Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

Aller au contenu | Aller au menu | Aller à la recherche

Recherche

Votre recherche de julien coupat a donné 3 résultats.

lundi 13 juillet 2009

Les procédures pénales d'exceptions vivent-elles leurs dernières heures ?

Je n'ose y croire, tant j'en ai rêvé, mais là, la cour européenne des droits de l'homme semble sonner le glas d'un aspect parmi les plus scandaleux de la procédure pénale française, qui pourtant n'en manque pas.

Par un arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 (Requête no 36391/02), la Grande Chambre de la Cour a condamné la Turquie pour violation du droit à un procès équitable pour une loi qui refusait l'accès à un avocat au stade de l'enquête de police en raison de son objet qui, vous l'aurez deviné puisqu'il permet de porter atteitne aux droits de l'homme sous les applaudissements de l'opinion publique, est de lutter contre le terrorisme. 

En l'espèce, c'est un mineur kurde, soupçonné d'avoir ourdi deux odieux attentats terroristes, en l'espèce avoir participé à une manifestation du Parti des Travailleurs du Kurdistan, organisation illégale (qui est bel et bien une organisation terroriste violente), en soutien au chef de ce parti, Abdullah Öcalan, incarcéré depuis 1999,  ET d'avoir accroché une banderolle sur un pont ainsi rédigée : "Longue vie à notre chef Apo", Apo ("Tonton" en kurde) étant le surnom d'Öcalan.

Comme vous le voyez, c'est presque aussi grave que d'abîmer des caténaires de la SNCF.

 Après six mois de détention provisoire, il fut déclaré coupable sur la base de ses déclarations en garde à vue (faites sans avoir pu bénéficier du conseil d'un avocat), quand bien même il les avait rétractées par la suite (sur le conseil de son fourbe avocat, ce pire ennemi de la vérité, de l'ordre public et de l'autorité de l'État) et condamné à 4 ans et six mois de prison, ramenés à 2 ans et demi et raison de sa minorité. 

Je passe sur la procédure d'appel qui n'était pas non plus conforme aux standards de la Convention.

Les passages de l'arrêt qui ont retenu mon attention en ce qu'elles peuvent concerner la France sont ceux-ci. Après avoir rappelé que la Cour veille à ce que les droits garantis par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme soient effectifs et concrets, la Cour affirme que (j'ai ôté les références jurisprudentielles pour alléger le texte ; les gras sont de moi) : 

54. La Cour souligne l'importance du stade de l'enquête pour la préparation du procès, dans la mesure où les preuves obtenues durant cette phase déterminent le cadre dans lequel l'infraction imputée sera examinée au procès (...). Parallèlement, un accusé se trouve souvent dans une situation particulièrement vulnérable à ce stade de la procédure, effet qui se trouve amplifié par le fait que la législation en matière de procédure pénale tend à devenir de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne les règles régissant la collecte et l'utilisation des preuves. Dans la plupart des cas, cette vulnérabilité particulière ne peut être compensée de manière adéquate que par l'assistance d'un avocat, dont la tâche consiste notamment à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. Ce droit présuppose que, dans une affaire pénale, l'accusation cherche à fonder son argumentation sans recourir à des éléments de preuve obtenus par la contrainte ou les pressions au mépris de la volonté de l'accusé. Un prompt accès à un avocat fait partie des garanties procédurales auxquelles la Cour prête une attention particulière lorsqu'elle examine la question de savoir si une procédure a ou non anéanti la substance même du droit de ne pas contribuer à sa propre incrimination (…). La Cour prend également note à cet égard des nombreuses recommandations du CPT (Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants-NdA) soulignant que le droit de tout détenu à l'obtention de conseils juridiques constitue une garantie fondamentale contre les mauvais traitements. Toute exception à la jouissance de ce droit doit être clairement circonscrite et son application strictement limitée dans le temps. Ces principes revêtent une importance particulière dans le cas des infractions graves, car c'est face aux peines les plus lourdes que le droit à un procès équitable doit être assuré au plus haut degré possible par les sociétés démocratiques.


Une petite pause ici. Le droit français a été mis en conformité avec la Convention européenne des droits de l'homme par la loi du 4 janvier 1993 en prévoyant que tout gardé à vue a droit a l'assistance d'un avocat. La loi, comme effrayée de sa propre audace, a toutefois prévu que ce droit se résumait à un entretien de trente minutes sans que l'avocat ait accès au dossier. Un changement de majorité s'étant produit en mars de la même année, une loi du 24 août 1993 va repousser l'intervention de cet avocat à la 21e heure de garde à vue, parce que sékomsa. Cela permettait de tenir éloigné ce gêneur dont la tâche, non mais je vous demande un peu, consiste à faire en sorte que soit respecté le droit de tout accusé de ne pas s'incriminer lui-même. En juin 2000, la loi a enfin permis à l'avocat d'intervenir dès le début de la garde à vue. Mais là encore, changement de majorité en 2002 et en mars 2004, une loi revient sur ce point en repoussant l'intervention de l'avocat à la 48e heure en matière de terrorisme, de trafic de stupéfiant et de délinquance organisée.

Je rappelle que des affaires comme celles de Julien Coupat ont été traitées selon cette procédure d'exception, de même que la plupart des gardes à vue des délits de solidarité qui n'existent pas : la dame arrêtée à son domicile pour avoir rechargé des téléphones mobiles d'étrangers a été interpellée pour aide au séjour en bande organisée. Quand bien même l'affaire va probablement aboutir à un classement sans suite, elle n'a pas eu droit à l'assistance d'un avocat pendant ses 14 heures de garde à vue. 

Permettez à l'État de s'affranchir des libertés fondamentales en matière de terrorisme ou de délinquance organisée, et ne vous étonnez pas qu'un jour, il vous accuse d'un de ces faits pour s'affranchir d'avoir à respecter les vôtres.

Donc, l'intervention de l'avocat est repoussée de 48 heures dans trois série de cas. Systématiquement. Revenons-en à notre arrêt de la Cour.

55.  Dans ces conditions, la Cour estime que, pour que le droit à un procès équitable consacré par l'article 6 § 1 demeure suffisamment « concret et effectif » (…), il faut, en règle générale, que l'accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d'un suspect par la police, sauf à démontrer, à la lumière des circonstances particulières de l'espèce, qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit. Même lorsque des raisons impérieuses peuvent exceptionnellement justifier le refus de l'accès à un avocat, pareille restriction – quelle que soit sa justification – ne doit pas indûment préjudicier aux droits découlant pour l'accusé de l'article 6 (voir, mutatis mutandisMagee, précité, § 44). Il est en principe porté une atteinte irrémédiable aux droits de la défense lorsque des déclarations incriminantes faites lors d'un interrogatoire de police subi sans assistance possible d'un avocat sont utilisées pour fonder une condamnation.

Arrêtez-moi si je me trompe (mais pas selon la procédure de délinquance organisée s'il vous plaît) : la cour dit qu'elle veut bien qu'on repousse l'intervention de l'avocat, mais elle doit avoir lieu en tout état de cause avant le premier interrogatoire de police, sauf à ce que des circonstances particulières au cas d'espèce (et non une règle de procédure générale appliquée systématiquement) font qu'il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit.

Or les procédures françaises d'exception repoussent à la 48e heure cette intervention de l'avocat, systématiquement, et des interrogatoires du suspect ont bien évidemment lieu pendant ce laps de temps. C'est même le but : obtenir des aveux avant qu'un baveux vienne lui dire de se taire.

Conclusion logique : les procédures française d'exception ne sont pas conformes à la Convention européenne des droits de l'homme. Toutes les personnes qui ont avoué des faits dans ce laps de 48 heures peuvent demander une indemnisation pour violation de leurs droits, et la révision de leur procès (art. 626-1 du CPP) si elles ont été condamnées sur la base de ces aveux, car leur procédure est présumée avoir porté une atteinte irrémédiable à leurs droits de la défense.

Peut-être vois-je midi à ma porte car depuis 2004, où j'ai participé aux manifestations des avocats contre ce volet de la loi Perben II, je suis convaincu que cette procédure est contraire aux droits de l'homme. Je lirai donc avec intérêt tout point de vue contradictoire visant à démontrer que je me trompe.

Car si tel n'est pas le cas, le 27 novembre 2008 fut une belle journée pour les droits de l'homme.

lundi 4 mai 2009

Pour aller en garde à vue, t'as une solution ?

Le Courrier Picard raconte une histoire qui, à en croire ma boîte mail, fait beaucoup réagir.

Une personne qui a reçu d'un collègue un SMS libellé « Pour faire dérailler un train, t'as une solution ? » s'est vue convoquer par la police et a passé une nuit en garde à vue. Je cite l'article :

« Ils voulaient avoir des précisions sur ce SMS. Je m'y suis rendu sans aucune appréhension, je ne voyais vraiment pas où était le mal. » Mais sitôt arrivé au commissariat, le ton change. « J'entends parler d'affaire criminelle, de terrorisme, et d'une garde à vue qui pourrait durer dix jours, raconte Stéphane. On me demande si je suis capable de choses farfelues comme, par exemple, faire dérailler un train. » Le jeune homme tombe des nues. Il donne le nom de son collègue, auteur du fameux SMS. La police perquisitionne chez ce dernier et le ramène au commissariat. « Je me disais, ils vont faire les vérifications et tout sera terminé. En fait, le cauchemar ne faisait que commencer. »

Sur instruction du parquet, S… est placé en garde à vue à 16 heures. « C'était un véritable choc. En deux secondes, j'ai eu l'impression de devenir un vulgaire criminel. Je me retrouve dans une belle cellule jaune qui sent la pisse, j'ai l'impression d'être traité comme un chien. » Au petit matin, les auditions se poursuivent. Les vérifications sont longues et S… ne retrouve la liberté qu'à partir de 16 heures, soit au bout de 24 heures de garde à vue. L'auteur du SMS est également libéré.

Premier rapide commentaire : pas dix jours, six jours, c'est le maximum possible en cas de terrorisme. En l'occurrence, 16 heures auront suffit mais la qualification terroriste aura permis de tenir l'avocat éloigné pendant ce laps de temps, car il n'a pas le droit de pointer son vilain nez avant 48 heures.

L'article est ambigü sur un point : il semble laisser entendre que l'opérateur a dénoncé S… après avoir intercepté ce SMS. Ce n'est pas (encore) juridiquement possible. L'article L. 34-1 des Postes et communication électroniques fixe les informations conservées et tenues à la disposition de la police, et cet article précise bien que ces informations « ne peuvent en aucun cas porter sur le contenu des correspondances échangées ou des informations consultées, sous quelque forme que ce soit, dans le cadre de ces communications. » (Il faut chercher un peu, c'est le 2e alinéa du V).

En fait, il semblerait que les faits soient les suivants.

Le portable habituel de S… est tombé en panne. Il l'a donc remis à son opérateur qui lui en a prêté un de remplacement. Au cours des opérations de réparation, le technicien est tombé sur ce SMS, stocké dans la mémoire interne du téléphone. Son sang picard n'a fait qu'un tour : faire dérailler un train, c'est comme arracher une caténaire, si on excepte la fait que ça n'a rien à voir : c'est sûrement un coup de Tarnac.

L'opérateur dénonce donc les faits à la police qui ouvre une enquête en préliminaire, pour non dénonciation de crime (art. 434-1 du Code pénal), s'il vous plaît, avec la procédure d'exception pour le terrorisme, pour faire bonne mesure. On lui reproche d'avoir eu connaissance de la préparation d'un attentat et de ne pas l'avoir lui-même dénoncé aux autorités.

S… a donc été convoqué, principalement… pour lui demander qui lui a envoyé ce SMS, et aller chercher ledit émetteur par la peau des fesses, et lui demander s'il n'aurait pas par hasard des tuyaux sur une insurrection à venir et des comités invisibles.

Âbénonhain, comme on dit dans la baie de Somme, a répondu ce dernier. Après seize heures à l'isolement dans une cellule jaune qui sent la pisse aux normes républicaines, il est remis en liberté. Le procureur de la République d'Abbeville est en charge des excuses (et moi du graissage) :

« La procédure pénale est la même pour tout le monde, que le risque soit probable ou peu probable », rappelle Éric Fouard, mettant en avant le principe de précaution qui prévaut en matière de terrorisme.

« Cette actualité récente [l'affaire Julien Coupat, qui remonte tout de même à sept mois] a certainement joué en sa défaveur, admet le procureur. Je comprends que, de son côté, la garde à vue puisse paraître violente mais, dans ce genre d'affaire, on ne peut prendre aucun risque. »

Je cherche pour ma part désespérément le risque que la police n'a pas voulu prendre en privant de liberté seize heures une personne qui avait reçu un SMS semblant indiquer que son correspondant n'avait pas la moindre idée de comment faire dérailler un train. Et pourtant, en tant qu'avocat, j'ai de l'imagination, forcément…

Moralité de l'histoire ? Il y en a plusieurs.

- Si vous ne faites pas dans le terrorisme, pensez à effacer vos SMS de la mémoire de votre téléphone. Sinon, merci de les laisser pour les services de police.

- Encore une fois, au nom de notre sécurité (le déraillement de train étant avec la grippe porcine mexicaine A la première cause de mortalité des Français, c'est bien connu), la liberté individuelle est balancée à la poubelle sans un seul instant de réflexion sur la nécessité de la mesure. Et avec la bénédiction de l'autorité judiciaire, garante des libertés individuelles selon la Constitution, qui sur ce genre d'affaire n'est vraiment pas à la hauteur de son rôle (un peu comme le procureur de Nîmes qui, tout magistrat qu'il est, a fait appel de la remise en liberté de la famille avec le bébé de quatre mois, la contraignant à passer trois jours de plus en Centre de rétention, pour rien et en violation de la Convention des droits de l'enfant : car ce placement était bien illégal. Principe de précaution, encore. On ne pouvait prendre le risque de laisser ce bébé de quatre mois en liberté).

En effet, sachez-le, seul le procureur de la République (ou le juge d'instruction si c'est sur commission rogatoire, mais le juge d'instruction est plus accessible que le procureur pour l'avocat) a le pouvoir d'ordonner qu'il soit mis fin à une garde à vue ; et la loi ne prévoit aucune possibilité pour l'avocat du gardé à vue de saisir un juge pour lui demander de regarder le dossier et juger de l'absolue nécessité de cette privation de liberté. Le procureur ne peut le faire que de sa propre initiative. D'ailleurs, pour peu que l'affaire porte sur du terrorisme, du trafic de stupéfiant, ou de la délinquance en bande organisée, l'avocat est soigneusement tenu écarté pendant 48 heures.

Quand je dis que la procédure pénale française a des aspects médiévaux, je suis injuste. Avec le Moyen-Âge. L'Habeas Corpus, les Anglais l'ont depuis 1215 (C'est Jean Sans Terre, le vilain Prince Jean de Robin des Bois qui l'a accordé à ses sujets !), les Français quant à eux restent soumis à l'arbitraire de l'État qui peut vous embastiller, pour votre sécurité bien sûr, pendant 48 heures sans que vous ne puissiez rien dire ; et si c'était une erreur, ne comptez même pas sur des excuses. Des anglais et de nous, qui sont les citoyens, qui sont les sujets, à votre avis ?

Ce qui est tout particulièrement rageant, c'est qu'en tant qu'avocat, ma position est que dès que S… a mis un orteil dans le commissariat, il devait être placé en garde à vue car ce placement est créateur de droits (notamment il fait partir le compte à rebours pour la durée maximum). Mais garde à vue n'est pas nécessairement synonyme de placement en cellule, retrait des ceintures, montres, lacets, lunettes, d'humiliation et d'heures d'attentes passées en cellule odoriférante. Sauf dans l'esprit des policiers. La CNDS le rappelle régulièrement[1], d'ailleurs, avec autant d'effet que pisser dans un violon (c'est peut-être pour ça que le violon sent l'urine, au fait ?).

Et pour finir sur une note optimiste, la politique du chiffre mise en place depuis 2002 prévoit parmi les objectifs chiffrés servant à noter les unités et à répartir les budgets le nombre de gardes à vue. Après ça, étonnez-vous qu'elles augmentent de 54% sur la période, et de 73% pour celles de plus de 24 heures. Ça en fait 225000 de plus par an. 616 de plus par jour. Une toutes les deux minutes. Il faut bien les trouver. Fût-ce dans votre boîte de réception des SMS.

Quoi ? J'avais dit que je finirai sur une note optimiste ? Au temps pour moi. Comme la police d'Abbeville, je me suis trompé.

Notes

[1] Voir dans son rapport 2008 tout beau tout chaud les avis 2006-100 ; 2006-108 ; 2007-64 ; 2007-81 ; 2007-107 ; 2007-130 ; 2007-144 ; 2008-1 ; et 2008-52.

samedi 20 décembre 2008

Quelques mots sur l'affaire Coupat

Que ce soit en mail ou en commentaires, je reçois beaucoup de questions sur l'affaire Coupat, et plus largement sur l'affaire des sabotages des lignes TGV, imputés à un groupuscule d'extrême gauche, et qualifiés d'entreprise terroriste.

Voici juste quelques éclaircissement généraux qu'un juriste peut apporter. Je n'ai accès à aucune pièce du dossier et me garderai de me prononcer sur la responsabilité des personnes interpellées, même si la remise en liberté de certaines et le maintien en détention d'autres peut surprendre. Mais après tout, ces sabotages ne nécessitant pas une infrastructure élaborée, il est possible que seuls certains membres y aient été mêlés. Qui vivra verra.

Voyons donc le cadre général dans lequel se déroule cette instruction, avant de voir ce qui est arrivé à Julien Coupat.

Le cadre général : les infractions terroristes.

Le code de procédure pénale (CPP) pose les règles générales applicables aux instructions. Mais d'années en années, des réformes ont ajouté à la fin du code toute une série de règles dérogatoires au droit commun, jamais au bénéfice des personnes soupçonnées, mais, bien sûr, au nom de notre sécurité, l'alibi absolu avec la protection des enfants (ceux là même qu'il faut envoyer en prison dès 12 ans).

C'est ainsi que le CPP prévoit des règles de procédure spécifiques pour :

► Les actes de terrorisme (art. 706-16 à 706-25-1).
► Le trafic de stupéfiants (art.706-26 à 706-33).
► La traite des être humains[1] (art.706-34 à 706-40).
► Les infractions sexuelles (art. 706-47 à 706-53-12).
► Les infractions en bande organisée (art. 706-73 à 706-106).

Ajoutons à cela des règles dérogatoires pour les infractions commises par les personnes morales, les majeurs protégés, les déments, en matière sanitaire, économique et financière, et de pollution maritime, et vous comprenez que les larmes qui accueillent tant chez les avocats que les magistrats l'annonce d'une nouvelle réforme du CPP ne sont pas toutes de joie et de reconnaissance éperdue.

Revenons en à notre affaire.

En l'espèce, les actes de sabotage des lignes TGV ont été qualifiées d'actes de terrorisme.

Voilà qui peut surprendre quand d'habitude, le terrorisme évoque des bombes dans les transports en commun, des avions qui explosent, ou à tout le moins, des bâtons de dynamite dans une chasse d'eau. Mais une caténaire arrachée, ça fait petit joueur. Ça perturbe le trafic mais ça ne risquait pas de tuer quiconque.

Qu'est ce que la loi entend donc par acte de terrorisme ?

En principe, un acte de terrorisme n'est pas une infraction autonome. Il s'agit d'une infraction de droit commun dont le législateur fait la liste[2], mais commises « intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur ».

À ces délits viennent s'ajouter, bien qu'elles soient présentées comme des infractions autonomes, l'introduction dans l'environnement d'une substance de nature à mettre en péril la santé de l'homme ou des animaux ou le milieu naturel dans le cadre d'une entreprise terroriste, l'association de malfaiteurs[3], le financement d'une organisation se livrant au terrorisme[4], ou le fait de ne pouvoir justifier de son train de vie quand on est en relation habituelle avec des personnes se livrant à du terrorisme[5], qui sont en faits des infractions existantes aggravées ou adaptées (la dernière s'inspire du proxénétisme).

Et à quoi ça sert ?

Tout d'abord, les infractions en questions sont toutes aggravées (sauf l'association de malfaiteurs, on touche déjà le plafond de 10 ans encourus). Les destructions volontaires en réunion, qui font encourir 5 ans de prison, en font encourir sept dans le cadre du terrorisme.

En outre, en présence d'une de ces infractions, le tribunal de grande instance de Paris est compétent, en concurrence avec le parquet local du lieu de l'infraction. Cela ne veut pas dire que deux instructions vont être menées en parallèle, le code prévoit les règles de l'éventuelle transmission du dossier à Paris. Pourquoi ? Parce que les juges et avocats de province sont trop mauvais Parce que le parquet de Paris est doté d'une section spécialisée, la section C1, et de juges d'instruction également spécialisés dans la matière, et qui connaissent bien les différents réseaux, leur fonctionnement, leur mentalité. C'est notamment là-haut, sous les toits, dans la galerie Saint-Éloi, qu'a exercé pendant plus de 20 ans le célèbre juge Bruguière. Enfin, les crimes sont jugés par une cour d'assises spéciale composée de 7 magistrats professionnels sans jurés, pour mettre les citoyens à l'abri des pressions et représailles des organisations terroristes.

Au stade de l'enquête, ce sont des services de police spécialisés (par exemple la Direction Nationale Anti-Terroriste, DNAT) qui sont saisis.

Enfin et surtout, puisqu'il s'agit de votre sécurité, n'est-ce pas, les droits de la défense sont mis au congélateur. La garde à vue peut durer jusqu'à 96 heures, voire 144 heures (oui, 6 jours) en cas de menace imminente (mais une menace non imminente est-elle une menace ?), le gardé à vue n'ayant droit à s'entretenir avec son avocat qu'au bout de la 72e heure. Car c'est connu, rien ne permet mieux de lutter contre le terrorisme que de priver des suspects de leurs droits de la défense, sauf peut être une prison militaire sur un bout d'île occupée.

Je précise que s'il s'avère que le quidam placé 6 jours en garde à vue n'a rien à voir avec le terrorisme, il ne peut même pas prétendre à un mot d'excuse.

Revenons en à nos anarchosaboteurs.

On leur impute des dégradations, détériorations et destructions en réunion dans le cadre d'une entreprise terroriste (puisqu'ils ont été commis intentionnellement dans le cadre d'une entreprise individuelle ou collective (collectiviste, en l'espèce) ayant pour but de troubler gravement l'ordre public par l'intimidation ou la terreur, et une association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste[6]. Ce qui lui fait encourir 10 ans de prison.

Le fait de recourir à la procédure extraordinaire des infractions terroristes dans cette affaire est contesté dans son principe par des soutiens aux personnes interpellées, et quelques juristes. Sachez qu'en droit, s'il s'avérait que les faits ne relevaient pas de cette procédure dérogatoire car l'entreprise terroriste n'est pas caractérisée (de fait, bloquer des TGV trouble-t-il gravement l'ordre public ?), les faits seraient requalifiées en infraction de droit commun, mais les poursuites n'en resteraient pas moins valables, même avec une garde à vue plus longue que le maximum légal prévu pour ces délits.

Les déboires de Coupat.

Lexpress.fr nous apprend que Julien Coupat, présenté comme le chef des anarchistes (cherchez l'erreur) reste incarcéré malgré la décision de remise en liberté du juge des libertés et de la détention.

Un juge des libertés et de la détention (JLD) a signé vendredi une ordonnance de remise en liberté à la suite d'une demande déposée par son avocate, Me Irène Terrel, à l'issue d'un interrogatoire de Julien Coupat devant le juge d'instruction chargé de l'enquête le 12 décembre.

Situation classique. Le juge d'instruction interroge le mis en examen détenu. L'interrogatoire terminé, l'avocat a aussitôt le réflexe de demander la remise en liberté, puisque maintenant que le client a été entendu, un des motifs de l'incarcérer (prévenir une collusion avec les autres auteurs ou complice) a disparu. Le juge d'instruction peut décider d'office de remettre en liberté, ou l'avocat peut le lui demander. En cas de demande de mise en liberté (dite DML), que ce soit par l'avocat ou le détenu lui-même au greffe de la maison d'arrêt, le juge doit transmettre immédiatement la demande au parquet pour connaître son avis, et soit remettre le détenu en liberté, soit s'il estime qu'il faut rejeter la requête, la transmet avec son avis au JLD dans les 5 jours de la communication de la demande au parquet. L'article nous apprend sans le dire que le juge d'instruction était contre la remise en liberté puisque c'est le JLD qui a statué, et que le parquet s'opposait lui-même à cette remise en liberté, par la procédure spéciale qu'il a utilisée pour paralyser l'ordonnance du JLD..

Le JLD a alors trois jours ouvrables pour rendre une ordonnance motivée susceptible d'appel, par le détenu en cas de rejet de sa demande de mise en liberté, soit par le parquet en cas de remise en liberté. Bien que rien n'interdise au parquet de faire appel d'un refus de mise en liberté. Si, si. C'est déjà arrivé.

Le juge avait jusqu'à lundi pour statuer, mais il n'a pas attendu jusque là et vendredi, il a signé une ordonnance de remise en liberté. Le parquet n'est pas d'accord, le détenu n'étant pas un dignitaire d'une dictature amie de la France (qui a dit “pléonasme” ?) mais un simple citoyen français (anarchiste, certes mais citoyen quand même).

Le jeune homme de 34 ans n'a cependant pas été remis en liberté, le parquet ayant pris un référé-détention contre la décision du JLD. Cet appel doit être examiné mardi par la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, selon l'une de ces sources.

Référé détention ? Qu'est-ce donc, me demanderez-vous ?

En 1996, dans un de ces moments de grâce où une majorité de l'assemblée réalise l'importance des droits de la défense (c'était suite à l'affaire Botton…), a été institué une procédure de référé liberté. Quand un juge des libertés et de la détention place quelqu'un en détention, la personne concernée ou son avocat peut immédiatement faire appel et demander que le président de la chambre de l'instruction examine dans les trois jours ouvrables la demande. Il peut décider de remettre le détenu en liberté, ou renvoyer l'affaire devant la chambre de l'instruction dans le cadre de l'examen ordinaire de l'appel. Notons que c'est, à ma connaissance, la seule procédure d'appel qui peut se former immédiatement devant le juge qui vient de rendre la décision. Je vous garantis l'effet pour plomber l'ambiance. C'est l'article 187-1 du CPP.

En 2002, dans un de ces moments de disgrâce qui suit une campagne présidentielle sur le thème de l'insécurité, la même majorité va adopter la procédure inverse : le référé-détention. L'hypothèse est celle d'un JLD qui remet en liberté contre les réquisitions du parquet. Le JLD doit alors notifier sa décision au parquet qui a quatre heures pour faire appel en demandant un examen immédiat de cet appel. La logique aurait voulu que ce soit le président de la chambre d'instruction qui examine ce référé détention, tout comme il examine les référés libertés. Ce sera donc le premier président de la cour d'appel qui s'y collera. Des mauvaises langues, dont je ne suis certainement pas, vous me connaissez, diront qu'un premier président de cour d'appel est à un niveau tel de la hiérarchie (qu'on appelle hors hiérarchie, c'est dire…) que toute possibilité de promotion, qui ne peut se faire qu'en Conseil des ministres, suppose d'être bien vu par le gouvernement en place, donc rend plus… vigilant sur la teneur des décisions politiquement sensibles qu'il pourrait prendre. Heureusement, je ne suis pas mauvaise langue. C'est donc juste une simple incohérence législative.
Le premier président doit statuer au plus tard le deuxième jour ouvrable suivant la demande. Articles 148-1-1 et 187-3 du CPP.

Pour en revenir à notre ami qui n'aime ni l'économie de marché ni les caténaires (ce dernier point étant toutefois contesté), la décision de remise en liberté est paralysée par un référé détention qui doit être examiné mardi au plus tard. Cela provoque, et on la comprend, l'ire de son avocat. Las, soit la douleur l'égare, soit ses propos ont été mal compris par le journaliste.

« Il devrait être libre à l'heure où je vous parle », a affirmé son avocate, dénonçant cette « procédure exceptionnelle qui n'a pas lieu d'être ». « Tout est bloqué par un référé-détention, ce n'est pas normal. Julien Coupat a des garanties de représentation », a-t-elle estimé. « Un référé-détention à la veille de Noël, ça va trop loin, c'est lamentable », a déploré Me Terrel.

Un référé détention est aussi exceptionnel qu'un référé liberté. C'est une voie de recours tout à fait légale ouverte au parquet quand il le souhaite. Dieu sait que c'est frustrant pour un avocat de la défense de sauter sur le fax, lire "Ordonnance de remise en liberté", crier "Youpi", feuilleter les pages et tomber sur un avis de référé détention. Ça met une claque. Il demeure, c'est légal. Et c'est normal que tout soit bloqué par ce référé détention : c'est le but du référé détention. Et aucun texte ne s'oppose à ce qu'il soit exercé la veille (ou l'avant-avant-avant-avant-avant-veille de Noël, c'est pareil, ne jouons pas sur les mots) de Noël.

Voilà les quelques lumières que je puis apporter sur cette affaire. Je me garderai bien, j'insiste, de me prononcer sur le fond, et vous prierai de respecter cette même réserve en commentaire. L'instruction est en cours et nous ne savons rien ou si peu de son contenu. Entre ceux à ma droite qui crient au loup au couteau entre les dents, et ceux à ma gauche qui crient au coup monté contre d'innocents rêveurs qui pensent que la lutte contre l'économie de marché commence en ouvrant une épicerie dans le Limousin, je n'ai aucune envie de trancher et là n'est pas l'objet de ce billet.

Notes

[1] Rien à voir avec la production de lait maternel, il s'agit du proxénétisme.

[2] Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l'intégrité de la personne, l'enlèvement et la séquestration ainsi que le détournement d'aéronef, de navire ou de tout autre moyen de transport, les vols, les extorsions, les destructions, dégradations et détériorations, ainsi que les infractions en matière informatique ; les infractions en matière de groupes de combat et de mouvements dissous ; les infractions en matière d'armes, de produits explosifs ou de matières nucléaires, le recel du produit de ces infractions ; les infractions de blanchiment et même les délits d'initié. Art. 421-1 du Code pénal.

[3] Ajouté par une loi votée au lendemain des attentats de 1995.

[4] Ajouté par une loi votée au lendemain des attentats du 11 septembre 2001.

[5] Ajouté par une loi votée au lendemain de l'attentat de Bali.

[6] Le fait de participer à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un des actes de terrorisme mentionnés aux articles précédents. Article 421-2-1 du code pénal

Mes logiciels, comme mes clients, sont libres. Ce blog est délibéré sous Firefox et promulgué par Dotclear.

Tous les billets de ce blog sont la propriété exclusive du maître de ces lieux. Toute reproduction (hormis une brève citation en précisant la source et l'auteur) sans l'autorisation expresse de leur auteur est interdite. Toutefois, dans le cas de reproduction à des fins pédagogiques (formation professionnelle ou enseignement), la reproduction de l'intégralité d'un billet est autorisée d'emblée, à condition bien sûr d'en préciser la source.

Vous avez trouvé ce blog grâce à

Blog hébergé par Clever-cloud.com, la force du Chouchen, la résistance du granit, la flexibilité du korrigan.

Domaine par Gandi.net, cherchez pas, y'a pas mieux.