; elle priverait les enfants du droit à avoir une père et une mère, en ce qu’elle permettrait que des enfants soient adoptés par deux hommes ou par deux femmes, les privant d’un référant de l’un ou l’autre sexe, ce qui nuirait immanquablement à leur développement harmonieux, l’explication de ce sacrifice de l’intérêt de l’enfant au profit de la satisfaction du désir d’un couple homosexuel étant la manifestation de l’apparition d’un droit à l’enfant. Enfin, et c’est l’argument le plus juridique, cette loi voulue au nom de l’égalité impliquerait nécessairement, au nom de cette même égalité, de permettre à un couple de personnes de même sexe d’enfanter, ce qui signifie devoir permettre la procréation médicalement assistée (PMA) aux couples de femmes, et, une inégalité apparaissant du coup avec les couples d’hommes, il n’y aurait d’autre choix que de légaliser la gestation pour autrui (GPA), seul le statu quo ante de l’interdiction du mariage homosexuel pouvant maintenir fermée cette boite de Pandore.

Encore une fois, je ne prétends pas à l’exhaustivité de l’argumentation des nombreux et très actifs opposants à cette loi. Je me concentre sur le cœur de leur argumentation, celui qui est partagé par tous (le rejet assumé des homosexuels est un exemple d’argument qui n’est pas partagé par tous les opposants, et je le compterai pour rien, même si le déni qui est apparu autour de la réalité de ce rejet chez bien des opposants est assez spectaculaire).

J’ai ici une bonne nouvelle pour les adversaires de cette loi, qui aura le mérite de les consoler de son adoption et de sa prochaine entrée en vigueur : aucun de ces arguments ne tient.

La fin du mariage tel que nous l’avons connu

Je ne m’attarderai pas sur la réfutation de cet argument, qui a déjà fait l’objet de mes deux premiers billets. Le mariage est inchangé par cette loi, hormis les articles qui, d’après la Cour de cassation, impliquaient implicitement mais nécessairement la disparité des sexes. Rappelons que jamais un texte n’a expressément interdit le mariage entre deux personnes de même sexe. Même la définition coutumière de l’Ancien Droit, repris dans les Institutes de Loysel, qui pose la définition du mariage apparent, ignore cette condition : « Boire, manger, et coucher ensemble c’est mariage ce me semble ». Déjà au XVIIe siècle, la précision de la différence de sexe était superflue.

Le Code civil a une liste de cas où le mariage est prohibé : il s’agit du trop jeune âge, de l’existence d’un précédent mariage non dissous, et de la proche parenté. Les trois prohibitions traditionnelles du mariage de l’impubère, de la polygamie et de l’inceste. La loi nouvelle n’a pas eu besoin de les modifier. Elle ne lève pas une interdiction, elle lève une ambiguité. Que mes lecteurs qui, comme moi, sont mariés se rassurent : rien, absolument rien ne changera à leur situation et à leurs droits. Le mariage civil reste l’union de deux êtres qui décident de lier intimement leurs destins, de s’engager respectivement à s’assister, se secourir, et s’être fidèles, et à régler le sort de leurs biens futurs. Le mariage religieux n’est pas touché par cette loi, puisque la laïcité interdit d’intervenir dans des règles théologiques. Quant au fait pour un adversaire de cette réforme de mal vivre le fait de s’inscrire dans une institution désormais ouverte aux homosexuels, je ne puis répondre que deux choses : primo, apprenez à vivre avec, on ne va pas interdire à des gens de se marier parce que cela vous pose un problème ; secundo : arrêtez de dire que vous n’êtes pas homophobe.

La parentalité, ou : un papa, une maman, oui je parle comme un enfant

La filiation, qui est le lien de droit unissant un être humain à ses deux géniteurs, est absolument inchangée par cette loi, et pour cause. La loi humaine peut beaucoup, mais elle est incapable de renverser celles de la génétique : à l’heure où j’écris ces lignes, pour engendrer un être humain, il faut un homme et surtout une femme. L’enfant ne naît pas du mariage (plus d’un primogène sur deux naît hors mariage en France), il ne naît pas de l’amour (l’espèce humaine aurait disparu depuis longtemps si cette condition était nécessaire), il naît de l’accouplement, de la rencontre de deux gamètes, un mâle et un femelle, le tout aboutissant dans un environnement favorable au développement de l’embryon, à savoir un utérus. Le taux d’être humain né ainsi est de l’ordre de 100%, il n’y a qu’un cas documenté faisant exception à cette règle, mais la fiabilité de cette documentation est sujette à controverse.

La loi dont il s’agit ici ne change rien à cette situation, qui ne relève pas du droit mais du fait. Le voudrait-elle qu’elle ne le pourrait point, mais ça tombe bien, elle n’en avait pas l’intention.

Le Code civil fixe les règles permettant d’établir le lien de filiation avec le père et la mère, car ce lien entraîne des conséquences juridiques très importantes : la filiation engendre l’autorité parentale, les obligations réciproques des parents et des enfants, et fait de l’enfant le continuateur juridique de la personne de son auteur (c’est le terme juridique qui désigne les père et mère biologiques) puisqu’il a vocation à recueillir la succession (notez le terme succession, qui indique bien que cela s’inscrit dans le cycle des générations) de celui-ci.

Pour faire bref, il ne peut y avoir simultanément que deux liens de filiation : un maternel et un paternel. Dans le cas d’un couple marié, l’établissement de ce lien est très simple et se fait sans intervention des parents : la mention du nom de la mère dans l’acte de naissance établit ce lien, et le mari est présumé être le père : sa paternité est établie par cette présomption. Dans le cas d’un couple non marié, la règle change pour le père (pas pour la mère) : il doit reconnaître sa paternité, ou à défaut la mère peut la faire établir en justice, afin de le contraindre à assumer financièrement la charge de son enfant, et à permettre à celui-ci d’hériter le moment venu.

Et la loi sur le mariage pour tous ne change rien à ces règles, même mon ami Koztoujours, opposant à cette loi, est obligé d’en convenir, même si par coquetterie il feint de soutenir le contraire.

Donc rassurez-vous, chers opposants à cette loi : un enfant restera conçu par un homme et une femme. Mais cela ne veut pas dire qu’il a forcément “un papa et une maman”, pour reprendre le registre de vocabulaire régressif adopté dans les manifestations et encore moins qu’il aurait « droit à un père et une mère ». Ce droit n’a jamais existé que dans votre imagination.

Et l’article 7 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) ? Ce traité international, ratifié par la France, ne proclame-t-il pas le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ? Non. Il proclame, voici l’article 7 en entier, c’est moi qui graisse : L’enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d’acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux.

« Dans la mesure du possible ». Ces cinq mots renferment la clé de beaucoup de choses dans cette controverse. Car dans la mesure du possible, un enfant sera toujours élevé par ses parents. C’est quand ce n’est pas possible, et malheureusement c’est souvent le cas, que des solutions alternatives sont envisagées.

Paternité biologique, paternité sociologique

La rencontre d’un homme et d’une femme n’est nécessaire qu’au stade de la conception. Le géniteur, ou la génitrice, peut ne pas avoir la vocation d’être père ou mère, ou pour le premier ignorer qu’il a conçu un enfant ou décéder avant la naissance. Et même si cet auteur défaillant peut être contraint à assumer ses obligations envers cet enfant, rien ne peut l’obliger à l’aimer, à le recevoir, à s’en occuper. Et face à ce parent absent, un autre peut apparaître et prendre sa place, c’est le beau-père ou la belle-mère, terme impropre car il désigne en fait le père ou la mère du conjoint ; en français, le nouveau compagnon de la mère s’appelle le parâtre, et la compagne du père, la marâtre. Hélas, les contes de fée ont eu raison de ces jolis mots qui ont pris un sens trop péjoratif pour être revendiqué.

L’augmentation considérable du nombre de familles recomposées (elles ont toujours existé : Blanche Neige et Cendrillon ont grandi dans une famille recomposée) a conduit les sociologues à distinguer entre deux paternités : la paternité biologique, qui se limite à la transmission du patrimoine génétique mais suffit à fonder le lien juridique de filiation (le juriste est féru de certitude plus que d’amour), et la paternité sociologique, qui est le comportement de celui qui n’est pas le père ou la mère mais se comporte comme tel. C’est celui qui est présent et aide l’enfant à se construire en le bordant le soir et en lui racontant une histoire, en le consolant quand il a du chagrin, en lui apprenant à faire du vélo sans les roulettes ou à contrer un rush Zerg. À tel point que l’enfant peut finir par considérer ce parâtre ou cette marâtre comme son véritable parent, jusqu’à vouloir en prendre le nom, ce qui est impossible. Cet état de fait est sociologiquement admis, et même approuvé, et la loi a ouvert certains droits au parent sociologique en cas de séparation d’avec le parent biologique pour lui permettre de maintenir des liens affectifs avec cet enfant qui n’est pas le sien : c’est lui le tiers visé par l’article 371-4 du code civil. Notons que cet enfant a pourtant affectivement deux pères et une mère ou deux mères et un père, qui peuvent avoir des droits sur lui, et personne n’enfile de sweat-shirt à capuche rose pour autant. À croire que le problème se pose uniquement en présence d’homosexuels. Mais ce n’est qu’une impression trompeuse, puisque les opposants se défendent d’être homophobes, et qui suis-je pour les contredire ?

Le problème serait en fait, m’expliquent les opposants, l’identité des sexes sous le même toit, ce qui ne concerne exclusivement les homosexuels que par une coïncidence cocasse. Admettons la coïncidence, mais passons l’argument au crible de la Raison.

L’adoption par un couple homosexuel

La réforme funeste serait donc de permettre à deux personnes de même sexe d’adopter un enfant.

Rappelons que juridiquement, rien n’interdit à un homosexuel d’adopter, surtout depuis que la France a cessé (ou est censée avoir cessé) sa politique de discrimination systématique, même si ce ne fut pas facile. Le problème se pose pour l’adoption dans le cadre d’un couple homosexuel. L’impossibilité est incidente : elle est due au fait que la loi ne permet l’adoption par un couple que si celui-ci est marié. Cet obstacle va être levé, et deux hommes ou deux femmes mariés ensemble vont pouvoir avoir adopter un enfant, ou, ce qui sera l’hypothèse la plus fréquente, l’époux pourra adopter l’enfant de son conjoint sans que celui-ci se voit dépouiller de son autorité parentale. À suivre les débats parlementaires, qui furent de haute volée, cette perspective a profondément troublé l’opposition à ce texte.

Je ne reviendrai pas sur l’adoption, déjà abordée dans le billet précédent, sauf sur un point qui était erroné (j’ai rectifié mon billet). Rappelons que l’adoption peut prendre deux formes : l’adoption simple, la seule prévue par le Code civil de 1804, et la plénière, créée par une loi de 1966 qui brise le lien de filiation existant et y substitue définitivement un lien de filiation adoptive fictif. Contrairement à ce que j’écrivais dans mon précédent billet, l’acte de naissance original de l’enfant est cancellé et un nouveau est inscrit dans les registres de l’état civil. Rien dans les copies intégrales qui en sont délivrées ne mentionne son caractère fictif, seuls l’officier d’état civil et le procureur de la République, en charge de la surveillance de la tenue de ces registres et y ayant donc un accès direct, peuvent le savoir mais ils sont tous deux tenus au secret.

L’adoption simple ne pose pas de problème, en vérité. Elle crée un lien entre l’adoptant et l’adopté tout en laissant subsister sa filiation biologique avec ses deux parents. Toutefois, ces parents biologiques sont dépossédés de l’autorité parentale qui est transférée à l’adoptant ou aux adoptants. Seule exception : si l’adoptant adopte l’enfant de son conjoint, ce conjoint conserve son autorité parentale, faute de quoi l’adoption perdrait tout son intérêt.

L’adoption plénière est plus brutale en ce qu’elle crée une filiation fictive. Les opposants en tirent argument : comment diable cette fiction tiendra-t-elle en présence de deux hommes ou de deux femmes ? L’enfant ne sera pas dupe une seconde, contrairement à l’enfant adoptif d’un couple hétérosexuel qui aura le bonheur de vivre dans le mensonge peut-être toute sa vie. La réponse que j’apporterai est la suivante : cette fiction tiendra autant que quand un couple hétérosexuel européen adopte un petit africain ou asiatique. Pas une seconde. Et alors ? Faut-il interdire l’adoption interraciale pour maintenir cette précieuse fiction ? Personne ne le pense, et puis, qui donc défilait en nombre au cri de « on ne ment pas aux enfants » ? Que ces amoureux de la vérité dite aux enfants (je suppose que les leurs n’ont jamais cru au Père Noël…) se réjouissent : l’adoption par un couple homosexuel rend impossible tout mensonge aux enfants. Voilà un excellent argument pour qu’ils soutiennent cette loi.

L’absence de référent sexuel

Je mentionne cet argument pour mémoire. Il n’est pas juridique, mais psychanalytique. Cet argument est ramené à sa juste valeur par cet article de Sylvie Faure-Pragier, publié dans Le Monde. La théorie de la nécessité d’une mère et d’un père pour l’équilibre psychique est démentie chaque jour par les orphelins de père et de mère, qui surmontent leur chagrin et deviennent des être humains complets et équilibrés, merci pour eux, ou par les enfants de veuf ou veuves, ou par les parents célibataires. Quant à l’argument que ces enfants seraient plus sujets que d’autres à devenir eux-même homosexuels par imitation (en supposant que ça soit mal d’être homosexuel, ce qui est exclu puisque les opposants nient toute homophobie, et qui suis-je pour les contredire?), il suffira de constater que l’imitation de leurs parents hétérosexuels n’a pas découragé les homosexuels de devenir ce qu’ils sont.

À ce sujet, il me semble nécessaire de dissiper un malentendu qui semble répandu chez les antis : il n’a jamais été question de retirer des enfants à des familles hétérosexuelles épanouies pour les confier de force à des couples homosexuels. L’adoption concerne essentiellement trois groupes d’enfants : les pupilles de l’Etat, les orphelins étrangers et les enfants du conjoint. Les pupilles de l’Etat sont des enfants situés en France et abandonnés, ayant perdu leur famille ou ayant été retirée de celle-ci car ils y étaient en danger. Tous ne sont pas juridiquement adoptables, et tous ceux l’étant sont généralement très rapidement placés dans une famille en vue de leur adoption plénière (800 par an environ pour 25000 candidats agréés, couples et individus mélangés). Les enfants étrangers sont ceux de l’adoption internationale (la Russie étant un des principaux pays d’origine) et les enfants du conjoint étant un cas à part, puisqu’ils sont déjà dans une famille, et que cette adoption vise à permettre aux deux parents d’agir en tant que tels. C’est dans cette dernière catégorie que se situera la très grande majorité des adoptions homosexuelles, c’est-à-dire pour officialiser une situation existant déjà. Pour les pupilles de l’État, l’agrément préalable permet de s’assurer que l’enfant sera accueilli dans les meilleures conditions ; quant à l’adoption internationale, les pays ayant ouvert l’adoption aux homosexuels, comme la Belgique et l’Espagne, n’ont pas connu de diminution des adoptions internationales, au contraire.

L’abominable homme des neiges théorie du gender

Des nombreux moments de rigolade qui ont accompagné mon écoute des débats parlementaires, la référence récurrente à la théorie du genre, ou pour souligner son abomination, prononcée en anglais du gender n’a pas été le moindre. C’est une superbe illustration du néant argumentatif que ce débat a pu atteindre, quand les adversaires à cette loi n’ont eu d’autre recours que d’inventer un ennemi imaginaire, ce qu’en rhétorique on appelle l’homme de paille.

La théorie du genre serait, selon ses détracteurs (vous verrez qu’elle n’a que des détracteurs) une théorie qui nierait la différence des sexes pour n’en fait qu’un acquis social, et voudrait qu’hommes et femmes soient parfaitement identiques et interchangeables, et par conséquence combattrait toute allusion, y compris dans la loi, à cette différence pourtant inscrite dans la nature. La loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe serait frappée du sceau de l’infamie en étant un avatar de cette théorie, qui ne visait qu’à faire disparaître du code toute allusion à la différence des sexes.

Illustration avec cette intervention toute en finesse et en analyse du député Xavier Breton, lors de la 3e séance du 3 février 2013 :

M. Xavier Breton. Cet amendement revient sur la question cruciale de l’altérité sexuelle. Sur les bancs du Gouvernement et de la majorité, vous niez la reconnaissance de l’altérité sexuelle dans notre droit. Vous êtes les porte-parole de l’idéologie du gender, à moins que vous n’en soyez les prisonniers.

Que promeut cette idéologie ? Elle prétend que le seul chemin pour atteindre l’égalité entre les hommes et les femmes, que nous souhaitons toutes et tous sur ces bancs, ne vous en déplaise, c’est de supprimer les différences en les niant. En fait, vous êtes incapables de penser ensemble l’égalité et la différence.

Le problème, c’est que les différences, notamment corporelles, subsistent. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas lutter contre les stéréotypes qui conduisent à des inégalités et à des injustices.

Mais est-ce qu’au-delà ou en deçà de ces stéréotypes, il reste une différence entre un homme et une femme ? Entre un père et une mère ? Pour un enfant, un père est-il la même personne qu’une mère ? Une mère est-elle la même personne qu’un père ? Pour vous, oui ; pour nous, non.

Voici l’amendement n°3279 en question. Je vous laisse chercher le rapport entre son contenu et le discours tenu pour le défendre.

La réalité est que la théorie du genre n’existe pas. Ce qui existe sont les études de genre (gender studies) : il s’agit d’un domaine de recherche interdisciplinaires visant, je cite wikipédia, une réflexion sur les identités sexuées et sexuelles, répertoriant ce qui définit le masculin et le féminin dans différents lieux et à différentes époques, et s’interrogeant sur la manière dont les normes se reproduisent jusqu’au point de paraître naturelles. Ce n’est que cela, un sujet d’étude, et c’est déjà beaucoup. Il nourrit des réflexions, des critiques, des controverses, et la connaissance de ce que nous sommes en sort grandie. Il est triste de voir dans le pays de Descartes un sujet d’étude transformée en idéologie pour secourir une argumentation qui se sent trop boiteuse avec les faits.

La bioéthique, ou le syndrome de Frankenstein

Dans le Frankenstein de Mary Shelley, le docteur Frankenstein, scientifique de génie, crée la vie, mais sa créature finit par le détruire. Le syndrome de Frankenstein, en sciences, désigne cette peur que le progrès scientifique se retourne contre nous et nous détruise. Cette phobie est très répandue, et se pare volontiers du vocable de principe de précaution pour sous couvert de bon sens refuser tout progrès, au cas où, on ne sait jamais. Le doute interdisant la réflexion. Et la bioéthique lui a fourni un terrain très fertile.

Une précision d’entrée de jeu : le projet de loi déposé comme celui adopté ne traitent pas de la question de la bioéthique. Une réforme est envisagée, ce qui est normal puisque c’est un sujet en perpétuelle évolution et surtout les trois textes de bioéthique (1994,2004 et 2011) ont été adoptés sous une majorité de droite et ont un fort penchant conservateur. La gauche a son mot à dire aussi, et n’a jamais eu l’occasion de le dire. Un projet de loi sur la famille est censé fournir un véhicule législatif adéquat pour rouvrir ce débat, mais je crains fort qu’il ne soit mort-né, le Gouvernement ayant été échaudé par le mariage pour tous et ayant eu son compte de sweat à capuche rose et de bougies en profile pic sur Twitter.

Quels étaient les points soulevés par les opposants à ce texte ? Ils étaient de deux ordres : l’extension de la PMA et la légalisation de la GPA. Étant entendu que ces points ne figuraient pas dans le projet de loi, les opposants, sans se laisser décourager, arguaient qu’ils y étaient contenus en germe, que l’évolution induite par le mariage homosexuel impliquait inéluctablement ces deux points. Malheureusement pour mes lecteurs qui seraient favorables à une telle évolution, les anti-mariages pour tous vous nourrissent de faux espoirs.

La procréation médicalement assistée (PMA)

La PMA est légale, contrairement à la GPA, mais limitée strictement dans son domaine. Il s’agit des techniques médicales permettant à une femme apte à porter une grossesse à terme de pallier les difficultés l’ayant empêché d’y parvenir. Cela recouvre des techniques simples de stimulation hormonales, et surtout toutes les techniques de fécondation in vitro suivi d’insémination artificielle, où l’embryon est fécondé avant d’être implanté, lorsque c’est l’homme qui s’avère être l’origine du problème (au besoin, on prend du sperme de donneur anonyme). La règlementation se trouve aux articles L.2141-1 et suivants du Code de la santé publique. L’article L.2141-2 précise que « L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité. Le caractère pathologique de l’infertilité doit être médicalement diagnostiqué. »

Un couple : la loi bioéthique de 2011 a supprimé la condition d’être un couple marié, mais maintenu la condition d’être de sexe différent, rappelé à l’alinéa suivant. La PMA ne peut viser qu’à remédier à l’infertilité pathologique du couple, infertilité médicalement constatée. Et l’identité des sexes comme l’orientation sexuelle n’étant pas une cause pathologique d’infertilité ni même une pathologie. Continuons avec l’alinéa 2 :

« L’homme et la femme formant le couple doivent être vivants, en âge de procréer et consentir préalablement au transfert des embryons ou à l’insémination. Font obstacle à l’insémination ou au transfert des embryons le décès d’un des membres du couple, le dépôt d’une requête en divorce ou en séparation de corps ou la cessation de la communauté de vie, ainsi que la révocation par écrit du consentement par l’homme ou la femme auprès du médecin chargé de mettre en œuvre l’assistance médicale à la procréation. »

La PMA a ceci de commun avec une relation sexuelle qu’elle n’est légale que tant que dure le consentement. Les différences sont qu’elle prend beaucoup plus de temps pour aboutir et est nettement moins plaisante. Juridiquement, la loi pose que l’enfant conçu par PMA est l’enfant du couple, même si l’homme n’a pas fourni le sperme, et lui interdit de contester sa paternité, même si, biologiquement, il ne l’est pas.

La crainte exprimée par les opposants au projet de loi est que la PMA ne soit ouverte aux couples de femmes mariées et qu’elles pourraient demander à ce qu’une d’entre elles, voire les deux, soient fécondées avec du sperme de donneur. Cette crainte ne repose sur rien, puisque leur infertilité n’est pas pathologique, et surtout depuis 2011, le mariage n’est plus une condition sine qua non pour accéder à la PMA, donc le fait d’être mariées ne changera absolument rien à leur situation juridique. Si elles n’ont pas accès aujourd’hui à la PMA, elles ne l’auront pas plus avec l’entrée en vigueur de cette loi. Je ne puis dire avec certitude que la loi ne permettra jamais à une femme célibataire ou à un couple de femmes d’accéder à la PMA, mais je peux dire avec certitude qu’en l’état, elle ne le permet pas et que rien n’est prévu pour que cela change dans un avenir proche.

La gestation pour autrui, ou « les mères porteuses »

La gestation pour autrui est un contrat qui consiste pour une femme, ou “mère porteuse”, à porter un embryon à terme et à s’en défaire à la naissance au profit d’une personne ou d’un couple identifié (appelons le “le commanditaire”), puisque dans la mesure du possible l’embryon sera conçu avec les gamètes du ou des commanditaires. Cette pratique a toujours été illégale en droit français. D’abord, au plan civil car elle constitue une convention portant sur l’état des personnes (ici sa filiation), ce qui est interdit car l’état des personnes est indisponible : un contrat qui porterait sur lui serait nul (Civ. 1Re, 13 décembre 1989, Alma Mater, bull. I. n°387) ; et ensuite au plan pénal puisque l’article 353-1 du code pénal ancien (promulgué en 1958, c’est-à-dire avant même que l’insémination artificielle rende possible la GPA, et repris à l’article 227-12 du nouveau code pénal) réprimait le fait d’inciter de quelque façon que ce soit une femme à abandonner son enfant à naitre ou à s’entremettre dans une telle affaire : une association ayant pour objet de commettre ce délit ne pourrait qu’être déclarée illicite CE, 22 janvier 1988, association Les Cigognes, n°80936 . Enfin, pour la Cour de cassation, la mère est celle qui accouche, peu importe ce que dit l’ADN. Une autre femme ne peut se prétendre mère, ce qui voue à l’échec toute convention de mère porteuse. J’insiste sur les mots “pour la Cour de cassation”. Cela ne signifie pas que les juges n’accepteront jamais une autre solution. Mais il faut que ce soit la loi qui l’impose ; en attendant, elle s’en tient aux solutions traditionnelles. Rien, lisez-moi bien, rien, aucun principe supérieur ou fondamental n’interdit à la France de légaliser et encadrer la GPA. Et c’est là que va naitre un problème : il y a des pays où la loi prévoit bien cette situation.

La GPA est en effet légale dans divers pays, notamment dans plusieurs États américains, l’Illinois étant réputé pour avoir la législation la plus libérale en la matière (elle permet la GPA rémunérée, demandée par des individus seuls ou des couples de même sexe, et l’adoption par les parents commanditaires est une simple formalité), et la GPA y est devenu un service comme un autre. Une intervention préalable du législateur est en effet indispensable pour résoudre préalablement les difficultés que pose cette pratique : quel est le statut de la mère porteuse (contrat de travail ? Prestation de service ?) Comment protéger chaque partie, et établir le lien de filiation avec les parents commanditaires, et la renonciation à ses droits par la mère porteuse ? Sans oublier les obligations réciproques des parties : aspects financiers (prise en charge des frais de santé, rémunération éventuelle de la mère), la femme porteuse doit-elle pouvoir garder l’enfant, comment se résout le conflit qui en résulte ? En cas de grossesse à risque qui prend et comment sont prises les décisions, etc. Sans oublier bien sûr la question de la GPA pour des couples d’hommes : possible ou pas ? La GPA doit-elle être réservée à des cas d’infertilité médicalement constatés comme la PMA, ou la GPA de confort doit-elle être admise ? Le débat est passionnant pour les juristes, et il devrait l’être pour les citoyens. Las. La France a choisi la facilité en interdisant tout cela d’un trait de plume et en se drapant dans des discours grandiloquents sur la marchandisation du corps, la location d’utérus, et l’enfant marchandise face à toute volonté d’ouvrir le débat. On l’a vu dans ces débats : les opposants au projet accusaient, faussement, les parlementaires de la majorité de vouloir légaliser la GPA, ce qui permettait de les accuser de tous les maux, le ridicule n’ayant pas arrêté tous les députés. Bref tout pour éviter une réflexion sereine, ce n’est vraiment pas à la mode ces temps-ci.

L’Illinois, la Californie, l’Australie, la Nouvelle Zélande, le Canada anglophone (le Québec nous a imité en interdisant la GPA) et la Belgique, pour citer quelques exemples, ne sont pas des terres de barbares et la civilisation n’a pas pris fin quand la GPA y est devenue légale. Elle est en effet la seule alternative en cas de stérilité absolue de la femme, ou de son impossibilité physiologique de mener une grossesse à terme, quand bien même elle produirait des ovocytes viables pouvant être fécondés par les spermatozoïdes de son compagnon : il faut que la grossesse ait lieu dans un autre utérus, lequel, en l’état actuel de la science, ne peut être que celui d’une femme. Refuser la GPA, c’est dire aux couples stériles : tant pis pour vous, je ne supporte pas l’idée que vous puissiez avoir un enfant autrement que comme moi j’ai été fait. Tout ça pour votre bien, et le bien de vos enfants qui grâce à moi ne verront jamais le jour. Elle est pas jolie ma bougie ?

Alors pendant qu’en France, on s’admire dans notre immobilisme, d’autres pays ayant compris que cette pratique n’est pas mauvaise en soi permettent d’y avoir recours, et les parents désespérés qui ont la chance d’avoir les moyens vont dans ces pays obtenir ce que leur pays leur refuse. Jusqu’à il y a peu, trois décisions de la Cour de cassation interdisaient de transcrire à l’état civil français les actes de naissance étrangers établissant un lien de filiation avec un enfant issu d’une GPA. Cas assez unique où on fait payer les enfants la faute supposée des parents (en considérant qu’ils serait fautif de faire en Californie ce que la loi californienne permet), au nom de l’intérêt des enfants, sous les applaudissements de la foule. La fameuse circulaire Taubira a mis fin à cette situation en demandant aux consulats étrangers d’enregistrer ces actes et en interdisant aux parquets d’engager les procédures en nullité de ces transcriptions. Je ne puis qu’applaudir. La situation précédente revenait à ce que des enfants aient, dans le cas le plus médiatisé, un acte de naissance californien indiquant que leur père était M. X, citoyen français (de fait il était biologiquement leur père) et leur mère, Mme Y, son épouse (sans lien biologique avec elles), mais pas d’acte équivalent à l’état civil français, ce qui compliquait chacune de leurs démarches et leur interdisait concrètement de se prévaloir de la nationalité française, qu’elles avaient pourtant en tant qu’enfant de Français. Que la Cour de cassation conclue que cela était parfaitement conforme à l’intérêt de l’enfant m’a toujours laissé songeur, et un peu tremblant à l’idée qu’elle était aussi la juge en dernier ressort de l’intérêt de mes enfants.

La situation actuelle est plus supportable, mais reste une tartufferie : cachez moi cette GPA que je ne saurais voir. Tôt ou tard, on ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur la GPA, et que la loi, faute de pouvoir interdire et faire respecter cette interdiction partout sur Terre dès lors que cette pratique est légale ailleurs, l’encadre en France. Quand serons-nous assez mûrs pour cette réflexion, qui devra commencer par qualifier correctement les choses et cesser de parler hors de propos de location du corps humain ? Peut-être quand les enfants nés d’une GPA seront devenus si nombreux que nous ne pourrons plus feindre de ne pas entendre leurs rires ?

NB : Full disclosure : je n’ai jamais été avocat dans un dossier de transcription d’acte de naissance d’un enfant né par GPA et ne suis pas concerné par la GPA à titre personnel, j’ai fait mes enfants à l’ancienne. J’exprime ici une opinion strictement personnelle issue de ma seule réflexion.

Quid nunc ?

Dans une semaine environ, le Conseil constitutionnel va rendre sa décision sur la loi ouvrant le mariage aux personnes de même sexe. Elle devrait passer sans dommages l’examen du Conseil et entrer en vigueur très vite, puisqu’aucun décret d’application n’est nécessaire pour cela, et les textes règlementaires que cette loi demande pour éviter toute difficulté et dire aux officiers d’état civil quoi faire sont déjà prêts. Des couples d’hommes et de femmes vont se marier, les premiers sous les caméras, les seconds dans la discrétion, les troisièmes dans l’indifférence, et la victoire de ceux qui ont voulu ce texte sera totale. Et nous pourrons enfin parler d’autre chose sur ce blog, ce qui sera fait très bientôt, l’actualité législative étant riche.

PS : vous m’avez manqué.

vendredi 28 janvier 2011

De la constitutionnalité du mariage entre personnes du même sexe

— Comment Maître ? Je vous trouve ici ?

— C’est que, ma chère lectrice, c’est ici mon cabinet, j’ai donc quelques raisons d’y être quand je ne sème pas la terreur dans les prétoires, le désespoir dans le cœur des procureurs, et le droit dans les commissariats.

— Je vous croyais fort attaché aux libertés.

— Il n’y a qu’à vous, ma Dame, que je sois plus attaché.

— Dans ce cas vous devriez être sur les barricades, la baïonnette au canon !

— Chère amie, je ne rêve que de périr le cœur transpercé de la balle des tyrans ou de votre regard, mais je ne comprends pas de quoi vous parlez.

— Mais des droits des homosexuels, niés, bafoués et foulés du pied !

— Ah, vous êtes donc au courant pour la décision du Conseil constitutionnel de ce jour ?

— Vous aussi, vous l’avouez. D’où ma question : que diable n’êtes vous tout feu tout flamme à sonner l’hallali républicain ?

— C’est que, chère amie, je crains que vous ne vous emportâtes quelque peu, ce dont vous me voyez ravi tant le rouge vous va bien au teint. Souffrez donc que je vous entretienne de cette décision autour d’un Margaret’s Hope SFTGFOP1.

— Votre sérénité m’étonne mais me rassure quelque peu. La flaveur de cet excellent Darjeeling achève de me convaincre. Je vous ois, cher Maître.

— Tout d’abord, avant de voir ce qu’a dit le Conseil constitutionnel, voyons ce qu’il n’a pas dit.

— C’est certes un début.

— Il n’a pas dit que la Constitution prohibait le mariage homosexuel. Et ce serait commettre un grave contresens que de lui faire dire cela, même si l’indignation médiatique s’accommode bien de la simplification à outrance. La décision n’use d’ailleurs à aucun moment du vocable « homosexuel ».

— Qu’a-t-il donc dit ?

— Il a dit que le fait que le mariage entre personnes du même sexe soit de fait prohibé par les textes ne porte pas en soi atteinte à un quelconque principe constitutionnel. Et vous verrez qu’il ajoute qu’une solution contraire n’en heurterait pas un seul de plus.

— Ne décelé-je point là une odieuse hypocrisie ? On ne parle pas d’homosexuels mais de personnes de même sexe, façon de ne point nommer les choses ?

— Du tout. Nous faisons du droit. Et le droit est très rigoureux dans l’appréciation des faits et l’interprétation des textes. Aucun texte n’interdit le mariage aux homosexuels (ce qui serait pour le coup inconstitutionnel). Deux homosexuels peuvent parfaitement se marier en France, à condition bien sûr de respecter les conditions légales pour convoler.

— Vous vous moquez. Ce recours serait donc sans objet ?

— Nenni. Car ces conditions sont, outre y consentir : avoir 18 ans révolus ; ne point être déjà marié ; ne point être parent au 3e degré ; et être de sexe opposé. Deux homosexuels peuvent donc se marier, à condition d’être de sexe différent.

— Mais c’est bien une discrimination à leur égard !

— Pas du tout. Moi qui suis hétérosexuel pratiquant, je ne pourrais épouser, le voudrais-je, un hétérosexuel aussi adamantin que mon ami Koztoujours. Vous voyez que la prohibition ne repose pas sur nos mœurs. La loi française sur le mariage ne pose que des conditions objectives. Elle ne s’intéresse pas aux mœurs des époux. À tel point d’ailleurs que la loi française ne s’est jamais posé la question du sexe des époux tant la réponse lui apparaissait évidente. Revenons un peu en arrière, voulez-vous ?

— Je vous suis.

— En 2004, Noël Mamère, maire de Bègles, a décidé de marier deux hommes qui le lui avaient demandé.

— Je m’en souviens, vous en aviez parlé ici.

— Il soutenait que ce mariage était tout à fait légal car le Code civil ne mentionnait nullement cette condition de différence de sexe. Le mariage, célébré malgré une opposition du parquet, fut logiquement attaqué par le procureur de la République de Bordeaux. Le tribunal de grande instance de Bordeaux lui donna raison. D’appel en pourvoi, l’affaire finit devant la cour de cassation, qui mit un point final à l’affaire en approuvant une bonne fois pour toutes par un arrêt de sa Première chambre civile du 13 mars 2007 les juges d’appel qui avaient confirmé cette nullité. Nous avions en son temps parlé également de cet arrêt.

— Absolument. La cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation, avait décelé dans plusieurs articles du Code civil que la condition de disparité des sexes était nécessairement sous-entendue.

Notamment, l’article 75, qui prévoit que l’officier d’état civil « recevra de chaque partie, l’une après l’autre, la déclaration qu’elles veulent se prendre pour mari et femme », et le 144, qui disposait à l’époque que « L’homme avant dix-huit ans révolus, la femme avant quinze ans révolus, ne peuvent contracter mariage.». Depuis, une loi de 2006 a mis les deux époux à égalité : il faut avoir 18 ans révolus pour tous les deux. Depuis cette décision, il était acquis que le Code civil exigeait une différence de sexe. C’est cet état du droit qui était attaqué par le biais d’une Question Prioritaire de Constitutionnalité.

— Qu’arguaient les requérants ?

— Les requérants, qui étaient des requérantes, soulevaient que cet état du droit portait atteinte à la liberté du mariage et le droit à une vie familiale normale.

— Pas de discrimination ?

— Pas expressément, non. Mais le Conseil a répondu de lui-même sur la question de l’égalité.

— Et que leur répond le Conseil, au juste ?

— Il leur donne d’abord raison sur le fait que la liberté de se marier est bien une liberté constitutionnellement garantie, de même que le droit à une vie familiale normale.

— C’est après que ça se gâte ?

— En effet. Le Conseil rappelle qu’il n’a pas à se substituer au législateur dans les choix de société, mais qu’il se contente de s’assurer que ce dernier, en faisant son œuvre, ne porte pas atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution.

— Son classique refus du gouvernement des juges.

— Exactement. Ce qui n’empêche pas d’ailleurs les politiques contrariés par une de ses décision de lui envoyer le compliment à la figure. Ceci posé, il déclare que la liberté du mariage n’interdit pas l’intervention du législateur dans les conditions, même restrictives, qui l’entourent, dans le respect de la Constitution bien sûr.

— Et il va estimer que tel est le cas en l’état actuel du droit ?

— On ne peut rien vous cacher. Il va soumettre cet état du droit, qui exclut le mariage de deux personnes de même sexe au filtre de deux droits et liberté fondamentaux : celui de mener une vie familiale normale, c’est-à-dire sans que l’État ne vienne se mêler de ce qui ne le concerne pas, et l’égalité de traitement de tous.

— Sur le droit de mener une vie familiale normale, que va-t-il dire ?

— Le Conseil rappelle qu’il est loisible à des couples de même sexe de vivre dans le statut du concubinage (art. 515-8 du Code civil), ou du pacte civil de solidarité (art. 515-1 et s. du Code civil), et en déduit qu’il n’est pas porté atteinte au droit de mener une vie familiale normale (considérant n°8).

— Je vous sens ici peu convaincu.

— Vous lisez en moi comme dans un livre électronique sans DRM. J’avoue ici trouver le raisonnement du Conseil un peu court. Les couples de sexe différents ont le choix entre le concubinage, le PaCS et le mariage. Les couples de même sexe ont le choix entre seulement les deux premiers régimes. Or nul ne contestera que les trois sont fort différents dans leurs effets, le concubinage n’ayant que peu d’effets, le PaCS guère plus, le mariage étant quant à lui un cadre complet. Sans entrer dans un cours de droit, le concubinage occupe un article du Code, le PaCS, dix, dont l’essentiel concerne les formes de son enregistrement, le mariage devant bien s’en voir consacrer entre 200 et 300, en comptant les règles du contrat de mariage et du divorce, qui, en étant la dissolution, en font aussi partie. Les couples de même sexe n’ont pas droit au régime le plus protecteur (ces 200 articles ayant tous pour point commun de trouver à s’appliquer quand le temps tourne à la tempête), sans que cela pour le Conseil ne porte atteinte à leur droit à une vie familiale normale. J’eusse aimé avoir un ou deux mots d’explication là-dessus.

— Peut être dans le paragraphe sur l’égalité ?

Hélas non, car même s’il fut plus loquace là-dessus, la question reste évitée. Il dit en effet précisément ceci (Considérant n°9) : « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Cette règle ainsi rappelée, il l’applique à notre cas : « en maintenant le principe selon lequel le mariage est l’union d’un homme et d’une femme, le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui attribue l’article 34 de la Constitution, estimé que la différence de situation entre les couples de même sexe et les couples composés d’un homme et d’une femme peut justifier une différence de traitement quant aux règles du droit de la famille ». Ite Missa Est.

— Le Conseil se garde bien d’approuver ou de désapprouver cette différence de traitement.

— Non, en effet. Ce qui laisse clairement entendre qu’il ne trouverait rien à redire que la loi reconnût aux personnes de même sexe le droit de convoler. La légalisation du mariage de même sexe, qui, en effet, intéresse essentiellement les homosexuels n’est pas un impératif constitutionnel mais un choix de société. Ces choix sont naturellement le fruit d’un débat au parlement, et peuvent même avec profit être un thème de campagne électorale soumis au jugement des électeurs. Cela tombe bien, je crois savoir qu’une échéance électorale opportune est annoncée pour l’année prochaine.

— Mais cette Question Prioritaire de Constitutionnalité permettait de régler le problème aujourd’hui et sans attendre…

— J’entends bien. Sans attendre un débat. Il est toujours dommage d’éviter le débat de peur de le perdre. C’est comme ça qu’une société ne connaît plus à la longue que le rapport de force, qui s’auto-entretient avec la démonstration imparable du « il n’y a que cela qui marche ». La France a raté le train de la modernité en 1999 en votant un pis-aller qu’est le PaCS. Elle s’est faite dépasser par les Pays-Bas, la Belgique, et même l’Espagne. Elle peut se consoler en se disant qu’elle se mettra en règle avec l’Histoire avant le Vatican.

— Et la Cour européenne des droits de l’homme n’est-elle d’aucun secours ?

— Non. Elle a jugé le 24 juin 2010 dans un arrêt Schalk et Kopf c. Autriche, n°30141/04 que le refus du mariage entre personnes de même sexe ne portait pas atteinte au droit au mariage (art. 12) ni ne constituait une discrimination (art. 14). Le seul moyen de sortir de ce débat la tête haute sera par une belle loi votée solennellement. Pas par une irruption par surprise dans le prétoire. Haut les cœurs, amis de l’égalité : une belle victoire nécessite une belle bataille, et celle-ci ne fait que commencer.

dimanche 2 décembre 2007

La main à la poche

Par Dadouche


C'est la saison des sous.

Dans les juridictions, les greffiers en chef auxquels il reste quelques deniers font le tour des bureaux pour voir qui a besoin d'une lampe ou d'un petit meuble pour poser ses piles de dossier.

Dans les palais de la République, on examine le budget de la justice.

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vendredi 8 juin 2007

Dimanche, on vote

Vu l'apathie qui semble régner à deux jours des législatives, ce rappel me semble nécessaire.

Quelle campagne discrète, après la tonitruante présidentielle...

Il faudra s'y faire, quinquennat oblige. Hormis 2002, où la gauche pouvait avoir l'espoir de gagner aux générales ce qu'elle avait maladroitement perdu à la présidentielle, ce qui avait donné un peu - si peu- d'énergie à un PS sonné, désormais, les élections générales se joueront un mois plus tôt, lorsqu'on élira la tête de l'exécutif.

Et on comprend la morne campagne : le PS est plus que sonné, il est K.O. de cette défaite, qu'il ne peut imputer à personne cette fois ci, et qui n'est pas revêtue de la consolation de 2002 : "Si nous étions arrivé au second tour, on aurait gagné".

L'extrême gauche elle aussi a été balayée, et une addition sur le bout des doigts montre que sa division n'est pas la seule explication. Elle a perdu sa crédibilité, j'ose croire que ce fut un triste mois de mai 2005, et a cru pendant deux ans que ses mensonges marchaient encore.

L'extrême droite ne fait plus peur, et le FN risque de faire un score historiquement faible. Il n'aura de toutes façons aucun député, son président n'ayant, comme d'habitude, même pas pris la peine de se présenter.

Le MoDem de François Bayrou risque de briller par son absence dans l'hémicycle, absence mise en valeur par l'irruption du centre de complaisance d'Hervé Morin.

Bref, de quoi donner envie d'aller à la pêche, et se demander à quoi bon aller glisser un bulletin dans l'urne, surtout pour ceux qui habitent non pas une circonscription mais une forteresse imprenable dont le châtelain a un bail emphytéotique au Palais Bourbon.

Néanmoins, votre bulletin a une certaine importance.

Sachez que les lois sur le financement des partis font que si le candidat à qui vous donnerez votre suffrage appartient à un parti qui a présenté un candidat dans au moins 50 circonscriptions, et que 50 d'entre eux font plus que 1% au premier tour, leur parti recevra au titre du financement de la participation à la vie publique environ 1,66 euros par an par vote obtenu. Donc même si votre candidat est voué à l'échec, c'est un petit coup de pouce que vous lui donnez. Vous comprenez aussi ces étranges candidatures du Parti Humaniste, qui est plus une secte qu'un parti, ou de partis pour les droits des animaux : il ne s'agit pas pour eux d'avoir des élus, mais de toucher leur part du gâteau, avant de se faire oublier jusqu'à la prochaine échéance générale.

Et pour que vous compreniez un peu pourquoi vous irez voter ou non dimanche prochain, et s'il y aura un, deux ou trois bulletins dans 10 jours, voici un résumé des règles électorales.

Il s'agit d'un scrutin uninominal majoritaire à deux tours.

Uninominal : vous voterez pour un candidat (et son suppléant) et non une liste (comme pour les scrutins à la proportionnelle).

A deux tours : le candidat, pour être élu, doit totaliser la moitié des voix exprimées plus une et représentant le quart des électeurs inscrits. Si ce n'est pas le cas, on parle de ballottage, et il est procédé à un second tour, une semaine plus tard (et non quinze jours comme pour la présidentielle).

Majoritaire : c'est le candidat qui a obtenu le plus de voix au second tour qui est élu.

Vous me direz : il a forcément la moitié des voix plus une !

Nenni. Car il y a des triangulaires et des quadrangulaires.

En effet, pour se maintenir au second tour, il faut avoir obtenu au moins 12,5% des voix des électeurs inscrits. Notez bien : des électeurs inscrits, pas des suffrages exprimés.

Il est parfaitement possible que trois candidats, voire quatre, parviennent à ce niveau. Théoriquement, cela peut aller jusqu'à 8, mais en pratique c'est impossible : des électeurs décédant entre le 31 décembre, date de clôture des listes, et le jour du scrutin, il est impossible d'avoir 100% de votants, sauf en Corse et dans le 5e arrondissement de Paris, où les morts font preuve d'un civisme réputé. En pratique, un second tour à cinq candidats ou plus est quasiment impossible. Il faudrait à la fois une très forte participation et une répartition incroyablement équilibrée des suffrages.

Il peut aussi arriver que si seuls deux candidat peuvent se maintenir, et que son adversaire se désiste en vertu d'un accord. Dans la plus grande tradition des démocraties populaires, il y a donc des élections à candidat unique. Ca m'est arrivé une fois. Le dépouillement le plus ennuyeux de ma vie.

Une faible participation réduit les possibilités de triangulaires, voire quadrangulaires. C'est pourtant dans ces configuration que les petits candidats peuvent espérer l'emporter, car une simple majorité relative suffit et un électorat motivé peut faire la différence.

Aucun candidat n'est tenu de se maintenir s'il a 12,5% des voix. C'est un classique de la politique que d'avoir des accords de désistement, deux candidats convenant que s'ils étaient tous deux qualifiés pour le second tour face à un adversaire considéré comme de l'autre camp, celui arrivé derrière l'autre ne maintenant pas sa candidature et appelant ses électeurs à élire le premier. C'est fréquemment ainsi que se réglaient la répartition des sièges entre l'UDF et l'UMP à droite, et le PS et le PCF à gauche.

Enfin, pour terminer ce petit cours d'éducation civique, un point dont personne ne parle et qui pourtant devrait outrer tout citoyen respectueux de la Constitution. Je ne plaisante pas.

L'article L.125 du code électoral précise que :

Il est procédé à la révision des limites des circonscriptions, en fonction de l'évolution démographique, après le deuxième recensement général de la population suivant la dernière délimitation.

Or le découpage actuel résulte de la loi n°86-1197 du 24 novembre 1986. Ce sont les mêmes circonscriptions que lors de la réélection de François Mitterrand. Beaucoup d'électeurs qui vont voter n'étaient pas nés lorsque cette carte a été dressée.

Fins juristes que vous êtes désormais, vous me direz : mais la Constitution impose le renouvellement des députés ; cette impératif constitutionnel étant supérieur à la loi, le scrutin doit avoir lieu nonobstant la violation de l'article L.125, simple loi qui n'a pas le pouvoir d'invalider l'élection de la représentation nationale.

Comme vous avez raison.

Mais les choses se compliquent.

En effet, le Conseil constitutionnel a, le 7 juillet 2005, formulé les observations suivantes (je souligne) :

Le remodelage des circonscriptions législatives

Le Conseil constitutionnel a observé, à propos des élections législatives de 2002, que la recherche de l'égalité rendait ce remodelage nécessaire.

En effet, le découpage actuel résulte de la loi n° 86-1197 du 24 novembre 1986 relative à la délimitation des circonscriptions pour l'élection des députés. Il repose sur les données du recensement général de 1982. Depuis lors, deux recensements généraux, intervenus en 1990 et 1999, ont mis en lumière des disparités de représentation peu compatibles avec les dispositions combinées de l'article 6 de la Déclaration de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution.

Ces disparités ne peuvent que s'accroître avec le temps.

Il incombe donc au législateur de modifier ce découpage. Si cela n'est pas fait avant les prochaines élections législatives, ce qui serait regrettable, cela devra être entrepris au lendemain de celles-ci.

Le mot "regrettable" doit se lire comme signifiant "contraire à la Constitution".

Malheureusement, la personne à l'époque en charge de veiller au respect de la Constitution ayant fait un accident vasculaire cérébral peu de temps après, ce problème est passé à la trappe.

Rien n'ayant été fait, un citoyen, Monsieur Pascal JAN, accessoirement professeur de droit public, s'en est ému auprès du Conseil constitutionnel.

Le conseil lui a répondu que

s'il incombait au législateur, en vertu des dispositions de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 3 et 24 de la Constitution, de modifier le tableau des circonscriptions législatives auquel renvoie l'article L. 125 du code électoral, afin de tenir compte des évolutions démographiques intervenues depuis leur dernière délimitation, ...

bref, que oui, les prochaines élections ne respecteront pas la Constitution, mais...

...la non conformité de dispositions législatives à la Constitution ne peut être contestée devant le Conseil constitutionnel que dans les cas et suivant les modalités définis par l'article 61 de la Constitution.

Traduction : oui, ces élections sont contraires à la Constitution, mais cette même Constitution ne nous donne aucun moyen d'y faire quoi que ce soit. La représentation nationale qui va être élue ne respectera pas la Constitution, pas plus que les suivantes, tant que tel ne sera pas le bon plaisir du pouvoir exécutif, qui seul peut mener à bien cette opération de redécoupage.

Voilà qui illustre un de mes dadas, que vous lirez souvent sur ce blogue : l'absence de recours réel pour faire imposer le respect de la Constitution est en France une honte, et un véritable danger pour les libertés. Si une loi contraire à la constitution était votée et n'était pas soumise au contrôle du Conseil constitutionnel par le président de la République, le président du Sénat, le président de l'Assemblée nationale ou par 60 députés ou 60 sénateurs, la loi entrerait en vigueur et nul n'y pourrait plus rien.

Qu'il me soit permis de rappeler ici que l'ancien Garde des Sceaux avait osé suggéré le 27 septembre 2005 que le parlement se comportât sciemment ainsi pour lui permettre de faire passer une loi pénale rétroactive, sans qu'il ait immédiatement été démis de ses fonctions et incarcéré pour haute trahison (de fait, il est même resté à son poste pendant un an et demi, jusqu'à la démission du gouvernement).

Les Etats-Unis connaissent le possibilité pour tout citoyen d'exiger du pouvoir judiciaire qu'il impose le respect de la constitution aux autres pouvoirs depuis 1803 (c'était le Consulat en France, Napoléon n'était encore que Bonaparte). L'Allemagne l'a instauré en 1948 (devinez pourquoi...). L'Espagne, en 1978 (devinez pourquoi...). La France n'a même pas de pouvoir judiciaire : juste une "autorité"... Combien de temps cette situation durera-t-elle ? Voilà une belle réforme des institutions, qui ferait entrer la France dans le XXe siècle en matière de protection des libertés publiques (oui, je dis bien XXe siècle, notre retard est de plus d'un siècle en la matière).

Désolé pour ce billet un peu fourre-tout, écrit au fil de l'inspiration.

Mais dimanche, allez voter. Vous voyez bien que la démission des citoyens est un luxe que nous ne pouvons pas nous permettre.

jeudi 7 juin 2007

Soyez le juge... des peines plancher, le délibéré

Le tribunal, après en avoir délibéré, a déclaré le prévenu coupable, et en répression, l'a condamné à 30 jours amende à 10 euros.

C'est à dire qu'après un délai de trente jours, il devra payer la somme de 300 euros d'amende, soit un peu plus que la valeur des biens volés, sous peine d'effectuer trente jours de prison. La loi prévoit que s'il s'acquitte spontanément de l'amende avant un délai d'un mois, il bénéficie d'un abattement de 20%, c'est à dire que s'il la paye de lui même avant l'écoulement des trente jours, il sera tenu quitte en ne versant que 240 euros. Je ne doute pas qu'il l'ait fait dès qu'il a reçu du greffe le document lui permettant de s'acquitter de cette somme auprès du trésor public.

Voici, grâce à Mig, un résumé statistique des peines prononcées :

Jugements exprimés: 59

Relaxes/Rappels à la loi: 5 (8%)

Amendes: 29 (49%) + de 250 Euros mais - de 500: 7 (12%) + de 500 Euros: 8 (14%)

Prison avec SME : 6 (10%)

Prison ferme: 19 (32%) 6 mois fermes: 8 (14%) Un an ferme ou plus: 2 (3%)

C'est assez curieux, je ne crois pas qu'un autre "soyez le juge" ait donné lieu à un tel écart dans les propositions de peine. Si beaucoup d'entre vous ont effectivement opté pour les jours amende, suggérés par la défense, certains ont été incroyablement répressifs, deux propositions allant jusqu'à 15 mois de prison pour la première, deux ans pour la seconde, avec mandat de dépôt. Qu'il me soit permis de faire remarquer à ces lecteurs que si, pour quatre flacons de parfum, ils tapent déjà à 40 ou 80% de la peine maximale (20% et 40% en relevant la récidive), ils vont avoir un problème le jour où c'est un camion de flacons qui sera volé... "Qui vole un oeuf vole un boeuf" est un bocard qui ne veut pas dire qu'il faut réprimer le voleur d'oeuf comme le voleur de boeuf, mais que le vol est constitué même si la chose a une valeur dérisoire voire aucune valeur.

D'autres ont été très bas dans l'échelle de la répression, avec 10 jours amende à 10 euros, soit 100 euros d'amende, 80 s'il paye sous un mois. C'est dire l'amplitude. Vous imaginez donc la terrible solitude du juge unique.

Je vous rassure : un tel écart ne se retrouve pas dans les décisions à juge unique. Il y a des disparités, bien sûr, mais pas à ce point.

L'intérêt de ce cas est qu'il rentre dans le cadre de la loi sur les peines plancher. Si cette loi était en vigueur et que l'état de récidive ait été visé par le parquet ou relevé d'office par le tribunal, Monsieur Padoué aurait dû être condamné au minimum à un an de prison. Or je constate que la quasi totalité des lecteurs s'étant prêté sérieusement à l'exercice ont prononcé des peines très loin de ce quantum. Vous avez ici une illustration du principal argument des adversaires de ce projet : la récidive est rare, et parmi ces cas, les délinquants d'habitude, engoncés dans leur style de vie et refusant d'en changer sont encore plus rares ; et pourtant, c'est en se référant à ce modèle que l'on va légiférer pour tous.

Il est évident qu'un an de prison pour Monsieur Padoué aurait été démesuré, et aurait contraint le tribunal à l'assortir d'un SME pour en limiter les effets désastreux sur la famille Padoué, ce qui aurait encombré inutilement les services du juge de l'application des peines et posait un casse tête pour le choix des épreuves, comme nombre d'entre vous l'ont relevé.

Plusieurs lecteurs ont estimé que l'histoire de Momo était sûrement un mensonge, et en ont déduit que ce mensonge dissimulait le fait que Padoué pratiquait régulièrement ce genre de prélèvement à la source, ajustant leur répression en conséquence. Un magistrat n'aurait pas fait ce raisonnement. Je ne crois pas un instant que le président ait cru à l'histoire du mauvais Samaritain (il n'y avait qu'à voir sa tête). Mais le juge doit regarder les éléments qui sont prouvés par le ministère public. Son intime conviction ne se substitue pas à cette nécessité de la preuve qui est fondamentale dans un procès pénal. Le juge a donc écarté l'hypothèse de la préméditation, comme celle de la pratique habituelle, car elles n'étaient pas prouvées par le parquet, même s'il n'en pensait pas moins.

Cela illustre parfaitement le drame que vit l'avocat face à un probable mensonge inutile de son client. Inutile, car reconnaître la vérité n'aggraverait pas la répression (la préméditation n'est pas une circonstance aggravante du vol), et au contraire serait plus perçu comme un vrai signe d'amendement. Mais on a beau le leur expliquer, l'aphorisme d'Avinain résonne encore dans la tête des prévenus.

Et puis, malgré tout, il faut envisager l'hypothèse que le prévenu pouvait dire la vérité, auquel cas prononcer une sanction sévère devenait une erreur judiciaire, et une injustice.

Enfin, mais là c'est l'avocat qui parle, je suis profondément convaincu que la justice ne s'abaisse jamais, bien au contraire, quand elle est clémente. Une décision tellement sévère qu'elle est perçue comme injuste sera d'un point de vue pédagogique désastreuse.

L'audience est levée.

vendredi 23 février 2007

L'assemblée nationale est morte, vive l'assemblée nationale !

L'assemblée nationale a clos hier ses travaux pour la 12e législature, sauf événement imprévu, comme une très prévisible élection d'un nouveau président, l'actuel étant appelé à une prébende récompensant une fidélité sans faille à de plus hautes fonctions relevant de ses compétences.

Le dernier texte adopté est le projet de loi sur le droit opposable au logement. J'en ai déjà parlé, d'autres l'ont fait mieux que moi, d'autres ont été plus drôles, mais qui d'autre pouvait mieux résumer en une seule phrase l'escroquerie intellectuelle de cette loi que la propre ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité (à lire dans le compte rendu de séance, tout à la fin) :

Mme la Ministre déléguée – Je voudrais remercier l’ensemble des parlementaires pour cette unanimité. Dorénavant, les conditions sont réunies pour faire du droit au logement une réalité, conformément à la volonté du Président de la République. Il ne reste plus qu’à en faire un droit concret pour chacun de nos concitoyens.

C'est une réalité, mais pas concrète, vous comprenez ?

Traduction : Le plus dur est fait : on a voté une loi disant que ça existe. Aux suivants de s'occuper des détails, comme faire que ça existe vraiment.

Je crois que cela illustre parfaitement la folie actuelle du législateur, qui voit dans le vote d'une loi l'alpha et l'oméga de toute action politique, et la peste soit de la réalité, qui est connue pour avoir un fort parti-pris anti-gouvernemental.

La XIIe législature s'est choisie une bien triste épitaphe.

vendredi 15 décembre 2006

Les Démocrates risquent de perdre leur majorité au Sénat

La presse française s'en fait fort peu l'écho, et pourtant la nouvelle est d'importance. Un mois à peine après leur victoire au mid-term elections, le parti démocrate risque fort de perdre sa majorité au Sénat. Il est vrai que l'explication est un peu compliquée, et que les médias détestent embêter leurs lecteurs avec des choses compliquées.

Alors, y a-t-il eu un coup d'Etat ? Une trahison ? Non point.

Rappelons tout d'abord qu'au lendemain des élections du 7 novembre dernier, les démocrates avaient obtenus une courte majorité de 51 sièges contre 49 aux Républicains (le Sénat américain à cent sièges, deux par Etat).

Le sénateur Démoctate Tim Johnson, sénateur du Dakota du Sud (capitale Pierre, 14.000 habitants, comme tout le monde le sait) vient d'être frappé par un accident vasculaire cérébral et a été opéré à l'hôpital George Washington, à Washington D.C. Son état est critique mais stable.

Vu la gravité de cette attaque, il ne devrait pas être en état de tenir son mandat de sénateur américain (Notons ici la supériorité de la France qui a depuis longtemps permis l'accession aux plus hautes responsabilités aux grands malades).

Que prévoit la loi en l'occurrence ?

La Constitution américaine, pas grand chose. Elle précise (Article Premier Section 3) que

Le Sénat des États-Unis sera composé de deux sénateurs pour chaque État, choisis pour six ans par la législature de chacun, et chaque sénateur disposera d'une voix.

et le 17e amendement que

En cas de vacance dans la représentation d'un Etat au Sénat, l'exécutif de cet Etat devra convoquer des élections pour y suppléer ; toutefois, le législatif de cet Etat pourra donner pouvoir à l'exécutif pour désigner provisoirement un remplaçant jusqu'à ce que le peuple comble la vacance par voie d'élection conformément à ce que le législatif décidera.

Or le gouverneur du Dakota du Sud, Mike Rounds, est Républicain. Les deux chambres du parlement du Dakota méridional sont également républicaines. Il ne fait donc aucun doute que le remplaçant de Tim Johnson sera républicain. La Constitution laissant une large maîtrise du processus électoral aux Etats, et le mandat de Johnson expirant en 2008, le Dakota du Sud pourra aisément désigner un remplaçant et renvoyer la désignation de son successeur aux élections de 2008.

Mais, me direz-vous, on retombe dans une hypothèse de parité : 50-50. Les républicains n'ont pas la majorité.

Certes. Mais c'est là que j'invoque l'article Premier, Section 3, alinéa 4 de la Constitution américaine :

Le Vice Président des Etats-Unis sera Président du Sénat, mais sans droit de vote, sauf en cas de partage des voix.

Le Vice Président est le Républicain Richard Bruce "Dick" Cheney. Voilà la cinquante et unième voix donnant la majorité sénatoriale aux républicains.

Les démocrates américains n'ont donc jamais été aussi soucieux de l'état de santé d'un de leurs sénateurs. La presse française ayant visiblement décidé que ce qui nous intéressait, c'est le voyage en Suisse de Johnny Halliday, la suite de ce suspense politique sera à lire sur ce blog.

dimanche 25 avril 2004

Droit et homosexualité - 2e partie

Sur le fond de cet appel, la méthode me choque et me paraît indigne.

En exorde, l’appel invoque le nom de Sébastien Nouchet. Après un rapide appel à une législation sanctionnant les injures, les appels à la haine et à la discrimination (législation qui existe depuis plus de dix ans, ce que les signataires semblent ignorer), l’appel aboutit à une revendication, au nom de « l’égalité des droits », du mariage homosexuel, de l’adoption et de l’accès à la procréation médicalement assistée.

Même avec la meilleure volonté, je ne vois pas en quoi, si Sébastien Nouchet avait été marié avec son compagnon et avait adopté un enfant, cela l’aurait mis à l’abri de cette agression.

Invoquer un tel drame qui ne peut qu’éveiller compassion et sympathie, pour deux paragraphes plus bas avancer ses pions et afficher des revendications n’ayant aucun rapport si ce n’est l’orientation sexuelle de la victime, cela me semble tout simplement abject.

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