Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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lundi 15 avril 2024

On n’a pas tous les jours vingt ans

Il y a 20 ans aujourd’hui, j’ouvrais ce blog. Il a eu une décennie de forte activité, et une décennie d’un rythme, disons… reposant.

Comme je l’ai déjà écrit, l’envie d’écrire, et les sujets d’inspiration, ne manquent pas, et la dégradation à vue d’œil de l’ambiance sur Twitter contribue à me donner envie de reprendre le temps d’écrire ici.

La difficulté à laquelle je me heurte est totalement extérieure. J’ai une activité professionnelle prenante, et qui se développe de manière continue et tant mieux (merci au parquet pour sa volonté inébranlable de sembler vouloir faire ma fortune). Or mon activité professionnelle est ma priorité : sans elle, je n’aurais plus rien à raconter ici, outre une sombre histoire d’obligation que j’aurais à nourrir mes enfants, fichu code civil, je n'y ai jamais rien compris.

Mais rédiger un billet, c’est comme rédiger des conclusions, une assignation ou un mémoire, selon votre chapelle du droit. On y réfléchit, ça mature, et quand il est prêt dans notre tête, il faut prendre deux à trois heures de rédaction concentrée sans interruption. Et quand j’ai deux à trois heures de libre devant moi, j’ai généralement des conclusions, une assignation ou un mémoire à rédiger, car je pratique les trois chapelles. Il va falloir que j’apprenne à faire court. Ma foi, depuis le temps que je suis sur Twitter, j’ai pratiqué l’art du succinct. Mes prochains billets seront brefs, ne m’en veuillez pas : voyez-y une rééducation à l’exercice.

Je me rends compte aussi que ma série de billets sur le cacagate m’est devenue plus pénible à écrire depuis le décès de celui qui m’a accompagné dans cette épreuve depuis le premier jour, contribuant par son énergie rigolarde à la transformer en sacrés bons moments, je pense bien sûr à Maître Mô.

Je n’arrive pas à me remettre de son absence, je ne suis pas sûr d’en avoir envie d’ailleurs, mais écrire sur le sujet me serre le cœur au point d’en être douloureux. Mais je me dois de la finir, pour tourner la page, donner ma version des faits, et surtout saisir cette occasion pour me moquer encore une fois de l’Institut pour la Justice car il le mérite. Et je pourrai passer à autre chose (mais je moquerai toujours de l'IPJ, mon courroux vengeur est imprescriptible).

Telle est la vie des blogs. Quelques joies, très vite effacées par d'inoubliables chagrins. Il n'est pas nécessaire de le dire aux trolls (Merci Marcel).

Mais c’est un anniversaire, que diantre ! pas des funérailles, donc joyeux anniversaire à toi mon blog, permets-moi de parcourir tes grandes salles vides qui résonnent encore du rire de mes commensaux partis vers d’autres cieux : Dadouche, Gascogne, Fantômette, Simonne Duchmole, Lulu et les autres (ils vont tous bien, rassurez-vous, et n’ont rien perdu de leur esprit et de leur humanisme, peut-être quelques illusions en chemin, mais c’est la vie), laissez-moi ouvrir les fenêtres pour aérer, de chasser quelques araignées qui ont pu y élire domicile.

Je ne vous promets pas d’autres billets pour bientôt, car ce serait comme promettre d’être bref au début de sa plaidoirie : une incantation destinée à ne pas être tenue mais à tromper l'auditoire quelques minutes, et le temps qu’il le réalise, c’est trop tard.

Je préfère le faire, tout simplement ; et sinon, vous saurez où me trouver (j’entends par là sur Blue Sky).

Purée. Vingt ans.

mardi 16 août 2022

Eolas contre Institut pour la Justice, épisode 4 : un poubelle espoir

Je vous l'avais dit, chers lecteurs et surtout chères lectrices, que je ne vous laisserais pas vous morfondre longtemps.

Ainsi, si un an a passé entre les deux audiences devant le tribunal correctionnel de Nanterre, un jour a passé sur ce blog. C'est à n'y rien comprendre, et cela vous met dans la parfaite disposition d'esprit pour cette audience.

N'étant pas témoin impartial de cette audience et n'ayant aucune prétention à l'être, je vais être, une fois n'est pas coutume, et deux fois non plus en prévision du billet sur l'audience d'appel, un peu personnel. Vous me le pardonnerez, ces billets ayant aussi l’objet d’être une thérapie, et si vous ne le pardonnez pas, alors vous faites partie de la catégorie des gens dont l’avis ne m’importe pas, et ça n’a aucune importance.

La première chose qui me revient en pensant à ce procès, c'est la présence dans le public de personnes qui me sont chères venues me soutenir, et d'autres aussi, à qui je n'avais rien demandé, et qui avaient estimé nécessaire d'être là pour me soutenir. Je ne sais plus si j'avais réussi à bafouiller ma gratitude de manière audible, mais je le répète ici avec le calme et le recul : merci à toutes et à tous, vous m'avez tellement fait plaisir. Merci, merci, merci. Même à toi, Y., qui a eu des ennuis par la suite hélas. Ce jour-là, tu fus un vrai confrère, je ne l’oublie pas.

C'est très étrange de se retrouver debout à la barre, en simple costume-cravate dans un prétoire que l'on connait fort bien. On se sent tout nu. Cela fait bizarre de s’entendre appeler par ses nom et prénom, et d'avancer jusqu'à la barre, aux côtés des autres prévenus — bon, de la seule autre prévenue à avoir fait le déplacement, la formidable et brillante Julie Brafman, après de qui je ne m'excuserai jamais assez de lui avoir imposée d'écouter, dans un silence religieux, le rappel de mes propos contenant beaucoup trop d'informations non sollicitées sur mon caca. Car la loi exige qu’au début de chaque audience correctionnelle, le président rappelle au prévenu pourquoi il est là, et dans le cas de votre serviteur, cela supposait d’entendre un magistrat dire avec tout la solennité possible que j’était prévenu d’avoir injurié l’association Institut pour la Justice en disant que je refusais obstinément de me torcher avec elle afin de ne pas salir mon caca. Julie, pardon, pardon, mille fois pardon, heureusement que nous avons trouvé depuis d'autres sujets de conversation.

Les avocats font les pire clients, tous les avocats le savent, et je ne pense pas avoir fait défaut à Maitre Mô sur ce point. Nous nous étions mis d'accord sur la stratégie de défense suivante : "Dis ce que tu veux, je m'en fous, je me débrouille". Ayant la plus grande confiance en Jean-Yves, je ne doute pas d’avoir, fût-ce involontairement, mis la barre très haut. Ce qui est redoutable, c'est notre trop grande aisance à la barre. Nous sommes dans un prétoire, dans la partie du prétoire qui est la notre, en bas, loin du perchoir du procureur, là où en l’occurrence j’avais déjà plaidé et ai replaidé depuis, et ai l’habitude d’y croiser le verbe. C’est d’ailleurs l’attitude que le tribunal attend d’un avocat : une liberté totale de parole, que seule doit brider la pertinence du propos.

Mais pas d’un prévenu. Et très vite, on oublie qu'on est non pas le conseil du prévenu, mais… le prévenu. Avec l’absurdité de l'accusation, et le mépris, tout légitime qu'il soit, dans lequel on tient la personne morale qui nous poursuit, je ne pense pas avoir été un client facile, mais figurez-vous que Jean-Yves m'avait menti. Il ne s'est pas débrouillé, il a été brillant, ce qui lui était consubstantiel.

Peu lui a importé que le conseil de cette piteuse association lui ait remis ses conclusions, même pas en début d'audience, comme font les mauvais avocats, mais pire encore, en cours d'audience. Les chiens ne font pas des chats.

À ce sujet, puisque je ne cache rien ou presque, l’IPJ ne s’est pas contenté de demander des dommages-intérêts symboliques, le montant total de ses demandes s’élevait à 150.000 euros. Oui, cent cinquante mille. L’IPJ jouait les vierges effarouchées par un vilain mot, mais était bien là pour se venger de mon billet ayant ruiné leur opération de fake news avant l’heure, et visait ma mort économique. Ce n’était pas un jeu pour cette association, et par conséquence, ça ne l’était pas pour moi non plus. L’extrême droite ne plaisante jamais.

Peu a importé à Maître Mô, à Jean-Yves, je ne sais même pas comment l'appeler, que son client préférât avoir les rieurs que les juges de son côté. Il m'a donné une leçon du métier d'avocat, et aujourd’hui je peux dire que je sais ce que ça fait que d'être défendu par maître Mô. Sur le coup, j'ai pensé qu'il ne pourrait rien m'arriver de mieux dans un prétoire, mais heureusement, grâce au tribunal correctionnel de Nanterre, j'ai pu être détrompé deux ans plus tard (Teaser).

J'aurais du mal à faire un récit détaillé de cette audience. Je ne pouvais prendre de notes, ça se serait vu. Je me souviens de bribes.

Puisqu’il y avait exceptio veritatis, il y eut d’abord bataille d’expert. Las, Zythom, qui était bien là en juillet 2014, avait un empêchement professionnel et n’a pu venir soutenir son rapport, mais il fut déposé à la procédure et accessible au tribunal. Qui, on le verra, ne l’a probablement pas lu.

Le rapport de Zythom établissait que tout ce que demandait la page de signature de la pétition en cause était que divers champs remplissent les conditions suivantes : le champ « nom » ne doit pas être vide ; le champ « prénom » ne doit pas être vide ; le champ « e-mail » ne doit pas être vide, et correspondre à une syntaxe d’e-mail valide, c’est-à-dire commençant par au moins un caractère pris parmi les 26 lettres de l'alphabet en majuscules ou minuscules, les dix chiffres, l’underscore ou le tiret, suivi par le caractère « @ », et suivi par un nom de domaine composé d’au moins un caractère alphanumérique, un point, et deux ou trois cratères alphanumériques, sans vérification de l’existence réelle dudit nom de domaine ; le champ « code postal » ne doit pas être vide (mais il n’a pas à correspondre à un vrai code postal et pouvait être rempli avec des lettres, et un seul caractère suffisait) ; l’adresse e-mail saisie ne doit pas déjà être présente dans la base. Aucune vérification n’était faite, pas même par l’envoi d’un e-mail de validation. Ainsi, le facétieux Maître Mô avait signé la pétition au nom de Napoléon Bonaparte, avec une adresse e-mail fantaisiste, et la signature avait été acceptée sans barguigner et aussitôt enregistrée, alors que nous avions des preuves irréfutables que l’Empereur ne pouvait avoir signé ladite pétition.

Je précise que le fichier des signataires ne nous a jamais été accessible (ce n’était pas l’objet de notre demande par ordonnance sur requête) ni communiqué. Encore une fois, ‘’trust me, bro.’’ L’analyse des logs avait confirmé que la courbe droite que j’avais publiée, et qui montrait une rythme de signature absolument stable sur une période de 20 minutes (soit 4500 signatures) était exacte, mais que sur 24 heures, la courbe montrait un aplanissement entre 00h00 et 07h00, avant de reprendre à un rythme élevé et soutenu le reste de la journée. Bref, concluait le rapport, ce compteur n’était pas fiable et il était abusif de présenter comme autant d’êtres humains signataires le nombre de formulaires remplis sans la moindre vérification. Ce qu’on pourrait résumer, pour que ça tienne en un tweet, d’à l’époque 140 caractères maximum, par « compteur bidon ».

Je me souviens aussi que l'avocat de la partie civile a expressément insinué à la barre que j'étais si ça se trouve, peut-être, en train de tweeter en direct depuis le banc des prévenus. Bien sûr, je n'en faisais rien. Bien sûr, il était en embuscade. Bien sûr, il était déçu que je n’en fisse rien. Bien sûr, le tribunal n’a pas pu vérifier ce qu’il en était. Mais j’ai eu droit à un regard soupçonneux de la présidente.

Je me souviens de Xavier Bébin, délégué général de cette association, la représentant à l’audience, et son seul membre actif à l’époque, piètre juriste et piètre écrivain s’attribuant un titre pompeux de criminologue qui avait pour avantage de ne pas exister, partant de ne pas être réglementé et donc de ne pouvoir être usurpé, expliquant à la barre que mon billet sur le blog l’avait laissé indifférent et n’avait pas eu d’incidence sensible sur le rythme des signatures (« Et pour cause ! » avait murmuré Jean-Yves de sa voix trop grave pour qu’on ne l’ait pas entendu jusque dans la salle d’à-côté), mais qu'il avait été frappé d'une quasi dépression dont il ne se remettait que péniblement en lisant le tweet où j'expliquais en quoi sa postérité littéraire et mon postérieur n’étaient jamais destinés à se rencontrer. Son numéro d’homme meurtri a sans doute été le moment le plus involontairement amusant de ce procès. Personne n’y a cru, et c’était gênant par moment.

Et enfin la plaidoirie de Jean-Yves, de celles qui vous font redresser la tête par gros temps, qui, méthodiquement, juridiquement, expliquait pourquoi, j'assume le jeu de mot, la plainte de l'IPJ était de la merde, et notamment que les propos qui m'étaient prêtés n'avaient JAMAIS été tenus tels qu'ils étaient présentés dans la plainte, ce qui en soi aurait dû garantir ma relaxe en vertu du droit de la presse. Son moment de bravoure a été de me présenter comme le prévenu de Schrödinger, l'IPJ disant que mes propos litigieux n'avaient eu aucun effet sensible sur le succès de leur pétition ("Même pas mal !") et en même temps leur avait causé un préjudice qui ne pouvait être réparé qu'à hauteur de 150.000 euros, avions-nous appris en cours d'audience ("On a trop mal on va mourir Eolas m'a tuer"). Et enfin, et surtout, en tout état de cause, ce qui ne pouvait échapper à un juriste tel que lui et fin connaisseur du droit de la presse, quand bien même toutes les objections préalables eussent été balayées comme infondées, il en restait une invincible : la liberté d'expression me protégeait, du fait que c'était un débat public sur un thème d'intérêt général puisque nous parlions d'un débat sur l'autorité judiciaire dans un contexte de campagne présidentielle. Les juristes de mes lecteurs l’auront reconnu : c’est l’article 10 de la convention européenne des droits de l’homme, le totem d’immunité de la Raison face aux factieux qui veulent l’étouffer.

Plutôt rasséréné, je quittais le prétoire après avoir entendu que le jugement serait rendu le 6 octobre 2015. Anecdote qui a son importance pour la suite, en sortant du prétoire, Jean-Yves et moi croisâmes Éric Morain, venu ce jour là à Nanterre botter comme de coutume le postérieur d’un fâcheux. Je le connaissais déjà, d’un temps où Maître Eolas n’existait point encore. Je le présentai à Jean-Yves, ils se connaissaient de réputation, et Éric me déclara qu’il aurait bien aimé que je l’appelasse sur ce dossier, qui lui paraissait aussi intéressant qu’amusant, ce qui chez lui sont deux puissants moteurs de motivation. Nous nous séparâmes moi lui promettant, un peu en plaisantant, que s’il y avait appel, alors je le ferais monter sur ce dossier, comme on dit chez les avocats. Éric prit ma plaisanterie au sérieux, et nous quitta nanti en son for d’une promesse. Je la tins, à mon corps défendant. Bien sûr il y eut coupettes. Bien sûr, il y eut des rires.

Et puis il y eut le jugement. Et ce fut la douche froide.

Et ce sera l’objet du prochain billet.

dimanche 14 août 2022

Eolas contre Institut pour la Justice, épisode 3 : la revanche du site.

Comment ça, un peu de temps a passé depuis le précédent billet sur le sujet ? Allons, allons. D’abord, Albert Einstein l’a démontré, le temps est relatif. Ensuite, oui, vous avez raison, et je n’ai aucune excuse. Inutile donc d’y passer trop de temps. Adoncques et sans désemparer :

Bref résumé des épisodes précédents :

Furieuse que j’aie publiquement démonté ses fallacieuses manipulations, l’association Institut pour la Justice (qui n’est ni l’un ni l’autre) a porté plainte contre votre serviteur et d’autres personnes pour injure et diffamation dans ce que l’Histoire retiendra comme le cacagate. L’instruction s’est terminée en 2013, chaque intervenant dans la publication de ces vérités qui dérangent cette association a été identifié, il est temps d’aller à la baston. La citation devant le tribunal de Nanterre nous est arrivée le 18 juin 2014, et nous avons aussitôt réagi, mes défenseurs et moi, en dégainant le Gaffiot et en nous écriant « Exceptio veritatis ! »

Je vous sais tous bilingues en latin, et je vous félicite. Faisons un instant, pour rire, comme si vous ne l’étiez pas. Exceptio veritatis veut dire « exception de vérité ». Une exception, en droit, désigne un argument juridique qui vise à faire échec à l’accusation sans même que ses mérites ne soient examinés plus avant. Dans notre affaire, il s’agissait d’établir que les faits que j’avais dénoncés et qui m’étaient imputés à diffamation, à savoir que le compteur de l’IPJ était « bidon », étaient vrais. Le droit de la presse est facétieux, c’est là son moindre défaut. Il impose que cette exception soit soulevée dans le dix jours de la citation devant le tribunal et prenne la forme d’une signification par commissaire de justice (à l’époque on disait huissier de justice) des éléments de preuve et liste de témoins que nous entendions faire entendre, et ce sans pléonasme, par le tribunal. Ce que nous fîmes.

Car nous n’étions pas restés inactifs de notre côté, appliquant le dicton que la meilleure défense, c’est l’attaque. Dès après la mise en examen de notre serviteur, Maitre Mô avait sollicité et obtenu du président du tribunal de grande instance, comme on disait à l’époque, de Lille une ordonnance sur requête (donc à l’insu de l’IPJ) enjoignant à l’hébergeur du site de la pétition pour le pacte 2012, hébergeur qui, cela tombait bien, a son siège dans une ville voisine de la capitale du septentrion, de communiquer le code source de la page du fameux compteur.

Et parmi les témoins, nous invoquâmes un expert, et pas le moindre, puisque ce n’était nul autre que Zythom, à l’époque expert judiciaire, qui avait analysé le code source du compteur et avait conclu à sa parfaite absence de fiabilité, puisqu’on pouvait résumer son code par « trust me bro ». Comme la loi le lui permet, l’IPJ riposta dans les dix jours de notre offre de preuve par une contre-expertise tentant d’établir que la notre, d’expertise, n’était que billevesées et coquecigrue, et qu’on n’avait pas vu de compteur plus fiable depuis celui utilisé par la Manif pour Tous pour compter ses millions de manifestants. Nous reparlerons de cette contre-expertise mais plus tard que vous ne le pensez.

Et c’est ainsi que nous nous retrouvâmes le 1er juillet 2014 devant le tribunal correctionnel de Nanterre, prévenu(e)s, avocats, experts, prêts à en découdre. Autant vous le dire tout de suite, le combat tourna court.

Comme je vous l’avais expliqué dans le billet précédent, j’avais été renvoyé devant le tribunal pour un fait (l’article paru sur Slate.fr) pour lequel je n’avais point été mis en examen, faute de pouvoir être rattaché d’une quelconque façon à cet article, qui faisait le point sur la controverse en reprenant (fidèlement) mes propos sans m’avoir sollicité à cette fin, ce qui ne me pose rigoureusement aucun problème puisque la reprise de mes propos fut fidèle. Or la règle est d’airain : pas de renvoi devant une juridiction de jugement au terme d’une instruction judiciaire si pas de mise en examen. Il n’y a pas d’exception. C’était une cause de nullité de l’ordonnance de renvoi, le code de procédure pénale prévoyant dans ce cas de renvoyer l’affaire devant le juge d’instruction afin qu’il rectifie sa bévue.

Ce qui fut ordonné le 1er juillet, et le tribunal, constatant qu’il n’était pas saisi de cette affaire, nous renvoya vaquer à nos occupations, et nous vaquâmes comme personne, non sans avoir, comme il était de coutume quand Maître Mô était de la partie, fini l’après midi autour de quelques coupettes. Si comme je vous l’expliquerai à la fin, si je garde quelque amertume de cette expérience, elle est largement compensée par des souvenirs de très bons moments, et celui-là en fit partie, car nous rîmes entre personnes liées par une certaine affection et réunies par la nécessité du combat judiciaire pour une cause qui les tenaient à coeur. Non, pas mon caca, la liberté d’expression, faites un effort sinon on ne s’en sortira jamais.

Ces moments, que je ne savais pas si précieux à l’époque, sont des souvenirs que je n’oublierai jamais.

Le 21 mai 2015, la juge d’instruction de Nanterre corrigea son ordonnance, en supprimant la mention de mon renvoi pour le chef de diffamation pour les propos tenus sur Slate.fr, à savoir

Cependant pour Maître Eolas, blogueur anonyme et avocat au barreau de Paris, cette progression vertigineuse serait factice: D’ailleurs, selon lui, l’ensemble de la démarche de l’IPJ relève de la «manipulation»: sur son blog, il consacre un billet-fleuve à la démonstration des erreurs, lacunes et faux-semblants de cette vidéo qui ne lui inspire «que du mépris».

Et le premier des huit chefs de plainte de l’IPJ roula dans la sciure, inaugurant ce qui allait être un long et humiliant chemin de croix judiciaire pour l’institut qui n’a d’institut que le nom. De renvois en fixations, une nouvelle date de jugement fut arrêtée : plus d’un an après la première audience, le 7 juillet 2015. Cette fois, le combat eut lieu. Il fut sans pitié, et sera l’objet du prochain billet, que vous attendrez moins, nettement moins, je m’y engage.

lundi 26 août 2019

Eolas contre Institut pour la Justice : Episode 2. L’attaque des clowns

Adoncques, en cette fin 2011, mon billet n’était point passé inaperçu, et, eu égard à l’ampleur relative que prenait cette pétition et la nouveauté du phénomène des Fake News sur Facebook, plusieurs médias se sont intéressés à l’affaire. L’association « Institut pour la Justice » (IPJ brevitatis causa car un billet sans latin est une Guinness sans mousse) a donc passé beaucoup de temps à lire mes écrits, ce qui est sans doute ce qu’il a fait de mieux dans son existence, et a retenu plusieurs cibles pour son offensive. Dans la presse généraliste tout d’abord.

Slate.fr le premier a publié le 22 novembre 2011 un article signé Julie Brafman intitulé « Ce qui se cache derrière l’institut pour la justice ». Dans cet article, le passage suivant a déclenché l’ire de cette association, ou plutôt comme on verra de son seul membre actif :

Cependant pour Maître Eolas, blogueur anonyme et avocat au barreau de Paris, cette progression vertigineuse serait factice: D’ailleurs, selon lui, l’ensemble de la démarche de l’IPJ relève de la «manipulation»: sur son blog, il consacre un billet-fleuve à la démonstration des erreurs, lacunes et faux-semblants de cette vidéo qui ne lui inspire «que du mépris».

Ce passage était accompagné d’un insert, en l’occurence un tweet de votre serviteur, où je reprenais une courbe de la progression du compteur de signature, courbe qui n’a de courbe que le nom, progression relevée automatiquement par un script fait par un de mes followers, et qui montrait sur un intervalle de 24mn une progression étrangement régulière. J’accompagnais cette publication du commentaire suivant : « compteur bidon des signatures de l’IPJ, voici la preuve. »

Le 30 novembre 2011, je fus invité chez feu Metro France pour un tchat en direct où je répondis à plusieurs questions. Las, ce tchat n’est plus en ligne, mais un des lecteurs me posa une question sur ledit compteur. À laquelle je répondis

 Je ne crois pas une seconde à la sincérité de ce chiffre. Ce compteur est hébergé par l’Institut, de manière opaque, ce qui fait qu’il se donne à lui-même un certificat de victoire. Sa vitesse de progression, rapide et constante (et qui n’a connu aucun « effet Agnès » lors de ce fait divers terrible) me rend très sceptique. »

Je parlais du meurtre d’Agnès Marin, interne au collège Cévenol du Chambon-Sur-Lignon, survenu le 16 novembre 2011. L’IPJ y vit une diffamation sur leur compteur de signature, sujet qui décidément les rendait fort susceptibles. Petit aparté, lors de ce tchat, j’ai même pris la défense de l’Institut pour la Justice face à un lecteur me demandant si c’était une association d’extrême droite, lui répondant que je ne croyais pas que c’était un sous-marin de ce courant de pensée. La suite me donnera tort. Ça m’apprendra.

Enfin, l’IPJ se tourna vers mon compte Twitter et retint plusieurs tweets de ma plume consacré à cette affaire, en l’occurrence un où j’écrivais : « ça se confirme, l’IPJ a un compteur de signatures bidon. Manipulation, manipulation », le tweet cité dans l’article de Slate ci-dessus (j’étais donc poursuivi plusieurs fois pour le même tweet), et enfin, celui qui allait me faire entrer dans les anales, le désormais célébrissime (et à qui la faute ?) cacagate : « l’Institut pour la Justice en est réduit à utiliser des bots pour spammer sur Twitter pour promouvoir son dernier étron » ; « je me torcherais bien avec l’institut pour la justice si je n’avais pas peur de salir mon caca. Une bouse à ignorer. Je le mettrais bien dans mes chiottes si je n’avais pas peur de les salir. »

Et dans ce dernier cas, j’ai un problème. Je suis bien en peine de mettre un lien vers ledit tweet -, non que je l’aie supprimé, je n’ai supprimé aucun des tweets de cette période. C’est que je ne l’ai jamais écrit. D’ailleurs, c’eût été impossible : mes toilettes sont beaucoup trop petites pour y faire entrer un institut. Mais surtout, à l’époque, les tweets étaient limités à 140 caractères, et le tweet en question en fait 155.

En fait, l’IPJ a fait un montage de trois de mes tweets, dont deux ne parlaient nullement de lui, mais du PACTE pour la justice, nom du pensum qu’ils tentaient de refourguer aux candidats à la présidentielle (et le président sortant, encore plus sortant qu’il ne le pensait d’ailleurs, Nicolas Sarkozy, s’est rendu en personne à un de leurs raouts ; je l’ai connu plus inspiré dans le choix de ses convives). C’est ce pacte, que l’IPJ vous appelait à soutenir (et à faire un don au passage), que j’appelais à ignorer dans un vibrant hommage aux bovidés qui fertilisent le terroir normand et que j’eusse mis dans mes chalets de nécessité si je n’avais craint de souiller leur parfaite asepsie (vous remarquerez que j’ai fait un réel progrès dans mon vocabulaire depuis, mes avocats y ont veillé). Et pour ceux d’entre vous qui douteraient (soyez bénis, c’est ce que je cultive et encourage ici) : voici le premier, qui répondait, le tweet ne semblant plus disponible mais j’en ai gardé copie, à « Qu’est-ce que c’est que ce pacte 2012? Une bonne chose ? Une historie vraie ? Merci. #Justice #2012 » voici le second, qui répondait à «  Bonjour maitre. Que pensez-vous de ceci ? » (suivait un lien vers le site du pacte 2012 où se trouvait la vidéo). Comme disait un philosophe de l’époque : manipulation, manipulation. Je tenais à le souligner ici car l’avocat de l’IPJ, incapable d’utiliser un simple moteur de recherche, pas même celui que propose Twitter, n’a jamais été fichu de les retrouver (ce qui m’a pris cinq secondes), et a insinué que je les avais supprimés. Ils ne l’ont jamais été et sont toujours en ligne à ce jour.

S’agissant du désormais fameux tweet, oui, oui, je l’ai écrit. Là encore, c’était en réponse à une questions sur le pacte pour la justice. Je me souviens fort bien des circonstances dans lesquelles je l’ai écrit. C’était au milieu de la nuit, à 1h43 du matin. Je sortais de garde à vue, après une longue audition sur des vols en bande organisée, et avant d’enfourcher ma fière monture, j’ai checké Twitter. Je suis tombé sur un énième tweet me demandant mon avis sur le Pacte pour la Justice. Fatigué, agacé de devoir répéter sans cesse tout le mal que je pensais de cette opération de comm’ reposant sur de la manipulation et du mensonge, j’ai répondu par cette fulgurance qui m’est venue comme la Marseillaise est venue à Rouget de Lisle. J’ai cherché dans la littérature le souffle de Calliope, et c’est Rabelais qui m’a répondu. Las, au milieu de la nuit, au lieu d’écrire « Pacte » pour la Justice , j’ai écrit « Institut ». Fatalitas. Si on ne peut injurier un pacte (mais on peut se torcher avec), on peut insulter un institut (et on ne peut pas se torcher avec, ce serait trop douloureux). Ce qui est ironique, c’est que s’agissant d’un tweet en réponse, posté à point d’heure, au jour de la plainte, ce tweet avait fait l’objet de 8 vues et d’un seul retweet (au jour où j’écris ces lignes, il en a 11…), ce qui est ridiculement faible. Ce tweet, certes, pas le plus brillant de ma carrière, je dispense la Pléiade, le jour où elle publiera mes œuvres, de l’y faire figurer, ce tweet donc aurait dû passer inaperçu et rester dans les limbes de l’oblivion qui était son destin si l’IPJ ne lui avait pas donné une telle publicité, et une telle postérité. Le droit de la presse a été écrit par Damoclès.

Récapitulons. Au total, l’IPJ a déposé pas moins de huit plaintes.

  • Contre Jean-Marie Colombani, directeur de la publication de Slate, pour diffamation, pour mes propos sur le compteur bidon retranscrits dans l’article du 22 novembre 2011.
  • Contre Julie Brafman, pour complicité de diffamation, comme auteur de l’article.
  • Contre votre serviteur, pour complicité de diffamation, comme, heu, disons, auteur de la citation.
  • Contre Edouard Boccon-Gibod, directeur de la publication de Metro France, pour diffamation, pour avoir publié mes propos lors du tchat du 30 novembre (il a d’ailleurs refusé de révéler mon identité au nom du secret des sources, respect bro).
  • Contre votre serviteur, pour avoir tenus ces propos.
  • Contre votre serviteur pour diffamation pour le tweet sur le compteur bidon, manipulation, manipulation ;
  • Contre votre serviteur, pour diffamation pour le tweet sur le compteur bidon, la preuve avec la courbe pas courbe,
  • Contre votre serviteur encore et enfin, pour injure, pour le tweet semi-imaginaire où je faisais de cette association un usage hygiénique non prévu par leur objet social.

Et comme vous allez le voir, l’IPJ va perdre peu à peu, à chaque stade de la procédure, et à chaque fois de manière particulièrement humiliante. Mais la justice n’est point comme le football : même si vous menez 7 à 1, vous avez perdu, car il suffit que votre adversaire marque un but pour se pavaner comme vainqueur. Il vous faut le 8 à 0, ou vous avez perdu. Et j’obtiendrai le 8 à 0, et c’est là une autre différence avec le football, uniquement grâce à mes défenseurs. Même s’il faudra pour cela aller aux prolongations. Mais n’anticipons pas.

La juge d’instruction saisie de ce dossier a confié une commission rogatoire à la Brigade de Répression de la Délinquance à la Personne (BRDP), habituellement saisie pour des dossiers de ce type. Sans rien retirer au mérite de cette prestigieuse brigade, me retrouver ne fut guère difficile. Ils se rendirent sur la page de mes mentions légales, écrivirent à mon hébergeur de l’époque, qui leur communiqua mes coordonnées comme la loi les y obligeait. La BRDP m’adressa une convocation pour une audition libre le 19 avril 2012, à laquelle je me rendis.

Et là je vous vois venir. Gardai-je le silence, comme je le conseille à cors et à cri ? Non. J’étais jeune. J’admis volontiers, sûr que mon innocence me protégerait, être l’avocat signant Maitre Eolas, et être l’auteur des propos tenus sur Metro France, et être le seul auteur de l’ensemble de mes tweets (à ce stade, le bricolage de trois de mes tweets m’avait échappé, n’ayant pas accès au dossier, accès qui, seule nouveauté, m’était refusé en qualité de témoin et non en qualité d’avocat) . Bref, je ne gardai point le silence, et vous noterez que par la suite je fus condamné à tort à deux reprises. Cela m’apprendra, que cela vous serve de leçon.

Cela dit, ce fut une audition tout à fait agréable, le policier en charge de l’enquête profitant de l’occasion pour me dire tout le bien qu’il pensait de mon blog nonobstant quelque désaccords de-ci de-là qui font tout le piquant des relations entre la maison noire et la maison bleue. J’en profite pour le saluer à l’occasion de ce billet qui inaugure un renouveau de mon blog à présent qu’il a trouvé des cieux plus cléments bien que bretons. Ce fut au demeurant une constante tout au long de cette procédure : je fus condamné avec la plus grande sympathie. J’avoue que je me serais satisfait d’une relaxe méprisante, mais c’est là une autre constante de la justice : on n’obtient pas toujours ce qu’on veut.

La seule information que j’avais à ce stade était que la plainte était déposée à Nanterre. S’agissant de textes publiés sur internet, l’IPJ pouvait choisir n’importe quel tribunal de France. Le choix de Nanterre n’est toutefois pas innocent (mais l’IPJ n’aime pas ce mot). Paris et Nanterre sont les deux gros tribunaux en droit de la presse, du fait que le siège de beaucoup de médias est dans les Hauts de Seine, et Nanterre s’est fait une réputation d’accorder des dommages-intérêts bien plus élevés qu’à Paris. Comme vous allez le voir, l’action de l’IPJ n’avait rien de symbolique, et les montants demandés sembleront calculés par le compteur de signature de la pétition.

La guerre étant ainsi déclarée, il était temps de faire ce que toute personne sensée doit faire dans ces circonstances : se taire (trop tard pour moi, mais j’ai décidé de garder un silence médiatique jusqu’à la fin de l’affaire), et prendre un avocat.

Même si je le suis moi-même. Surtout parce que je le suis moi-même. Outre sa connaissance du droit, un avocat vous apporte ce que vous avez perdu : une vision rationnelle et avec recul du dossier. Dès lors que vous êtes mis en cause, même dans une affaire de diffamation où la prison n’est pas encourue, vous n’êtes plus objectif. Et rien n’est plus dangereux que de croire que vous, vous êtes différent, et que vous pouvez gérer ça. C’est un conseil qu’un de nos respectables anciens nous avaient donné à l’école du barreau : le jour où VOUS êtes assigné, prenez un avocat, ne vous défendez pas vous-même. Je ne le remercierai jamais assez de ce conseil.

Je me suis donc tourné vers le meilleur d’entre nous, ex-æquo verrons-nous plus tard, Maître Mô. Je sais qu’il est trop occupé avec son blog pour encore venir ici donc je profite de son absence pour dire tout le bien que je pense de lui sans froisser sa modestie qui n’a que ses oreilles comme point de comparaison pour son étendue. Maître Mô est un confrère extraordinaire, un avocat compétent et pointu comme j’en ai rarement vu, doté d’un organe qui fait des envieux de Brest à Strasbourg et de Saint-Pierre-et-Miquelon à Nouméa, je parle bien sûr de sa paire de cordes vocales. Et d’organe, il en est un autre qui ne lui fait pas défaut, c’est le cœur, car je n’ai même pas eu besoin de le solliciter qu’il m’avait déjà proposé d’aller botter les fesses de cette association, et que ce serait jusqu’à la victoire ou la mort (fort heureusement, c’est la première qui nous attendait). Il a acquis ma reconnaissance éternelle, quant à mon admiration, il l’avait déjà, elle est juste devenue hors de proportion, comme ses oreilles.

La police ouït également les autres personnes visées par la plainte, et le 27 septembre 2012, je me retrouvai dans le cabinet du juge d’instruction de Nanterre, encadré par mes deux premiers défenseurs, Maître Mô et, comment pourrais-je l’oublier, car je suis sûr que vous, non, Maître Fantômette, une des commensales de ces lieux. J’en profite pour insérer une de ces incises qui font de mon blog ce qu’il est (à savoir mon blog) : non, elle n’écrit plus ici, non, elle n’est pour le moment plus avocate, oui, elle va bien, oui, elle est heureuse. Le reste ne regarde qu’elle.

Une mise en examen pour une affaire d’injure et diffamation n’est qu’une formalité. Le droit de la presse est une matière très particulière, avec énormément de règles dérogatoires et spéciales, vous allez voir. L’une de ces règles est que le juge d’instruction est dépouillé de l’essentiel de ses pouvoirs comme je l’étais de ma robe : son seul rôle est de déterminer qui est l’auteur du texte litigieux. Il lui est rigoureusement interdit de se pencher sur la question de savoir si les délits en cause sont constitués, tout cela relevant exclusivement du débat devant le tribunal. Dès lors qu’il était établi que j’étais bien maître Eolas (ce que je vous confirme encore ce jour), la suite était en principe écrite.

Sauf que.

Vous vous souvenez de ce que je vous ai dit, que l’IPJ s’est pris une claque à chaque stade de la procédure, sans curieusement particulièrement communiquer sur ce point ? La première lui est tombée dessus ce 27 septembre quand la juge d’instruction a refusé de me mettre en examen pour diffamation lié à l’article de slate.fr, en considérant que cet article, qui ne reprenait que des citations de moi publiées sur Twitter sans m’avoir sollicité à ce sujet, m’était totalement étranger, que je ne pouvais en être ni l’auteur ni le complice, et qu’une simple lecture suffisait à s’assurer de l’évidence de cet état de fait. Normalement, cela aurait dû être la fin des poursuites sur ce point. La suite me réservera quelques surprises. J’ajoute pour l’anecdote, et parce qu’en tant que mis en examen, il ne saurait y avoir de foi du palais, que c’est à ce jour la seule fois que j’ai entendu un juge d’instruction dire : « Je vous mets en examen, mais surtout que ça ne vous empêche pas de continuer. »

Le reste des mises en examen avait déjà suivi son petit bonhomme de chemin, et les autres personnes visées avaient déjà été convoquées et mises en examen selon les termes de la plainte, car, je ne le répéterai jamais assez, c’est une obligation légale pesant sur le juge d’instruction. N’oubliez jamais cela quand tel personnage public se vante d’avoir fait mettre en examen Untel pour l’avoir diffamé.

Mais en accord avec mes conseils, nous avons mis en œuvre une stratégie de défense à outrance. Nous avons décidé de soulever tous les moyens possibles : un avocat ne peut avoir de défense à la petite semaine, la réputation de la profession est en cause. Ma mise en examen impliquait que nous avions enfin accès au dossier, et notamment à la plainte qui est à l’origine de tout. Plusieurs problèmes procéduraux nous sont vite apparus, à commencer par le fait que l’IPJ agissait représentée par Xavier Bébin, qui était à l’époque délégué général de l’IPJ, fonction qui avait une particularité amusante qui était de ne pas exister. En effet, les statuts de l’association, que nous nous étions procurés, ne prévoyaient pas de fonction statutaire de délégué général. Ce qui est curieux de prime abord car Xavier Bébin était de loin le membre le plus actif de cette association (de fait, je n’en ai jamais vu un autre, mais je n’ai pas installé de compteur non plus). Gardez ça en tête jusqu’au dernier épisode. D’ailleurs même le conseil de l’association s’y était trompé et l’avait par erreur qualifié de secrétaire général dans la plainte.

Seul son président, qui à l’époque était une présidente, pouvait représenter l’association. Elle pouvait déléguer ses pouvoirs, à condition que cette délégation soit antérieure à la plainte, et pour s’en assurer, il fallait que cette délégation fût produite. Or, oups, elle ne l’était pas et s’il devait s’avérer qu’au jour de la plainte, ce délégué général n’avait pas une telle délégation, la plainte était nulle. Donc notre première contre-attaque consista en une requête en nullité de la plainte pour défaut de qualité à agir, et d’autre part pour défaut d’articulation de la plainte, dont la rédaction était franchement bancale, et de défaut d’articulation du réquisitoire du procureur de la République, qui, lui ne l’était pas du tout. Pas bancal, articulé. Le réquisitoire, pas le procureur. Suivez, un peu.

Le droit de la presse est un droit terriblement formaliste, et les formes y sont rigoureusement sanctionnées, bien plus qu’ailleurs en procédure pénale. C’est une matière redoutable. Et une des exigences de ce droit est que la plainte articule les faits et les qualifie, c’est à dire précise quel extrait de texte est attaqué et de quel délit il s’agit. Spécificité du droit de la presse : cette articulation fige irrévocablement le procès jusqu’à son terme, aucune requalification n’est possible, alors qu’en droit commun, la cour de cassation répète régulièrement qu’il est du devoir du juge de rendre aux faits leur exacte qualification. Ici, nenni. Il faut que d’emblée, on sache, et surtout que la défense sache de quoi il s’agit. Et le parquet de Nanterre avait rendu le réquisitoire introductif suivant, que je vous cite in extenso :

Le procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre,

Vu la plainte avec constitution de partie civile de l’Institut pour la justice représenté par Monsieur Xavier BEBIN, en date du 31 janvier 2012, et déposée le 2 février 2012 du chef de :

- diffamation publique et injure publique envers un particulier

Faits prévus et punis par les articles 29 al 1 et 2, 32 ail, 33 al 2 et 42 et suivants de la Loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.

Vu les articles 80, 85 et 86 du code de procédure pénale,

Requiert qu’il plaise à Madame ou Monsieur le juge d’instruction désigné bien vouloir

informer contre toute personne que l’instruction fera connaître.

Cachet, signature.

C’est à peu près aussi articulé que le tronc d’un chêne.

Je vois déjà les magistrats parmi les quelques lecteurs qu’il me reste vu l’abandon criminel dans lequel j’ai trop longtemps laissé ce blog bondir sur leurs claviers. Qu’ils m’excusent de les interrompre : je sais qu’en matière de presse, les réquisitoires introductifs, ces actes, qui, pour laconiques qu’ils soient n’en sont pas moins la pierre angulaire de l’instruction, sont rarement plus développés, mais je m’insurge, et mes défenseurs avec moi, à moins que ce ne soit le contraire : autant je puis admettre que sur une plainte pour seule diffamation ou seule injure, on puisse se contenter de cela, l’élément essentiel étant la plainte, et aucune ambiguité n’étant possible vu l’unicité du fait soulevé dans la plainte, autant, quand deux infractions sont visées, il me paraît nécessaire d’articuler un minimum pour que l’on puisse savoir qui est quoi.

Et si vous n’êtes point d’accord, réjouissez-vous, la chambre de l’instruction de Versailles, le 29 mars 2013, vous a donné raison.

Sur la délégation de pouvoir, le parquet général, dans ses réquisitions, nous donnait raison, mais la veille des débats, l’IPJ a produit le scan d’un papier gribouillé à la main par lequel Axelle Theillier, la présidente de l’IPJ, donnait au délégué général tout pouvoir pour agir en justice. Cela a satisfait la cour, que j’ai connue plus sourcilleuse. Sur l’articulation de la plainte, la cour a estimé souverainement que la plainte articulait et qualifiait les propos qu’elle critiquait. On se demande donc pourquoi la juge d’instruction s’est crue tenue de devoir la réécrire plutôt que la recopier. Sur le réquisitoire, la cour estimait que peu importait que le réquisitoire n’articulât rien puisque seule la plainte comptait vraiment, invoquant un arrêt du 23 janvier 1996. Nous toussâmes fort puisque dans l’arrêt invoqué, le parquet avait trop articulé, ajoutant des faits nouveaux à la plainte initiale: la cour disait que cet ajout était nul en vertu du principe rappelé ci-dessus, que la plainte fixait irrévocablement le cadre du débat, mais ajoutait que cette nullité n’entachait pas les faits visés dans la plainte initiale qui, elle, restait valable et fondait les poursuites sur les faits qu’elle articulait. Ici nous étions dans l’hypothèse inverse où le parquet, loin d’ajouter quoi que ce soit, n’apportait rien faute d’articuler quoi que ce soit.

Quand on n’est pas d’accord avec une décision, la seule façon de la contester est d’exercer un recours : ce fut l’occasion de former notre premier pourvoi, et là, vous allez adorer le droit de la presse.

Le délai de pourvoi de droit commun est de cinq jours francs. C’est bref. Mais point assez, s’est dit le législateur dans sa grande sagesse. En matière de presse, il n’est que de trois jours, parce que… parce que ça nous fait plaisir, ne nous remerciez pas. Nous nous pourvûmes (et ce verbe a rarement l’occasion d’être conjugué au passé simple, profitez-en) dans les délais sachant que notre pourvoi serait nul, car l’article 59 de la loi du 29 juillet 1881 prévoit que le pourvoi contre les arrêts des cours d’appel qui auront statué sur les incidents et exceptions autres que les exceptions d’incompétence ne sera formé, à peine de nullité, qu’après le jugement ou l’arrêt définitif et en même temps que l’appel ou le pourvoi contre ledit jugement ou arrêt. Rassurez-vous, je vous traduis.

En procédure, un incident est un événement qui perturbe le cours de la procédure sans y mettre fin. C’est un concept issu de la procédure civile, où il est amplement défini et développé, et utilisé par analogie en procédure pénale sans faire l’objet de la même méticulosité dans les textes. Une demande d’expertise psychiatrique est ainsi un incident, qui s’il est admis, impose au tribunal de reporter sa décision pour permettre l’expertise. Une exception est un moyen de défense (dont on excipe, donc) pour paralyser l’action, que ce soit provisoirement ou définitivement. Par exemple, la question préjudicielle, qui impose à une juridiction pénale de surseoir à statuer jusqu’à ce que cette question soit tranchée par le tribunal compétent, quand la question porte sur la propriété d’un bien immobilier ou sur la nationalité du prévenu. La prescription est une exception définitive qui si elle est accueillie, c’est à dire jugée comme bien fondée, met fin définitivement à l’action sans qu’elle soit jugée au fond. J’en profite pour ajouter qu’une demande visant à faire constater la nullité de procès verbaux de la procédure est une exception, pas un incident, l’article 385 du code de procédure pénale le dit expressément, donc les procureurs qui demandent au tribunal de « joindre l’incident au fond » se plantent, entrainant le tribunal dans leur erreur : c’est l’exception qui doit être jointe au fond, et non l’incident. Pardon, il fallait que ça sorte.

Ici, nous avions soulevé la nullité de la plainte, qui était une exception visant à mettre fin à l’instance. Donc notre pourvoi était nul par application de l’article 59. Ce qui fut d’ailleurs constaté par une ordonnance du président de la chambre criminelle de la cour de cassation le 17 juin 2013, oui, j’ai un autographe de Bertrand Louvel, je l’ai fait encadrer.

Pourquoi avoir fait un pourvoi si nous savions qu’il était nul ? Parce que si nous nous étions abstenus, le jour où une éventuelle décision tranchant le fond en appel d’une façon défavorable pour nous était rendue, l’arrêt du 29 mars 2013 aurait été définitif, le délai de trois jours francs ayant couru. Il fallait pour pouvoir attaquer valablement cet arrêt rejetant notre demande sans mettre fin à l’instance, se pourvoir, se prendre une ordonnance constatant la nullité du pourvoi, attendre que l’affaire soit jugée au fond, et le cas échéant reformer un nouveau pourvoi contre cette décision dans les trois jours la suivant, second pourvoi qui ressuscitera le premier qui du coup ne sera plus nul, car c’est l’ordonnance ayant constaté sa nullité qui sera devenue nulle. Je vous l’avais dit, le droit de la presse, c’est de la magie, c’est mieux que Harry Potter, puisque dans ces livres, personne ne ressuscite jamais. Dans ta face, Dumbledore. Le droit de la presse, c’est Gandalf.

Le 2 septembre 2013, l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel était rendue, et j’étais pour ma part renvoyé pour diffamation aux côté d’Edouard Boccon-Gibod pour mes propos sur Métro France, et, vous allez rire, à ma grande surprise, sur les propos rapportés par l’article de Julie Brafman, alors que je n’avais pas été mis en examen pour ces faits-là, et renvoyé seul comme un grand pour les divers tweets, réels ou réécrits, dont le fameux #Cacagate. Cette ordonnance était illégale car elle me renvoyait devant le tribunal pour des propos pour lesquels je n’ai pas été mis en examen. Mais on ne peut faire appel d’une ordonnance de renvoi (le parquet le pouvait et ici s’en est abstenu). À ceux qui se demandaient si la justice n’allait pas m’accorder un traitement de faveur, surtout face à une association dont la seule activité semble, à part me faire des procès, critiquer les juges et leur imputer toutes les défaillances de la société, la réponse est non, clairement non ; pour des raisons que je ne m’explique pas encore à ce jour la justice va même avoir les yeux de Chimène pour cette association. Le masochisme des magistrats reste un profond mystère pour moi, et à mon avis la source de nombre de leurs prédicaments chroniques. Bref, cette ordonnance, pour illégale qu’elle fût, ne pouvait être critiquée que devant le tribunal.

Avec cette ordonnance, la phase de l’instruction prenait fin et l’affaire allait être jugée au fond, avec pas moins de quatre prévenus. Un chef de prévention était déjà tombé mais venait de se relever de nulle part tel un pourvoi sur une exception, et la phase judiciaire publique allait avoir lieu.

Mais ceci est une autre histoire. Et un autre billet.

Annexe : Chronologie résumée
  • 2 février 2012 : Dépôt de la plainte de l’IPJ. Consignation de 600 euros effectuée le 17 février.
  • 14 mars 2012 : Réquisitoire introductif
  • 15 mars 2012 : Désignation du juge d’instruction.
  • 16 mars 2012 : Commission rogatoire du juge d’instruction
  • 19 avril 2012 : Audition de votre serviteur.
  • 29 mai 2012 : audition de Julie Brafman.
  • 6 juin 2012 : retour de la commission rogatoire.
  • 11 septembre 2012 : Mise en examen de Julie Brafman, de Jean-Marie Clombani et d’Edouard Boccon-Gibod.
  • 27 septembre 2012 : mise en examen de votre serviteur.
  • 26 décembre 2012 : Requête en nullité.
  • 1er mars 2013 : Audience devant la chambre de l’instruction.
  • 29 mars 2013 : Arrêt de la chambre de l’instruction rejetant la requête en nullité.
  • 17 juin 2013 : Ordonnance du président de la chambre criminelle déclarant le pourvoi frappé de nullité.
  • 2 septembre 2013 : Ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.

lundi 14 janvier 2019

Eolas contre Institut pour la Justice : Episode 1. Le Compteur Fantôme.

L’affaire judiciaire m’ayant opposé à l’association ” Institut pour la Justice “, les guillemets sont importants car cette association n’est ni un institut ni pour la justice, cette affaire donc a donc connu un dénouement heureux après sept ans de procédure. Je suis au fil de ces sept années resté aussi coi qu’un de mes clients en garde à vue, laissant mes adversaires s’exprimer sur le sujet. À présent, pour citer le grand philosophe Jules Winnfield : « Allow me to retort. »

Ce récit des faits se veut, comme à l’accoutumée ici, factuel. Je citerai les décisions de justice qui ont été rendues, sinon in extenso du moins l’intégralité des passages pertinents. J’y ajouterai mon commentaire, car je suis ici chez moi, vous en ferez ce que vous voudrez (si vous manquez d’idées, vous trouverez au fil de ces billets quelques suggestions sur quoi en faire), l’essentiel étant qu’à la fin, vous saurez tout.


Cette saga aura lieu en cinq chapitres, qui couvriront l’affaire en ordre chronologique. Le premier, que vous tenez sur vos écrans en ce moment, rappellera le corpus delicti : pourquoi ai-je attiré l’ire de l’IPJ ? Ce rappel des faits est utile, vous verrez, car l’évolution de notre société en sept ans leur donne un aspect parfois prophétique. Le deuxième parlera de la phase à l’époque secrète : la plainte, l’enquête, l’instruction, et le premier faux départ avec une première audience avortée. Le troisième portera sur le jugement de Nanterre de 2015. Le quatrième, sur l’arrêt d’appel en 2017, et enfin le cinquième vous ramènera en douceur aujourd’hui avec les pourvois en cassation (car il y en a eu trois, vous verrez), et les conclusions qu’à titre personnel je tire de cette affaire. Ah ! vous vous plaigniez que mon blog végétait ? Vous allez avoir de la lecture, à satiété.

J’espère d’ailleurs que ce sera l’occasion de relancer l’activité régulière de ce blog, les réseaux sociaux commençant à me fatiguer. Je sais, je le dis depuis longtemps, mais la motivation et l’inspiration sont là, mes enfants ont grandi et leur Switch me laisse à présent du temps libre, en somme, les étoiles sont alignées favorablement hormis un petit problème d’hébergement que je vais résoudre promptement. Et si je devais faillir, n’hésitez pas à venir me chercher par la peau des fesses sur Twitter.

A propos de fesses, il est temps de commencer ce récit. Installez-vous confortablement, faites-vous une bonne tasse de thé (un Darjeeling First Flush sera parfait), et remontons le temps de conserve. En selles !

The year is 2011

Les plus perspicaces d’entre vous se souviendront que 2011 était l’année précédant 2012. Année d’élection présidentielle, le président en place, Nicolas Sarkozy, étant candidat à sa succession, et alors qu’il avait été élu sur une plate-forme politique modérée voire centriste (discours ouvert sur l’immigration, rappelant qu’il était Français de sang-mêlé, apaisé sur la laïcité, il avait même recruté quelques personnalités de gauche dans son premier gouvernement, sans compter un goût certain dans le choix de ses convives à déjeuner), il avait opéré un virage sécuritaire pour compenser des résultats économiques décevants. C’est d’ailleurs assez fascinant de voir comment à chaque fois que la droite prend un tel virage elle se prend une déculottée électorale et comment, malgré tout, elle commet régulièrement cette erreur avec la régularité d’un coucou suisse. Je pose ça là.

Bref, Nicolas Sarkozy était vulnérable, et cette position l’a poussé à une fuite en avant, sur les conseils peu avisés, pardon du pléonasme, de Patrick Buisson. C’est dans ce cadre que l’IPJ, association que je connaissais déjà bien avant, et qui sous un fard pesudo-scientifique promeut des thèses sécuritaires réactionnaires que rien, jamais, n’a étayé, a lancé une offensive médiatique à l’adresse des candidats, en les invitant à adhérer à leur “pacte 2012 pour la justice”, en faisant miroiter que le ou les candidats qui s’engageraient à l’intégrer dans leur programme auraient leur soutien.

Quand on est une association sans aucune reconnaissance scientifique dans le milieu universitaire, comment attirer l’attention ? Là, il faut reconnaître à l’IPJ d’avoir été en avance sur son temps : en diffusant sur Facebook un message appelant à l’émotion et à l’indignation, ne fournissant aucun fait mais se contentant d’une interprétation créative de la réalité, et se concluant par un appel à signer la pétition en faveur de leur pacte, à faire circuler ce message, et à faire un don (mais curieusement pas à en vérifier la véracité, mais bon on l’a dit : ce ne sont pas des universitaires).
Et comme de nombreuses personnes de bonne foi ont été touchées par ce message, qui reconnaissons-le était émouvant, mais malgré tout ressentaient à la fin comme un malaise face à cette absence d’explications concrètes, ces personnes se sont tournées vers votre serviteur, sachant que chez moi, on trouvait des réponses claires et étayées sur des faits, fût-ce au prix d’interminables billets et de phrases trop longues.

Le Pacte et la torche

C’est ainsi que fin octobre 2011, j’ai reçu de nombreuses demandes me demandant ce que je pensais de cette pétition. Dans un premier temps, dès que j’ai vu qui en était à l’origine, je me contentais d’une réponse lapidaire (ça me jouera des tours, comme vous allez le voir ; après ça on me reprochera de faire des phrases trop longues…) sur le peu de crédit à y accorder. Mais au fil des jours, les demandes devenaient de plus en plus nombreuses, et émanaient de gens vraiment désemparés qui voyaient leurs proches et amis relayer ce message sur un ton révolté, et se sentaient fort dépourvus pour pouvoir leur répondre en quoi cet appel était factuellement erroné. Ça vous rappelle quelque chose, n’est-ce pas ? Je vous l’avais dit : ce dossier, pour ancien qu’il soit, est furieusement moderne.
Et donc, à mon corps défendant, je suis allé voir de quoi il retournait exactement.
La pétition en faveur du Pacte 2012 pour la Justice reposait sur un témoignage, celui de Joël Censier. Il reposait sur une affaire dont je n’avais pas entendu parler, mais, ai-je découvert par la suite, était un fait divers d’une grande importance dans le sud-ouest, autour du Gers, où les faits avaient eu lieu. Joël Censier, policier à la retraite, était le père de Jérémy Censier, 19 ans, tué d’un coup de couteau lors d’une rixe nocturne où il était intervenu pour séparer les belligérants. Le père était inconsolable, et je le comprends, et avait découvert que parmi les belligérants, il y avait des gens du Voyage qu’il avait eu l’occasion d’interpeller par le passé. Pour lui, sa conviction était faite : ce n’était pas un accident mais une vengeance. Voilà pourquoi cette affaire avait intéressé la presse locale.

En août 2011, S. est mis en accusation devant les assises pour meurtre, les autres intervenants étant renvoyés pour des violences volontaires, la thèse de la vengeance ayant fait long feu au fil de l’instruction. Et en septembre 2011 un incident procédural se produisit : les aveux du du principal suspect, S., mineur au moment des faits, ont été annulés du fait de l’absence d’avocats en garde à vue, et l’intéressé, détenu depuis deux ans, a été remis en liberté par la Cour de cassation à la suite d’une nullité de procédure. Pour être exhaustif : l’avocat de S. avait demandé au président de la chambre de l’instruction de faire examiner l’affaire par la chambre de l’instruction conformément à l’article 221-3 du code de procédure pénale : le président de la chambre de l’instruction avait décidé de faire droit à cette demande, mais l’affaire n’avait pas été audiencée dans le délai légal de trois mois devant la chambre de l’instruction, entrainant une remise en liberté de droit. Il est à noter que l’arrêt est intervenu plus de deux ans après l’incarcération, et que de ce fait, le mineur a fait plus de deux ans de détention provisoire ce que théoriquement la loi interdit. Il aurait dû être libéré quoi qu’il arrive, mais du fait de cette nullité de procédure viciant sa détention, il a fait plus de détention qu’il n’aurait dû. Les mystères du droit.


Mais tout cela n’avait que peu d’importance pour Joël Censier, qui ne voyait qu’une chose, celui qui avait tué son fils était libre et ses aveux étant annulés, il pouvait craindre qu’il s’en tirât. Notons que par la suite, S. s’est présenté librement aux assises pour y être jugé, et a été condamné en février 2013 a 15 ans de réclusion criminelle (la cour a écarté l’excuse de minorité), deux autres des belligérants ont été condamnés pour violences (l’un a quatre ans, l’autre à trois ans dont un avec sursis), les trois autres mis en cause étant acquittés conformément aux réquisitions du parquet. Comme quoi la justice ne semble pas si dysfonctionner que cela, mais l’IPJ a moins fait de publicité sur cet aspect du dossier.

Toujours est-il que l’IPJ en a fait son porte-étendard, et avec quel succès. Car qui, franchement, oserait objecter quoi que ce soit à la douleur d’un père ayant perdu son enfant ? Eh bien devinez qui…
J’ai donc rédigé un long billet, intitulé Attention manip : le “pacte 2012” de “l’Institut pour la Justice”, où je démontais point par point le procédé sur la forme, et le message sur le fond (car même si toutes les mesures du Pacte avaient été en vigueur, cela n’aurait rien changé au déroulement de l’affaire Censier, figurez-vous). Je n’y reviendrai pas, il n’est que de lire le billet de 2011.
Comme d’habitude, un mensonge aura fait deux fois le tour du monde quand la vérité aura à peine mis son pantalon : je ne vais pas prétendre que mon billet a eu un succès similaire au Pacte. Mais il a quand même eu son petit effet, et l’IPJ a commencé à recevoir beaucoup de messages demandant à ce que la signature de leur auteur soit retirée de cette pétition, ayant le sentiment d’avoir été bernés. Ce nombre exact restera à jamais un mystère, l’IPJ laissant au fil de ses argumentaires entendre qu’il y en eût très peu pour dire que je n’étais rien ni personne, et en même temps qu’il y en eût beaucoup pour justifier leur demande de dommages-intérêts qui vous le verrez n’avait rien de symbolique. Bref, des signataires de Schrödinger.

Et cet aspect éthéré des signataires était au cœur du problème : ce qui démontrait le succès de ce pacte, et était sans cesse mis en avant par l’IPJ, était le nombre de signataires, qui a atteint le million en quelques jours. Si je ne doute pas, pour les raisons que je vous ai données plus haut, de la réalité de ce succès, sa quantification m’a posé un problème de méthodologie : ce compteur de signatures était, à l’instar de la pétition, hébergé sur un site dédié appartenant à l’IPJ, et non sur une plate-forme participative comme beaucoup sont apparues depuis. Bref, l’IPJ affichait sur son site un compteur comme garantie de leur succès, compteur dont seul eux avaient la maitrise. Le conflit d’intérêt était patent.
Je veux croire que mon billet eut malgré tout son petit effet car l’IPJ a vu rouge, ce qui est une couleur plutôt rare chez ses partisans. Problème : il ne pouvait rien reprocher à mon billet, qui était factuellement exact, et pour le reste, n’était qu’un jugement de valeur qui ne peut tomber sous le coup de la loi.
Le débat continuant dans les mois qui ont suivi, sur mon blog, sur divers médias et sur Twitter, l’IPJ s’est mis en embuscade et a soudain porté à mes écrits plus d’attention qu’il n’en a jamais porté au code de procédure pénale, ce qui (spoiler alert) lui jouera des tours par la suite.

Mais ceci est une autre histoire, qui fera l’objet du deuxième chapitre de notre saga.

vendredi 9 novembre 2012

Institut contre la justice

Par Gascogne


Lorsque je recherche la définition d’un “institut”, outre le côté beauté de la chose, je tombe le plus souvent sur la définition suivante : “établissement de recherches scientifiques et d’enseignement supérieur”. De manière assez étonnante, je n’arrive dès lors pas à comprendre comment l’Institut pour la justice peut relever d’une telle définition.

Non pas que je ne comprenne pas comment ses membres peuvent réfléchir à l’avenir de l’institution judiciaire française. Qu’ils le fassent comme n’importe quel autre citoyen est non seulement normal mais encore salutaire. Qu’ils le fassent par le biais de vidéos virales est pourtant déjà plus troublant. Est-il en effet besoin d’appeler tous les citoyens de France et de Navarre à témoins pour réfléchir sur les modifications à apporter au système judiciaire ? En dehors d’une élection démocratique, s’entend… Est-il besoin d’utiliser la douleur de la famille d’une victime pour mettre en avant sa propre conception de ce que doit-être le système judiciaire français ?

Il est bien évident que tout un chacun est en droit d’exiger un débat démocratique, même en dehors de périodes électorales, sur n’importe quel sujet, l’institution judiciaire n’échappant ni à la critique, ni à la discussion. Mais cela suppose que l’on accepte en retour la critique… de la critique. D’autant plus lorsqu’elle est systématique. Alors je dois reconnaître un certain étonnement lorsque j’ai appris que l’Institut pour la Justice avait diffusé sur son blog[1] un billet d’humeur suite au discours du président de l’Union Syndicale des Magistrats lors du congrès annuel de ce syndicat, en présence du Garde des Sceaux, et, fait exceptionnel, du Ministre de l’Intérieur, à Colmar.

Cette association, qui se veut proche des “victimes”, mais qui l’est surtout de partis politiques, a publié sur son site, avant même de l’avoir envoyé à son destinataire naturel, la lettre suivante :

Monsieur le Président,

Je me permets de vous écrire suite à votre discours lors du Congrès de l’USM, le 19 octobre dernier, à Colmar.

Je tenais à vous faire part de ma stupéfaction à la lecture de celui-ci. Vous n’avez, en effet, pas hésité à attaquer violemment l’Institut pour la Justice, en utilisant des mots particulièrement discourtois et mensongers à notre égard, évoquant « un discours populiste et extrémiste », « des amalgames pathétiques » ou des « voix qui tentent de faire croire qu’elles défendent les victimes ».

Je me permettrai de revenir sur le fond de vos attaques très rapidement, mais j’aimerais auparavant souligner une contradiction particulièrement manifeste dans votre discours. Après avoir invectivé publiquement et de manière éhontée l’Institut pour la Justice, vous ajoutez, dans votre discours, que vous croyez « au nécessaire dialogue républicain », que vous êtes « ouverts au dialogue et au compromis » et concluez par « nous préférons infiniment aux oppositions frontales du passé le débat d’idée ! ».

A la lecture de ces mots, je suis pris d’un sérieux doute sur votre sincérité et votre volonté de parvenir à un dialogue constructif, ce qui ne veut pas dire sans oppositions. En ayant recours à l’amalgame, l’invective et même la stigmatisation systématique, vous utilisez des procédés qui sont à l’opposé de vos déclarations et vous rapprochent de partis ou mouvements qui n’hésitent pas à recourir, eux, à des « discours populistes et extrémistes ». Vous critiquez les méthodes de certains syndicats de policiers à l’encontre de l’USM mais usez des mêmes procédés à notre égard. En ce sens, je dois reconnaître mon étonnement, pour ne pas dire plus.

Par ailleurs, vous faites une erreur – dont j’espère qu’elle n’est pas volontaire – en laissant croire que nos analyses sur les dysfonctionnements de la justice visent les magistrats. Si des critiques individuelles peuvent être faites à l’égard de certains magistrats, ce dont vous ne vous privez pas à l’égard de M. COURROYE, il n’en est pas moins vrai que les juges appliquent, plus ou moins strictement, les lois pénales décidées et votées par les pouvoirs exécutif et législatif.

Or, ce sont ces lois que nous dénonçons et que nous souhaitons voir modifier dans le sens des préoccupations et idées qui sont les nôtres. Je vous saurai donc gré de ne pas simplifier nos discours et nos propositions qui reçoivent, par ailleurs, le soutien de nombreux magistrats, professionnels et experts du monde judiciaire.

Vous revendiquez, et c’est une idée à laquelle nous ne sommes pas insensibles, l’instauration d’un véritable pouvoir judiciaire dans notre pays, symboliquement matérialisé par une réforme de notre Constitution. Or, je ne doute pas que comme nous, vous souscriviez à l’idée qu’il n’est de plus grand danger dans une démocratie, qu’un pouvoir sans contre-pouvoir.

La Justice est rendue dans notre pays au nom du peuple français. Sans céder à quelque populisme que cela soit, refuser d’entendre l’opinion publique ne peut être compatible avec la mission même de la Justice. Instaurer un pouvoir judiciaire digne de ce nom en France, nécessiterait dans le même temps que des contre-pouvoirs forts soient mis en place. Cette remarque s’applique d’ailleurs à l’ensemble de nos institutions, notre pays souffrant, sans aucun doute, de l’absence de véritables contre-pouvoirs.

La démocratie et l’information des citoyens sont un combat et une mission de chaque jour. Certes, nous sommes sans doute en désaccord sur l’orientation des réformes qui seraient nécessaires à notre système judiciaire, mais je vous prierai de ne pas recourir à des discours ou à des procédés que vous condamnez légitimement lorsqu’ils sont adressés à votre encontre.

Nous sommes tout à fait disposés à vous rencontrer et à multiplier les échanges avec l’Union Syndicale des Magistrats. Le débat démocratique a tout à y gagner à condition que les invectives ne soient pas l’instrument privilégié par votre organisation pour nous décrire.

Je crois qu’il était nécessaire que l’Institut pour la Justice vous fasse part de sa préoccupation à l’égard des propos qui sont les vôtres. Je ne doute pas que nous aurons l’occasion d’échanger à ce sujet.

Restant à votre disposition, je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de mes salutations cordiales.

Alexandre GIUGLARIS Délégué général adjoint de l’Institut pour la Justice

L’IPJ s’est entendu faire la réponse suivante :

Monsieur le délégué général adjoint,

J’accuse réception ce jour de votre courrier du 25 octobre dernier qui m’est tardivement parvenu, mais dont je n’avais pas manqué de prendre connaissance, puisque vous l’avez concomitamment diffusé sur votre site internet sous forme de lettre ouverte.

Vous semblez me reprocher un passage du discours que j’ai prononcé en présence de Mme TAUBIRA et de M. VALLS à l’occasion du 38ème congrès annuel de l’USM à Colmar le 19 octobre dernier.

Je me félicite de l’intérêt que vous portez à nos travaux. Néanmoins, vous me permettrez de trouver inapproprié d’extraire quatre lignes d’un discours de 45 minutes en en modifiant le sens et la portée.

Après m’être félicité du discours respectueux du Ministre de l’Intérieur à l’égard des magistrats et de leurs décisions, ouvrant la porte à un travail serein et consensuel gage de succès dans la lutte contre la délinquance et la récidive, j’ai émis des inquiétudes quant aux oppositions de certains, tant au sein de la police qu’au sein de la magistrature, à cette attitude responsable.

J’ai ajouté : « D’autres voix, qui tentent de faire croire qu’elles défendent les victimes, mais véhiculent un discours populiste et extrémiste, les rejoindront. Comment ne pas condamner les derniers amalgames pathétiques diffusés sur internet, par ceux qu’il faudrait plutôt appeler ICJ, « l’Institut contre la Justice » ! »

Je conçois que ces propos vous soient désagréables, mais ils correspondent au ressenti de très nombreux collègues après les multiples attaques dont l’IPJ est coutumier à l’égard des magistrats.

Il m’avait en effet échappé que c’étaient les lois et procédures que vous contestiez et non les magistrats et leurs décisions. Le visionnage intégral des vidéos diffusées sur votre site internet, les raccourcis saisissants que vous opérez, les approximations et les amalgames flagrants prouvent qu’au-delà des lois, ce sont également les décisions de justice et ceux qui les rendent que vous attaquez. Vous êtes naturellement libre de penser ce que vous voulez des magistrats et fonctionnaires de greffe qui servent pourtant la justice avec abnégation et sans les moyens suffisants pour faire face à l’ensemble de leurs missions.

Vous avez le droit de porter des idées qui n’ont été efficaces dans aucun pays au Monde et de faire du lobbying pour les imposer dans notre pays.

Mais vous ne pouvez pas, comme vous le faites, systématiquement stigmatiser la Justice, laissant entendre que les magistrats, par esprit partisan, sont laxistes, font fi des victimes et favorisent en réalité les délinquants. Ou si vous le faites, acceptez au moins, sans vous victimiser, que ceux qui majoritairement représentent les magistrats fassent part publiquement de leur réprobation !

« La démocratie (j’ajouterai la séparation des pouvoirs et l’indépendance des magistrats) et l’information des citoyens sont un combat et une mission de chaque jour » écrivez-vous.

Je partage ce sentiment, mais, à l’USM, nous considérons que la démocratie ne peut se mettre en œuvre que si les organes régulateurs de la société, au rang desquels nous plaçons naturellement l’institution judiciaire, sont respectés.

Quant à l’information donnée, encore faudrait-il qu’elle soit juste et exprimée avec sincérité, ce qui, j’ai le regret de vous le dire, n’est pas le sentiment principal qui émane de vos publications.

Vous comprendrez que tant que ces deux conditions préalables ne sont pas remplies, il ne peut être envisagé un quelconque travail entre l’USM et votre institut

Je vous prie d’agréer, Monsieur le délégué général adjoint, mes salutations distinguées.

Christophe REGNARD Président de l’Union Syndicale des Magistrats

Je ne suis certes en rien objectif, comme membre du syndicat si honni de l’IPJ, et par ailleurs fort peu adhérent dudit institut. Mais tout de même, il me semble qu’à la démagogie d’un tel regroupement qui se positionne sur l’échiquier politique, et en matière de justice, à l’extrême de ce qu’une démocratie peut accepter, il faut systématiquement répondre, pour ne pas leur laisser le champ libre de la discussion démocratique. Si tant est que la réponse à la réponse ne soit pas la plainte en diffamation, solution facile de celui qui finalement refuse toute forme de dialogue.

Une chose est claire : je ne laisserai jamais cet “institut” discourir seul de ce qui est sa vision extrême de la justice. Je suis immodestement persuadé que je suis mieux placé que n’importe quel de ses membres pour savoir ce qu’est la justice en France et ce dont elle a réellement besoin. Et je continuerai à le dire, à le réclamer, à la critiquer. Fut-ce au prix d’une assignation en justice pour “diffamation”, puisqu’il semble que la seule réponse de cette association à la critique de sa vision du monde judiciaire soit le recours à cette justice qu’elle semble pourtant tant détester.

Note

[1] je vous laisse faire toutes recherches utiles sur Google, n’entendant pas me faire le publicitaire de cette association

mercredi 14 mars 2012

Le maire et la gifle

Un fait divers remontant à quelques semaines fait encore parler de lui, notamment car mes amis de l‘“Institut pour la Justice” ont enfourché ce cheval de bataille pour faire une de leurs inénarrables pétitions où deux écueils sont toujours soigneusement évités : expliquer et s’adresser à l’intelligence du lecteur.

Rappelons également que Marie-Antoinette, à qui l’édile a été comparé par cette association, a été enfermée d’août 1792 à octobre 1793, a été séparée de ses enfants, a vu son époux guillotiné et sa meilleure amie dépecée vive et sa tête agitée au bout d’une pique à sa fenêtre, a été accusée publiquement d’avoir agressé sexuellement son fils et condamnée à mort par le tribunal révolutionnaire, et que le blanchissement accéléré de ses cheveux est attribué notamment au cancer de l’utérus qu’elle avait développé et qui évidemment n’était pas soigné. Ce qui en effet équivaut bien à une amende avec sursis pour une gifle.

Les faits peuvent en effet se résumer ainsi : le maire d’une petite commune a été condamné pour avoir giflé un de ses administrés mineur dont le comportement, c’est le moins qu’on puisse dire, laissait à désirer.

Comme vous le savez, c’est avec joie qu’en ces lieux, nous nous frottons à ces deux écueils. Voici donc ce qui s’est réellement passé, et où en est la procédure, et, détail minuscule oublié par l’IPJ, ce que dit la loi, que le juge a pour mission d’appliquer.

Les faits

Le 24 août 2010, à Cousolre (Nord), commune rurale de 2500 habitants, Maurice Boisart, maire de la commune, aperçoit par la fenêtre de son bureau un jeune homme, mineur, escalader un grillage qui, je le suppose, entourait un terrain de sport municipal, grillage qui venait d’être refait par la commune pour un coût de 10.000 euros, alors même que la clef ouvrant cette clôture est à sa disposition. Ce jeune homme est bien connu du maire pour son comportement pour le moins turbulent : le maire fera état d’une perturbation d’une cérémonie d’hommage aux anciens combattants, de provocations en bloquant la voiture du maire, et, mais ce n’est là qu’un soupçon, divers tags salissant les murs de la commune.

Mécontent, le maire se porte à sa rencontre, et très vite, le ton montre entre l’édile et le jeune homme. Je cite le compte-rendu d’audience, car audience il va y avoir, de Pascale Robert-Diard. C’est d’abord le maire qui parle :

Je suis sorti. Je lui ai dit : ‘tu arrêtes de te foutre de ma gueule’. Demain matin, tu iras au poste, raconte le maire. Il m’a répondu : ‘C’est pas toi qui va m’empêcher de faire ce que je veux’. Il m’a insulté, m’a traité de ‘bâtard’ et la claque est partie. J’ai jamais donné de gifle à personne dans ma vie. J’ai eu un geste instinctif, c’est pas la meilleure chose que j’ai faite. Je le regrette.” Il ajoute, un peu plus bas : “Je ne cherche pas à excuser ma gifle, j’aurais pas dû le faire. Mais le problème, il vient peut-être de comment il a été élevé ce garçon…”

Notez bien que le maire ne cherche pas à excuser sa gifle. Il reconnait qu’il a eu tort de la donner.

La suite de l’affaire est racontée sur procès-verbaux par les copains du jeune homme, témoins de la scène. L’humiliation qui fait sortir l’adolescent de ses gonds, les insultes qui pleuvent – “Fils de pute, je vais niquer ta mère, attends si t’es un homme, je vais te tuer” – le coup de poing qui part mais qui n’atteint pas le maire car les autres s’interposent, la colère, toujours, qui pousse le mineur à rentrer chez lui, à prendre deux couteaux qu’il glisse dans ses chaussettes et à revenir sur la place de la mairie avant d’être calmé et désarmé par ses amis. Le maire porte plainte pour outrages (le garçon a été condamné depuis), les parents déposent plainte à leur tour contre l’édile, pour “violences”.

Je graisse ce passage que l’IPJ a soigneusement oublié de mentionner dans son texte : ce jeune homme a lui aussi été poursuivi et condamné pour son agression envers le maire. J’ignore la peine qui a été prononcée, mais ce n’est pas le genre d’incident qui amène au prononcé d’une peine de prison ferme, en tout état de cause.

La réponse judiciaire

C’est le procureur de la République du tribunal de grande instance d’Avesnes Sur Helpe qui était compétent territorialement pour décider des suites à donner. On sait qu’il a saisi le juge des enfants de poursuites à l’encontre du jeune homme, qui ont abouti à sa condamnation. Le maire avait la possibilité, étant victime, de se constituer partie civile et de demander des dommages-intérêts au jeune homme et à ses parents, civilement responsables de leur galopin. J’ignore s’il a usé de cette faculté. Mais il a eu la possibilité de demander réparation de l’outrage qu’il a subi à cette occasion.

S’agissant de la gifle, qui n’est pas contestée par son auteur, le procureur de la République a ouvert son Code pénal, et a lu la loi que le peuple français l’a chargé d’appliquer, en sa qualité de magistrat. Son attention s’est immanquablement portée sur l’article 222-13, qui dispose (la loi ne stipule pas, jamais) :

Les violences ayant entraîné une incapacité de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ayant entraîné aucune incapacité de travail sont punies de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende lorsqu’elles sont commises :

(…)

7° Par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions ou de sa mission.

C’est là un délit de violence aggravée. Il ne lui a pas fallu longtemps pour retrouver les circulaires de la Chancellerie adressée à tous les parquets, où les instructions, auquel il est tenu d’obéir sont claires : les faits de violences, et tout particulièrement si elles sont aggravées doivent faire l’objet d’une réponse pénale systématique. Pas de classement sans suite. Interdit. D’autant qu’ici, les faits sont établis et reconnus.

Il a donc opté pour l’engagement de poursuites sous forme d’une “Comparution sur Reconnaissance Préalable de Culpabilité” (CRPC) le fameux “plaider coupable à la française” (articles 495-7 et suivants du code de procédure pénale). Le procureur propose au maire de reconnaître sa culpabilité dans ces violences aggravées et d’accepter la peine qu’il lui propose, qui sera ensuite homologuée par un juge, qui ne pourra pas modifier cette peine, mais tout au plus refuser de l’homologuer s’il l’estime inadéquate, que ce soit trop ou pas assez sévère.

Et le maire de Cousolre se voit proposer une amende de 600 euros, sans prison fût-ce avec sursis. Je rappelle que la loi prévoit jusqu’à 3 ans de prison et 45000 euros d’amende.

Mais le maire va refuser cette peine, comme il en a le droit. Dans cette hypothèse, le procureur de la République n’a pas le choix : il doit saisir le tribunal correctionnel pour que les faits soient jugés selon le droit commun : art. 495-12 du code de procédure pénale, sauf élément nouveau, mais ici, il n’y avait rien de nouveau sur les faits.

Voilà comment le maire se retrouve devant le tribunal correctionnel d’Avesnes Sur Helpe, le 3 février dernier.

L’audience

L’affaire a attiré l’attention de la presse, et Pascale Robert-Diard, que j’ai déjà citée, était présente. Cette audience ne s’est pas très bien passée pour le maire, car, si j’en crois la chroniqueuse du Monde (et je la crois), le parquetier a été particulièrement brutal avec le maire, et ses réquisitions véhémentes, qui ne s’imposaient pas vraiment, ont surpris l’assistance. Entendons-nous bien. Je suis un farouche partisan de la liberté de parole du procureur à l’audience qui est une garantie essentielle d’une bonne justice. Mais cette liberté n’interdit pas la critique, et là, ces réquisitions me paraissent critiquables sur la forme et sur le fond.

D’une part, sur la forme, le procureur a opté pour des réquisitions virulentes, qui, à mon sens, ne sont jamais pertinentes, mais là étaient particulièrement hors de propos. Le prévenu est un homme de 62 ans, maire en exercice, sans antécédent, qui a eu un geste violent dans un accès de colère après avoir été visiblement provoqué. Les sarcasmes sur le Chicago des années 30 et Montfermeil sont déplacés, et inutilement humiliants. C’est l’avocat qui parle : les magistrats doivent veiller à ne jamais humilier le prévenu, aussi irritant soit-il, et là le maire de Cousolre ne l’était manifestement même pas. Une humiliation publique défoule peut-être celui qui use et abuse de sa position pour l’infliger (on doit accepter l’offense sans réagir sous peine de risquer l’outrage à magistrat en retour), mais détruit tout effet pédagogique de l’audience et au contraire crée des rancœurs envers la justice qui ne favorisent pas la réinsertion du condamné. Je ne comprends pas le comportement du procureur, mais j’émets une réserve sur mon opinion : je ne connais pas l’intégralité du dossier, il y a peut-être certains aspects du comportement du prévenu que j’ignore. Je maintiens cependant que ce comportement est inapproprié en toute circonstance, quel que soit la qualité du prévenu.

Sur le fond, le procureur a reproché au maire d’avoir refusé ce plaider-coupable à 600 euros, mettant cela sur le compte de la volonté du prévenu d’avoir une tribune médiatique. Problème : la loi interdit de faire état devant le tribunal d’une procédure de plaider-coupable (CRPC) qui n’a pas abouti : art. 495-14 du CPP. On me rétorquera que la loi interdit de faire état des déclarations faites au cours de cette procédure ou des documents remis, ce qui a contrario ne semble pas interdire de faire état qu’une telle procédure a été engagée. À cela je répondrai que ce n’est pas la volonté du législateur qui avait même décidé initialement que l’audience d’homologation ne devait pas être publique pour préserver le secret de cette procédure si elle ne devait pas aboutir[1], avant de se faire retoquer par le Conseil constitutionnel qui a exigé cette publicité, non pour faire échec au secret d’une procédure avorté, mais au nom du principe de publicité des débats (cons. n°117 sq.). Enfin et surtout, si le parquet a fait état de la proposition de peine (600 euros d’amende) devant le tribunal, il a nécessairement fait mention d’une pièce de la procédure ou d’une déclaration des parties, puisqu’il a bien fallu à un moment que cette proposition de peine soit formulée dans le dossier.

Enfin, tout ça pour quoi ? Pour aboutir à une peine requise de 500 euros d’amende, soit moins que la peine proposée en CRPC, ce qui revient à reconnaître implicitement que le maire a en fait eu raison de refuser cette peine.


Mise à jour : Merci à Arisu qui me signale une interview éclairante du procureur qui était présent à l’audience, publiée dans la Voix du Nord.

Pour résumer : il a été sur le ton de l’ironie pour marquer son désaccord avec le récit apocalyptique qui lui était fait de la situation à Cousolre, mais le regrette rétrospectivement vu que l’effet a manifestement manqué son but. Son analyse juridique rejoint la mienne, vous le verrez, et il précise que le maire a refusé toutes les mesures de conciliation (qui impliquaient la réparation du dommage), que sept témoins corroboraient le récit de la victime précisant qu’il n’y a pas eu d’injure avant la gifle, alors que le maire lui même n’en a fait état pour la première fois que deux jours plus tard. Les seuls propos que le mineur a reconnu sont “C’est pas toi qui va m’empêcher de ramasser mon ballon, casse-toi “, mais le procureur rappelle, à raison, que l’excuse de provocation a disparu en 1994 avec l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal.


La décision

Le jugement a été rendu le 17 février 2012. Curieusement, l‘“Institut pour la Justice” a oublié d’en préciser le contenu exact dans sa diatribe, qui ne mentionne que les dommages-intérêt.

Le tribunal a déclaré le maire coupable des faits de violences et a prononcé une peine de 1000 euros d’amende assortie du sursis, c’est à dire que le maire n’aura pas à payer cette amende s’il n’est pas à nouveau condamné pénalement pour un délit ou un crime dans les 5 ans qui viennent (ce qui semble quasiment certain vu la personnalité de ce monsieur). Curieuse décision, qui dépasse le quantum requis par le parquet (ce qui est plus sévère) mais l’assortit du sursis (ce qui est plus indulgent). Précisons que le maire n’échappera cependant pas au paiement d’un droit de 90 euros qui frappe toute personne condamnée.

Les motivations du jugement sont éclairantes sur les moyens de défense du prévenu. Celui-ci a soulevé la légitime défense (art. 122-5 du Code pénal) pour plaider la relaxe. Voici comment le tribunal écarte cet argument.

“Le prévenu soutient qu’il doit être relaxé des fins de la poursuite car il estime qu’il était en état de légitime défense. Il fait valoir que son geste, qu’il regrette, a été un réflexe face à une insulte. il ajoute que sa réaction a été proportionnée à cette insulte reçue.

En l’espèce, au vu des éléments du dossier, il est vraisemblable que l’attitude et les paroles de Pierre D., qui se trouvait en un lieu non accessible au public, aient pu être perçues comme provocantes par Maurice Boisart.

Cependant, une telle attitude, voire l’insulte “bâtard” évoquée par le prévenu, ne sont pas de nature à justifier une réaction de violence, fût-elle légère, sur le fondement de la légitime défense, en l’absence de toute tentative de violence physique.

Dès lors, il convient d’écarter ce fait justificatif et de déclarer Maurice Boisart coupable des faits de violence par personne dépositaire de l’autorité publique (…)

L’argumentation du tribunal est irréprochable. C’est une parfaite application de la jurisprudence bi-séculaire en matière de légitime défense : seul un comportement physiquement violent justifie une riposte violente : c’est la règle de la proportionnalité. J’ajoute que la jurisprudence évolue de manière continue dans un sens admettant de moins en moins la légitime défense, sauf au profit des forces de l’ordre. La violence est de moins en moins tolérée dans notre société, ce qui est une évolution heureuse, et les juges reflètent cette évolution des mentalités, qui est abondamment et surabondamment prise en compte par l’évolution de la loi.

Le tribunal motive ainsi la peine prononcée :

Compte tenu des circonstances de la commission de l’infraction et de la personnalité de M. Boisart, qui n’a jamais été condamné et qui bénéficie de renseignements de personnalité très satisfaisants, il sera condamné au paiement d’une amende d’un montant de 1000 euros assortie du sursis simple.

Notez que le tribunal a pris en considération les circonstances de l’infraction comme élément à décharge, quand bien même l’excuse de provocation a disparu en 1994. Il admet que c’est le comportement de la victime qui a été déterminant dans le passage à l’acte, ce qui atténue la responsabilité du maire et justifie le prononcé du sursis, avec les “renseignements de personnalité très satisfaisants”, comprendre que l’enquête et l’audience ont montré que Maurice Boisart était quelqu’un d’inséré dans la société ne montrant aucune dangerosité particulière et ayant eu jusque là un parcours sans histoire (pas de casier judiciaire, notamment). Il est rare qu’un tribunal prenne la peine de se montrer aussi laudatif avec un prévenu qu’il condamne.

Reste la partie la plus délicate : les intérêts civils. Car le maire a été déclaré coupable : il doit réparer sa faute. Il est donc condamné à indemniser le mineur giflé. Celui-ci, représenté par ses parents, demandait 1000 euros de dommages-intérêts, et 2000 euros d’article 475-1, c’est-à-dire de frais de justice, essentiellement constitués des honoraires de leur avocat. Le tribunal n’a pas le choix et doit faire droit à cette demande, mais peut fixer un montant inférieur au montant demandé, ce qu’il fait : 250 euros de dommages-intérêt et 500 euros d’article 475-1, à la charge du maire, qu’il doit verser entre les mains des parents du mineur.

Cela met mes amis de l’IPJ dans un état proche de l’apoplexie. Pourtant, c’est l’application pure et simple de la loi et la prise en compte du préjudice subi par la victime, reconnue en tant que telle, ce qui est l’essence du combat de l’IPJ, du moins tel qu’il le proclame (et qui suis-je pour mettre en doute sa sincérité ?) L’IPJ devrait donc applaudir cette décision, s’il était cohérent. S’il l’était.

Le tribunal n’avait d’autre choix que de condamner le prévenu reconnu coupable à indemniser la victime. Et surtout il ne pouvait à ce stade prendre en compte le comportement de la victime pour diminuer voire supprimer son droit à réparation. Là encore, jurisprudence bi-séculaire : en matière de délits volontaires, ce que sont les violences, le comportement de la victime, s’il n’a pas été une cause d’irresponsabilité pénale, c’est-à-dire s’il n’a pas fondé une légitime défense ou un état de nécessité, ne peut diminuer son droit à réparation. Ce n’est possible qu’en cas de délit involontaire (homicide ou blessures par négligence, par exemple). C’est là encore une règle protectrice de la victime à laquelle l’IPJ ne devrait que vouloir applaudir.

Suites et alternatives

Le maire a déclaré avoir fait appel de cette décision. La chambre des appels correctionnels de Douai examinera cet appel. Il est probable que le parquet a formé ce qu’on nomme un appel incident, c’est à dire un appel en réplique à l’appel du prévenu. La cour d’appel de Douai pourra donc aussi, si elle le juge nécessaire, aggraver la peine du prévenu. Je ne sais pas si la partie civile a fait appel elle aussi, auquel cas la cour pourrait également alourdir les dommages-intérêts. Les délais d’audiencement d’un appel correctionnel tournent autour d’un an, on a donc le temps de voir venir. Le maire a changé d’avocat pour cet appel et est désormais défendu par un natif de Cousolre, un certain (et redoutable) Éric Dupond-Moretti.

Dernière question : le parquet avait-il d’autres choix que de poursuivre ? C’est la question que se pose Philippe Bilger, magistrat honoraire (rappelons que chez les avocats, honoraire veut dire facture, et chez les magistrats, retraité), qui se demande pourquoi le parquet n’a pas classé sans suite, ce qu’il peut faire en opportunité même face à des faits établis.

Comme je l’ai dit au début, le parquet a reçu de la Chancellerie des instructions très claires de ne jamais classer sans suite des violences aggravées. Classer sans suite, c’eût été désobéir, et la loi lui interdit de désobéir à ces instructions (et l’expose le cas échéant à des sanctions personnelles).

En outre, c’eût été inutile.

En effet, la loi permet à celui qui se dit victime directe d’une infraction de mettre lui-même en mouvement l’action publique si le parquet ne le fait pas, que ce soit en saisissant un juge d’instruction (art. 85 sq. du CPP) ou le tribunal, par citation directe (art. 392 sq. du CPP). Là encore, il existe une association à l’intitulé pompeux qui ne cesse de revendiquer des droits de plus en plus accrus pour les victimes, notamment leur donner le droit de faire appel sur l’action publique.

Pour être parfaitement clair, l‘“Institut pour la Justice” fait du lobbying intensif pour permettre à l’avenir à un mineur giflé par un maire dans de telles circonstances de faire appel de l’amende avec sursis et de demander à la cour d’aggraver la peine, en augmentant le montant de l’amende et en supprimant le sursis, et ce même si le parquet ne le souhaitait pas. Et il va même plus loin : il souhaite que si le maire avait été condamné à de la prison, ce mineur incivique puisse venir s’opposer à toute demande de libération conditionnelle ou toute mesure d’aménagement qui pourrait éviter ou limiter le temps passé en prison par ce maire, au nom de l’application effective des peines prononcées (point 3 du Pacte 2012) et de l’impunité zéro pour les atteintes aux personnes (pacte 2012, point n°2).

Je suis ravi de ce spectaculaire virage à 180 degrés de l’IPJ, mais craint hélas qu’il relève plus de la profondeur de réflexion de la girouette que d’un recours tardif mais toujours salutaire à la Raison.

En conclusion, que retenir de cette affaire ? Qu’ici, la justice n’a fait qu’appliquer scrupuleusement la loi, ce qui ne surprendra que ceux qui ne la connaissent pas. La loi sanctionne les violences, toutes les violences. Et la loi ne dit pas qu’un maire aurait, par exception, le droit de distribuer des baffes à tout perturbateur de l’ordre public, sous prétexte qu’il est élu local. Au contraire, la loi dit que celui à qui on a fait l’honneur de confier la mission d’être maire a encore moins le droit que les autres de se laisser emporter à la violence, et qu’il doit être plus sévèrement puni qu’un citoyen ordinaire quand il le fait. La même loi laisse néanmoins une marge d’appréciation au juge pour la fixation de la peine au regard des faits tels qu’ils se sont déroulés, et de la personnalité du prévenu. Devinez d’ailleurs qui milite pour que cette marge d’appréciation soit restreinte voire annihilée dans un sens d’une plus grande sévérité systématique ? Mais oui, toujours lui !

Cette décision vous scandalise ? Libre à vous, mais vous ne pouvez pas la reprocher à la justice, qui avait ici les mains liées par la loi. Demandez au législateur de changer la loi si vous souhaitez que votre maire puisse librement vous gifler vous et vos enfants à chaque fois qu’il estimera que vous contrevenez à l’ordre public. En attendant, la loi vous protège et les maires gifleurs seront toujours exposés à des sanctions pénales.

Et si vous estimez finalement avoir été induit en erreur par l‘“Institut pour la justice” qui vous a intentionnellement caché ce que je vous explique ici, ce qui fut le cas de nombreuses personnes à la suite de l’affaire du Pacte 2012, à tel point que cette association a dû se fendre d’une page spéciale pour me rendre hommage et tenter de faire cesser l’hémorragie de gogos, vous pouvez écrire à info@institutpourlajustice.com en demandant que votre nom soit retiré de la liste des signataires et surtout de leur base de donnée pour éviter de vous faire spammer à l’avenir. On vous expliquera en retour que je suis très méchant, ce que j’assume parfaitement. Mais moi, au moins, je ne vous prends pas pour des imbéciles.

Voir aussi cet article de Pascale Robert-Diard, toujours elle, sur les lettres de soutien reçues par le maire, et ce portfolio publié par Le Monde.

Note

[1] Rapport de M. Warsmann n°856 du 14 mai 2003, II, A, 2.

samedi 12 novembre 2011

Attention manip : le "pacte 2012" de "l'Institut pour la Justice"

Depuis quelques jours, un appel à signer un “Pacte pour la justice” en vue de l’élection présidentielle de 2012 circule sur internet, émanant de l’Institut pour la Justice (IPJ), que mes lecteurs connaissent bien, hélas pour eux.

Dans un premier temps, j’ai consacré à cette initiative le traitement que je réserve à toutes celles de l’IPJ, c’est-à-dire mon plus profond mépris.

Mais je dois reconnaître que l’IPJ est en train de réussir son coup, avec sa méthode habituelle : mettre en avant la douleur d’une victime qui se défend de mettre en avant sa douleur, des affirmations que rien ne vient étayer si ce n’est la parole de la victime, étant entendu que quiconque est contre est un salaud qui méprise la douleur d’un père, un droitdel’hommiste bobo naïf, et bien évidemment l’ami du crime.

J’ai quand même été quelque peu soulagé de constater que sur la centaine de personnes qui m’ont signalé ce lien, la plupart avaient une approche méfiante et voulaient des explications. Car des explications, ce fameux message n’en contient pas le début d’une. Le lire avec un minimum d’esprit critique ne peut que révéler cette évidence, mais vous allez voir qu’il est fait justement pour neutraliser d’entrée votre esprit critique.

Puisque la justice, qu’invoque l’IPJ, mais seulement dans son intitulé, exige un débat ou chaque point de vue peut s’exprimer, je vais donc répondre à ce message, par des faits, des explications, des arguments, bref, par la Raison. Je suis désolé de devoir apporter une réponse critique à Joël Censier, dont je ne puis que comprendre la douleur et la colère, c’est une position que je n’apprécie nullement. Mais c’est lui qui a choisi de porter son histoire dans un débat public et d’en faire un argument politique. Je respecte ce choix, mais il entraine des conséquences, dont celle de devoir supporter la critique.

Commençons par une analyse du propos de Joël Censier, avant de terminer par une analyse de la démarche de l’IPJ, dont je rappelle qu’il n’est ni un Institut, ni pour la Justice, mais une simple association de 1901 essayant de promouvoir des thèses ultra-répressives sous un vernis pseudo-scientifique, qui revendique sur son site “400 000 sympathisants” mais non adhérents, c’est à dire des gens dont l’implication a été un clic sur internet mais dont aucun n’a souhaité verser la moindre cotisation. Les candidats sollicités feraient bien de s’en souvenir.

Le propos de Joël Censier

Je m’appelle Joël Censier, j’ai 52 ans et trente ans de police derrière moi. En vous envoyant cette vidéo, j’ai conscience de commettre un acte grave. Mais c’est une question de conscience.

Notez la dramatisation : le policier de trente ans commet un acte grave : il s’exprime. Car quelle que soit la critique qu’appellent ses propos, ils sont dans la limite de la liberté d’expression et sont parfaitement légaux. Son auteur ne s’expose à aucune sanction, aucune poursuite, rien. Mais sa “conscience” le pousse à “commettre un acte grave”. Un peu de dramatisation ne fait pas de mal.

Un de mes enfants, Jérémy, a été tué par un groupe de jeunes, alors qu’il rentrait à la maison. Ces jeunes, pour certains « bien connus des services de police », se sont déchaînés sur Jérémy, simplement parce qu’il était « fils de flic ». A dix contre un, ils l’ont tué avec une « barbarie inimaginable », selon les témoins et les médecins légistes.

Vous en avez sans doute entendu parler à la télévision, ou dans les journaux. C’était à Nay, une ville du Sud-Ouest, le 22 août 2009.

Retenez bien ces deux paragraphes. ce seront les seules présentations des faits auxquels vous aurez droit pour asseoir votre opinion.

La presse de l’époque est encore accessible en ligne (voir ici, ou ). Voici donc ce qu’on peut apprendre sur ce qui s’est passé.

Les faits ont eu lieu la nuit du vendredi 21 au samedi 22 août, à Nay, dans les Pyrénées Atlantiques. Le village célébrait sa fête traditionnelle. Vers 2 heures du matin, alors qu’il rentrait se coucher chez les amis qui l’hébergeaient (Jérémy habitait dans le Gers), il aurait aperçu une rixe qui opposait deux groupes (des gitans sédentarisés qui vidaient une querelle, semble-t-il). Il se serait approché de l’attroupement pour séparer les belligérants. Il semble établi qu’il ne s’est à aucun moment battu lui-même. Mais à peine était-il arrivé qu’une des personnes présentes, Samson G., mineur sans antécédents judiciaires, qui était semble-t-il déjà au sol quand Jérémy est arrivé, s’est relevé et lui a porté cinq coups de couteau, le premier à la poitrine, puis les autres à la poitrine et à la tête. L’autopsie a constaté que deux de ces coups étaient mortels, sans pouvoir déterminer celui des deux qui a été porté en premier et a donc été le coups mortel.

Le mineur a alors remis le couteau à une des personnes présentes en lui demandant de le faire disparaître. Ce mineur, auteur des coups, a été rapidement interpellé et a reconnu être l’auteur des coups de couteau. L’homme qui avait caché le couteau a été arrêté et a indiqué l’emplacement où il avait jeté le couteau (un canif dont la lame faisait 12 cm) qui a été retrouvé. Comme vous l’avez vu, il n’étaient pas dix, mais un. De plus, il est manifestement impossible que l’agresseur de Jérémy ait su que son père était policier puisque les faits ont eu lieu à Nay et que Jérémy habitait dans le Gers à 200 kilomètres de là et étaient hébergé chez des amis. Enfin, jamais les mots “barbarie inimaginable” n’apparaissent dans des rapports de médecins légistes qui emploient des termes techniques froids et descriptifs. D’ailleurs, Joël Censier a publié ce rapport sur le site consacré à cette affaire, et vous pourrez constater que ces termes n’apparaissent nulle part. En réalité, Jérémy Censier a reçu cinq coups de couteau dont deux mortels et des coups de pied une fois au sol. Voilà pour la “barbarie inimaginable”. Selon une technique qui sera employée tout au long, les faits vous sont cachés pour que votre imagination vole au secours de votre indignation.

La réaction judiciaire a été tout à fait normale : après une enquête de police visant à identifier et interpeller les responsables (avec succès ici), retrouver des témoins, faire les constations sur le lieu des faits avant que les indices ne disparaissent, enquête dite de flagrance, le procureur de la République de Pau, face à des faits sans nul doute criminels (il y a des violences volontaires reconnues et mort d’homme), a saisi un juge d’instruction pour continuer l’enquête. C’était obligatoire. Le mineur responsable des coups a été placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention de Pau, à la demande du juge d’instruction, de même que deux autres personnes soupçonnées dans un premier temps d’avoir participé aux faits (le frère du mineur et un ami de celui-ci), qui seront par la suite mises hors de cause sur la mort de Jérémy.

Comme nous le verrons, seul Samson G. a été finalement renvoyé devant la cour d’assises pour meurtre, cinq des sept autres personnes mises en examen seront jugées pour les faits de violences préméditées, c’est-à-dire la bagarre initiale à laquelle Jérémy était étranger, deux ont été mises hors de cause et ont bénéficié d’un non lieu.

La qualification des faits retenue est homicide volontaire pour la personne ayant porté les coups de couteau et violences volontaires en réunion ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de 8 jours.

Le cumul de qualification (homicide + violences avec ITT) s’explique par le fait que si cinq autres personnes présentes ont porté des coups à Jérémy, aucun de ces coups n’a été mortel ni n’a été porté avec l’intention de tuer. Ils ne peuvent donc être assimilé au crime de meurtre. On parle d’incapacité totale de travail de plus de 8 jours car c’est la mesure de la gravité des blessures non mortelles : si Jérémy avait survécu, il aurait eu une ITT de plus de 8 jours. Au-delà de cette limite, fixée par un médecin expert, on est en présence d’un délit, en deçà, d’une contravention. Mais la présence d’une ou plusieurs circonstance aggravante transforme toute violence même légère en délit. Ici, la réunion (violences commises par au moins deux personnes simultanément) est constituée, les auteurs des coups encourent donc cinq ans de prison.

Joël Censier oublie juste de vous dire que la qualification de meurtre a bien été retenue. Je comprends que tous ceux qui étaient présents sur le pont soient responsables de la mort de son fils à ses yeux. La justice se doit de porter sur les faits un regard objectif.

Reprenons les propos de Joël Censier.

Pour Corinne, mon épouse, et pour moi, la vie s’est arrêtée ce jour-là. Nos nuits et nos jours ne sont plus qu’une succession de cauchemars insupportables. Jusqu’à la fin de nos jours, nous pleurerons cet enfant que rien ni personne ne pourra nous rendre. Mais cette vidéo n’a PAS pour but de vous raconter notre histoire,

Et c’est bien dommage, puisqu’on nous demande de prendre position.

et encore moins de vous demander de nous plaindre.

Comme on va le voir, c’est ce qu’en rhétorique, on appelle une prétérition.

Ce n’est pas parce que notre enfant est mort que nous avons décidé de lancer cet appel. Si je vous parle aujourd’hui, c’est à cause de ce qu’il s’est passé après. Car cela concerne tous les citoyens qui, un jour peut-être, auront affaire comme nous à la Justice. Et nous ne voulons pas que d’autres connaissent ce que nous avons connu. Nous ne voulons pas que d’autres traversent les terribles épreuves que nous avons vécues après la mort de notre fils.

Comme beaucoup de victimes, nous avons cru que la Justice allait nous défendre. Qu’elle allait tout faire pour poursuivre les assassins. Ou qu’elle allait, au minimum, essayer de les empêcher de recommencer. Mais non, ce fut TOUT LE CONTRAIRE.

Tout le contraire ? Donc, nous allons avoir une démonstration que la justice ne fait rien pour poursuivre les meurtriers ou même les empêcher de recommencer, et qu’au contraire elle fait tout pour qu’ils recommencent. C’est ce qu’annonce sérieusement ce paragraphe. Retenez cette promesse. Vous allez voir qu’elle ne sera pas tenue. Ne serait-ce déjà que parce que le 15 août 2011, Samson G. a été renvoyé devant les assises pour le meurtre de Jérémy. La justice encourage les meurtriers en les jugeant aux assises ?

Dès les premières heures de la procédure, la Justice s’est rangée du côté des assassins. D’abord, le juge chargé de l’enquête a déclaré que, comme ils étaient dix, on ne pouvait pas savoir avec certitude qui avait donné les coups qui ont tué notre enfant. Il a donc immédiatement libéré sept des voyous, ne gardant que les trois plus dangereux.

Argument d’autorité : je vous le dis, c’est que c’est vrai. Cela reviendra souvent.

Sauf que cette affirmation est douteuse en soi et contraire aux faits.

Douteuse en soi car elle ne tient pas juridiquement, d’abord. Il existe en droit pénal une théorie jurisprudentielle ancienne dite de l’acte unique de violences. Quand un groupe a pris part à des violences, tous les membres de ce groupe sont co-auteurs d’un acte unique de violences en réunion. Peu importe pour leur culpabilité qui a porté tel ou tel coup. Tous sont responsables du résultat. Le rôle de chacun garde son importance pour déterminer la peine (celui qui s’est acharné sera plus sévèrement sanctionné que celui qui a porté un coup). Donc s’il avait été établi que les coups portés par ce groupe avait occasionné la mort de Jérémy, ils auraient commis des violences volontaires ayant entraîné la mort sans l’intention de la donner, sauf à ce que des faits objectifs établissent une intention de tuer.

Ce n’est pas le cas ici. Les coups fatals ont été portés par un couteau, et on sait que seul Samson G. les a portés. Donc il est certain que les violences (coups de poing et de pied) subies par Jérémy n’ont pas causé sa mort, elles n’étaient pas assez puissantes pour cela. L’acte unique de violences ne s’applique qu’aux violences, pas au meurtre, car il faut une intention homicide individuelle.

Rappelons que l’auteur des coups de couteau les a reconnu, tant en garde à vue (aveux qui ont depuis été annulés faute pour ce mineur d’avoir pu être assisté d’un avocat) qu’à nouveau devant le juge d’instruction. Des témoins de l’agression ont été entendus par la police et ont confirmé que seul lui avait porté des coups de couteau. Et cet auteur a bien été mis en examen pour homicide volontaire et placé en détention provisoire jusqu’en septembre dernier, soit deux ans (je reviendrai sur les conditions de sa libération). Il sera jugé pour meurtre par les assises, aux côtés de cinq autres personnes auteurs de violences non mortelles.

Joël Censier semble s’être persuadé que tous ceux présents sur le pont sont responsables de la mort de son fils. Je comprends que son chagrin ne le pousse pas à faire dans le détail. Nous n’avons pas cette excuse pour ignorer la vérité.

Peu de temps après, sur les trois, ils en ont relâché deux, sans raison.

Ah, que j’aimerais que la Justice libérât mes clients sans raison. Mais elle en demande, la bougresse.

Si, bien sûr, il y a une raison. Il suffit de lire la presse pour la connaître. Les éléments impliquant les personnes concernées sont devenus sujets à caution, excusez du peu. Le respect de la présomption d’innocence peut déranger le père d’une victime, je le comprends. Mais le chagrin n’interdit pas l’honnêteté intellectuelle. Il n’y a nul dysfonctionnement dans ces remises en liberté. D’autant que la suite donnera raison à la chambre de l’instruction : ces deux personnes ont été mises hors de cause dans le meurtre et les violences non mortelles. L’erreur de Joël Censier est pardonnable, il n’y a pas à l’IPj de juriste compétent pour lui expliquer cela.

Toute poursuite pour meurtre a été abandonnée contre eux.

Oui, le 15 août 2011, lors de l’ordonnance de règlement de l’instruction, soit après deux années d’enquête. La phrase précédente, commençant par “peu de temps après” laisse entendre que ce fut dans les jours qui ont suivi, ce qui n’est pas le cas.

Les magistrats ont déclaré qu’ils ne retiendraient que le délit de « violences volontaires ayant entraîné une interruption de travail supérieure à huit jours ». Oui, vous avez bien lu : une « interruption de travail supérieure à huit jours ». Un des délits les moins graves du code pénal. >Alors que notre fils est mort !

Jamais la justice n’a nié ce décès, ce que laissent entendre ces propos. Il est mort, mais pas du fait de ces violences.

Mais le pire était à venir.

Je n’en doute pas.

Le 16 septembre dernier, c’est-à-dire il y a un mois [Donc ce message date de mi octobre 2011. NdEolas] , la Justice a décidé de relâcher pour « vice de forme » le dernier qu’elle détenait encore. Cet individu est pourtant le danger public qui a avoué être l’auteur de multiples coups de couteau sur notre fils : un coup qui a transpercé son cœur, un coup qui a traversé sa boîte crânienne, et d’autres encore qui l’ont défiguré. Mais la Justice l’a libéré pour « vice de forme » !

Et quel « vice de forme » ? Ses avocats ont demandé une « mise en état du dossier de leur client, le 25 octobre 2010 ». Il s’agit d’une formalité purement juridique, sans aucune conséquence pratique sur la culpabilité de l’accusé. La chambre d’instruction avait trois mois pour leur répondre. Mais elle a dépassé ce délai. Alors les avocats ont exigé la libération du jeune. Et la Cour de Cassation leur a donné raison. Il a donc été immédiatement libéré. « Cette décision de remise en liberté pour non-respect des délais est une première en France dans l’application du texte concerné. C’est un immense soulagement », a déclaré l’avocat du tueur, Maître Sagardoytho. « Un immense soulagement » ; « une première en France ».

Pour Corinne et pour moi, ces mots victorieux sont insupportables. Nous avons pensé à tous les autres parents qui, désormais, risquent de voir eux aussi les assassins de leur enfant libérés pour ce « vice de forme ».

Vous avez compris ce qui s’est passé ? Non ? Moi non plus, et pourtant je suis avocat. Mais encore une fois, le but n’est pas de vous expliquer quoi que ce soit, de vous convaincre, de s’adresser à votre Raison.

Heureusement pour vous et moi, les décisions de la Cour de cassation sont publiées. J’ai donc pu retrouver l’arrêt concerné (Crim. 14 septembre 2011, pourvoi n°11-84937), ce qui n’a pas été commode puisque et arrêt est non pas du 16 mais du 14 septembre 2011.

Voici donc ce qui s’est passé : à vous de vous faire une opinion, en vous fondant sur les faits, qui vous sont soigneusement cachés par l’IPJ, qui a un rapport délicat avec la vérité, qui il faut dire lui est rarement favorable.

Le 5 mars 2007 a été promulgué une loi modifiant la procédure pénale, prise à la suite de l’affaire d’Outreau. Elle a entre autres introduit de nouvelles procédures permettant d’assurer une meilleure surveillance des détentions provisoires, pour essayer d’éviter qu’à nouveau, des innocents puissent croupir trois ans en prison.

Cette loi a notamment prévu la possibilité pour la défense de demander à la chambre de l’instruction de passer en revue l’instruction, dans une audience en principe publique, où les éléments à charge et à décharge peuvent être débattus afin de s’assurer que la détention est réellement nécessaire. C’est l’article 221-3 du Code de procédure pénale (CPP). Elle se distingue de l’appel sur la détention provisoire qui ne porte que sur l’adéquation de la détention avec les critères posés à l’article 144 du même code.

Cette demande, qualifiée dans le texte de Joël Censier de “mise en état”, terme impropre qui ne s’applique qu’à une procédure civile, peut être introduite par l’avocat d’une partie (même la partie civile, mais ça n’a que peu d’intérêt pour elle), ou par le parquet (même remarque que pour la partie civile) quand une personne est détenue depuis au moins trois mois et que l’avis de fin d’instruction n’a pas encore été rendu par le juge d’instruction. Le président de la chambre de l’instruction peut même décider d’office de lancer de lui-même cette procédure, mais à ma connaissance, ce n’est encore jamais arrivé. C’est une arme procédurale contre l’inaction d’un juge d’instruction qui semblerait trop négliger un dossier.

Dans notre affaire, l’avocat du mineur incarcéré (et seul incarcéré désormais) a déposé une telle demande le 19 octobre 2010, c’est à dire après un an et deux mois de détention de son client. On peut supposer qu’il estimait que l’instruction avait fait le tour des faits et qu’il craignait que le dossier ne stagnât et que son client végétât en détention.

Le Président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Pau avait huit jours pour y répondre. Soit il rejetait la demande par une décision non susceptible de recours, soit il transmettait à la chambre qu’il préside pour que l’affaire soit jugée après une audience réunissant toutes les parties. Dans ce cas, la loi exige que la cour statue par un arrêt qui doit être rendu dans un délai de trois mois à compter de cette saisine par le président. Faute de quoi, prévoit ce texte, “les personnes placées en détention sont remises en liberté.” C’est la loi.

le 25 octobre 2010, soit dans le délai de 8 jours, le président a estimé que cette demande méritait d’être examinée par la cour. La cour devait donc rendre son arrêt au plus tard le 25 janvier 2011.

Pourtant ce n’est que le 5 avril 2011 qu’il va prendre une ordonnance fixant l’audience au 6 mai 2011.

Les 4 et 5 mai 2011, la défense a déposé ses argumentations écrites, qu’on appelle “mémoires”, commettant ainsi une erreur : en effet, si d’ordinaire, les mémoires peuvent être déposés au plus tard la veille de l’audience, dans le cadre de l’audience de l’article 221-3 du CPP, ils doivent être déposés au moins deux jours ouvrables avant. C’est comme ça, c’est la loi. Le même jour, soit la veille de l’audience (je ne crois pas du tout à un hasard de calendrier) devant la cour, le juge d’instruction notifie aux partie l’avis de fin d’instruction.

Le 7 juin 2011, la chambre de l’instruction a rendu un arrêt déclarant irrecevables les mémoires de la défense car déposés trop tardivement, disant n’y avoir lieu à application de l’article 221-3 du CPP du fait que le 5 mai 2011, veille de l’audience, le juge avait rendu son avis de fin d’instruction, estimant qu’il avait terminé son enquête. L’avocat du détenu a formé un pourvoi contre cette décision, invoquant notamment le non respect du délai de 3 mois. Le 14 septembre 2011, la Cour de cassation a cassé cet arrêt et ordonné la remise en liberté immédiate du mis en examen détenu, car “lorsque la chambre de l’instruction est saisie sur le fondement de ce texte, son arrêt doit être rendu au plus tard trois mois après sa saisine, à défaut de quoi les personnes placées en détention sont remises en liberté” et “en omettant de statuer d’office sur la remise en liberté du requérant alors que le délai de trois mois à compter de sa saisine était expiré, la chambre de l’instruction a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus énoncé”.

Cette décision a ulcéré le père de Jérémy. Pourtant il faut en comprendre la portée. Le mis en examen est remis en liberté (il a depuis été placé sous contrôle judiciaire, c’est-à-dire qu’il reste suivi par la justice, avec notamment une obligation de pointer au commissariat de Mont-de-Marsan deux fois par semaine). Point.

Les poursuites continuent, l’ordonnance de mise en accusation de Samson G. du 15 août 2011 reste valable (sous réserve de l’appel en cours contre cette ordonnance, qui a été renvoyé par la Cour de cassation pour être jugé devant la cour d’appel de Toulouse), et ce jeune homme sera probablement jugé par la cour d’assises des mineurs. Simplement, il sera jugé libre. Sachant que devant la cour d’assises, toute peine est immédiatement exécutoire : s’il est condamné à ne serait-ce qu’un jour de prison de plus que ce qu’il a déjà effectué (soit deux ans et trois semaines), il sera immédiatement arrêté et conduit en prison. Voilà, c’est tout. Voilà la justice amie des assassins et ennemie des victimes en général et de Joël Censier en particulier.

Je cite les mots de son avocat, commentant la décision de septembre dernier, cité dans Sud-Ouest : “Une décision que ne conteste pas Me Martial. « Elle est en conforme en droit. » L’avocat confie qu’il s’attendait à cette issue. Il avait d’ailleurs prévenu les parents de Jérémy de la probabilité de la remise en liberté de Samson G.”. Même leur avocat leur dit que c’est normal.

Ce qui d’ailleurs mérite qu’on s’y attarde. Qu’a fait la justice ainsi vilipendée ? Au départ, le président de la chambre de l’instruction commet une erreur en n’audiençant pas dans le délai de 3 mois. Le 25 janvier 2011, la détention de Samson G. devient illégale. Il aurait dû être remis en liberté ce jour là. Et pourtant il n’en sera rien fait. Au contraire, le président va laisser au juge le temps d’envoyer l’avis de fin d’instruction pour audiencer l’affaire et tenter de dire que l’article 221-3 du CPP n’est plus applicable ; or c’est cet article qui fonderait la libération immédiate du suspect. Ce qui, avec le pourvoi, va repousser cette remise en liberté au mois de septembre 2011, soit 9 mois en toute illégalité. Bref, la justice paloise a tout fait, y compris violé la loi, pour réparer les conséquences de son erreur. Quand une cour d’appel viole la loi pour ne pas remettre un suspect en liberté, comment peut-on ensuite affirmer qu’elle a pris parti contre soi et en faveur du meurtrier de Jérémy ? De bonne foi, s’entend ?

Alors nous avons décidé de lancer cet appel à toute la population pour protester auprès des autorités afin que cette affreuse injustice ne touche pas d’autres familles. Pour nous, c’est trop tard, la Justice ne reviendra pas en arrière. Mais si vous ne faites rien, le monde judiciaire et les hommes politiques considéreront que ce fonctionnement là de la Justice est accepté par l’opinion publique. Et le même scénario frappera d’autres familles.

Le scénario étant : un présumé innocent remis en liberté en attendant d’être jugé. Aux armes !

Il faut savoir que le jour de la reconstitution, toute la bande est arrivée le sourire aux lèvres, les mains dans les poches. Ils se sont amusés à raconter et re-raconter le meurtre, en changeant de version à chaque fois, pour se moquer de gendarmes, ou de nous. Ils étaient parfaitement décontractés et désinvoltes. Ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre. De mon côté, je pleurais de douleur. J’ai commencé à comprendre que la Justice était en train de nous lâcher.

“Mais l’objet de cet appel n’est pas de nous faire plaindre.”

Je n’ai aucune information sur cette reconstitution, hormis le fait qu’elle a eu lieu en janvier 2011. Maintenant, qu’un groupe de jeunes sortant à peine de l’adolescence, dans une situation où ils sont mal à l’aise, se mette à ricaner bêtement et à rouler des mécaniques pour assurer devant les copains, je le crois volontiers. Je vois le même comportement dans les prétoires, à mon grand dam quand il s’agit de mon client. Quant à l’affirmation “ils savaient qu’ils n’avaient rien à craindre”, elle ne repose que sur le ressenti d’un père bouleversé ; et le “j’ai commencé à comprendre que la justice était en train de nous lâcher”, j’aimerais comprendre.

Le juge d’instruction fait une reconstitution, c’est à dire une mesure d’instruction sur les lieux du drame, demandant à chacun d’expliquer où il était et ce qu’il a fait. Que les explications données soient contradictoires, et parfois mensongères, cela arrive assez souvent. Il y a toujours l’illusion qu’un mensonge bien trouvé permettra d’échapper à l’évidence et au châtiment. Cette illusion est l’ennemie des avocats, car elle aboutit à creuser la tombe de leurs clients, qui ne font qu’éveiller d’avantage les soupçons à leur égard : “s’il ment, qu’a-t-il donc à cacher ? Ne serait-il pas plus impliqué encore que ce que les indices semblent révéler” ? Notons d’ailleurs que le genre de propos que tient l’IPJ ne peut qu’encourager ceux qui le lisent à tenter de nier l’évidence et mentir effrontément face à la justice, puisque l’IPJ laisse entendre que cela permet de s’en sortir et même de se mettre les juges dans la poche. Conseil d’un avocat pénaliste : n’essayez jamais cette méthode. Dites la vérité, ou mieux, taisez-vous, mais ne mentez jamais face à la justice. Jamais. JAMAIS.

Sur le pont, à l’endroit de la reconstitution, un gendarme s’est approché de moi. Ce n’était pas pour me dire un mot de sympathie. Non. Il m’a présenté une convocation à la Gendarmerie. Une plainte avait été déposée contre moi pour « subornation de témoin », et je devais être entendu par les gendarmes. Je me suis retrouvé sur le banc des accusés parce que j’avais demandé à un témoin du meurtre de se manifester auprès des autorités. On m’a expliqué que ce n’était pas à moi de le faire, je devais « laisser la Justice faire son travail »…

Cette anecdote est curieuse. Généralement, les convocations sont envoyées par courrier. Une remise en main propre est plutôt un dernier avertissement à quelqu’un qui n’y défère pas avant l’interpellation en bonne et due forme. Mais il n’est pas du tout conforme aux usages de mélanger les procédures et de confier aux gendarmes chargés du service d’ordre d’une confrontation de remettre des convocations pour audition dans une procédure différente. Ne serait-ce que parce que la maladresse serait ici évidente et que les gendarmes ont des égards. D’autant plus qu’entendre Joël Censier comme témoin aurait relevé de la brigade territoriale du domicile de Joël Censier plutôt que celle de Nay, située à 200 km de là. Vu les imprécisions, les omissions et les contre-vérités contenues jusque là, je prendrai donc cette affirmation avec des pincettes.

La subornation de témoin est un délit prévu par l’article 434-15 du Code pénal. Il consiste dans le fait d’user de promesses, offres, présents, pressions, menaces, voies de fait, manœuvres ou artifices au cours d’une procédure ou en vue d’une demande ou défense en justice afin de déterminer autrui soit à faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation mensongère, soit à s’abstenir de faire ou délivrer une déposition, une déclaration ou une attestation. Elle est punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende, ce même si la subornation n’est pas suivie d’effet.

Le simple fait de demander à un témoin de se manifester n’est pas une subornation de témoin. C’est tout à fait légal. Pour qu’une plainte ait été déposée à la gendarmerie, il faut donc que ce témoin se soit senti quelque peu pressé de faire une déclaration qui n’était pas tout à fait conforme à la vérité. J’ignore les suites qui ont été données à cette audition et à cette plainte. je ne doute pas un instant que si elle était allée plus loin, Joël Censier n’aurait pas manqué d’en remettre une couche sur la justice qui s’acharne contre lui. On peut donc supposer qu’elle a été classée sans suite. Détail pas assez important pour qu’on vous le communique. Que diantre, il faut bien vous faire cliquer à la fin.

J’ai même risqué des poursuites pénales car j’avais parlé d’un des meurtriers de mon fils en disant que c’était un « enfoiré ». >Son avocat me menaçait d’un procès en « diffamation ».

“J’ai même risqué”. Comprendre : “je n’ai pas été poursuivi”. Notez que Joël Censier s’obstine à parler au pluriel des meurtriers alors qu’il a été depuis longtemps établi que Samson G. a seul porté les coups mortels. Enfin, “enfoiré” n’est pas une diffamation mais une injure.

C’est alors que mon épouse et moi avons décidé de ne plus nous laisser faire. Au lieu d’attendre passivement le procès, nous avons décidé de rejoindre l’Institut pour la Justice.

Nous y voilà.

Le placement de produit de l’IPJ

L’Institut pour la Justice est un organisme indépendant qui regroupe des juristes, des victimes et des citoyens, qui œuvrent pour réformer la Justice française. Cet Institut a élaboré un Pacte 2012, qui sera présenté à tous les candidats à l’élection présidentielle, pour demander des réformes urgentes du système judiciaire.

Vous pouvez contribuer aujourd’hui à faire passer ces réformes, et à sauver des victimes futures, en signant le Pacte 2012 pour la Justice, en cliquant sur le bouton ci-dessous. Car si nous sommes des centaines de milliers de citoyens à soutenir ces propositions de réforme, les candidats seront obligés de nous écouter ; c’est une question de poids électoral. Mais c’est aussi une question de conscience et de justice.

Pas de vérité ni de Raison.

Lorsqu’on n’y est pas personnellement confronté, on pense souvent que la Justice fait bien son travail. On n’ose pas demander qu’elle soit plus rigoureuse envers les délinquants et les criminels, de peur d’être accusé de manquer d’humanité. Mais je peux vous dire, après trente ans d’expérience dans la Police, que vous n’avez pas à craindre cela. Il est rarissime qu’un vrai délinquant soit traité trop sévèrement en France. La plupart des délinquants bénéficient même d’une impunité à peine croyable.

Argument d’autorité. “J’ai trente ans d’expérience dans la police, je dis donc la vérité. Le fait que je sois partie prenante à une procédure qui me touche personnellement n’a naturellement en RIEN affecté mon jugement. Cela me dispense donc d’étayer mes affirmations par des faits, qui on l’a déjà vu ont un fort parti pris contre moi.”

On entend souvent parler de “violation des Droits de l’homme” dans nos prisons. Mais savez- vous pourquoi 225 détenus, dans une prison de Lyon, viennent de lancer une pétition pour dénoncer « des conditions de détention inacceptables » ? Ces conditions « inacceptables » c’est qu’il leur est interdit d’utiliser… la Playstation 3 dans leur cellule !!

A votre avis, est-ce à cause de l’interdiction d’utiliser une Playstation 3 en cellule que 6 détenus se sont suicidés dans cette prison entre janvier et septembre de cette année ? Voici le texte de la pétition. Les détenus réclament en effet (entre autres : le racket du cantinage, qui est un véritable scandale, l’absence d’activité sportive, illégale, le défaut d’écoute des prisonnier, qui a conduit à des suicides, tout ça sont des détails) de pouvoir utiliser des consoles de jeux vidéos dans leur cellule. De 9 m², surpeuplée, où ils passent 23h/24 chaque jour. Mais ces consoles ne sont pas offertes par l’administration pénitentiaires, pas plus que les télévisions dans les cellules : elles sont louées au prix fort, comme dans les hôpitaux, d’ailleurs. Je ne doute pas que certains citoyens modèles estimeront que ne pas périr d’ennui et sombrer en dépression est faire un traitement trop doux à des prisonniers. Le sadisme des honnêtes gens m’a toujours effaré.

Il n’est pas rare que la Justice relâche un délinquant arrêté des dizaines, voire des centaines de fois par la Police. Le Préfet de Police de Paris, lui-même, en a témoigné dans la presse, le 8 septembre dernier.

Si, c’est rare : il faut encore que je sois son avocat.

Plus sérieusement… Non, en fait, je ne peux pas prendre ce genre d’affirmation sérieusement. Tenez, voici un homme qui cette semaine s’est pris un an ferme pour avoir volé 2 euros de bonbons parce qu’il avait 15 mentions sur le casier. Non mais allez un peu voir des audiences correctionnelles, au lieu de gober des énormités pareilles. Là, la démonstration va consister en prendre une exception pour faire croire qu’elle est révélatrice de la généralité.

Il a cité le cas d’un homme qui venait d’être arrêté pour la 97eme fois. Peut-on imaginer pire mépris pour les victimes ?

Arrêté 97 fois ne veut pas dire condamné 97 fois (ce qui est impossible sauf à vivre plus d’un siècle et commencer jeune). Donc ne veut pas dire coupable 97 fois, et encore moins 97 victimes. Je ne sais rien de ce cas, cité effectivement par le préfet de police qui en bon préfet aime plus les chiffres que les faits. Ainsi, ce même préfet de police n’hésite pas à affirmer que le taux d’élucidation baisse depuis que les avocats assistent les gardé à vue. Avant de dire que grâce à son action volontariste, le taux d’élucidation est en hausse. Comme disait Sir Winston Churchill : je ne fais jamais confiance à des chiffres que je n’ai pas falsifié moi-même.

Des dizaines de milliers de personnes âgées sont cambriolées chez elles chaque année, sans qu’on ne se donne même plus la peine de rechercher les coupables, parce qu’on sait qu’ils seront de toute façon relâchés par la Justice. Des femmes se font violer, ou disparaissent, et on laisse leurs agresseurs libres de recommencer sous des prétextes dérisoires.

Source ? Lien ? Faits ? Pas question. Ça vous ferait réfléchir. Or on surfe sur vos préjugés.

Aujourd’hui, il est grand temps que les candidats aux élections s’en aperçoivent. Mais si nous voulons être sûrs qu’ils se prononcent officiellement, alors il est indispensable que nous soyons des centaines de milliers à signer le Pacte 2012 de l’Institut pour la Justice. J’espère que vous allez le signer et transmettre cette vidéo à tout votre entourage.

Bref vous comporter comme un virus informatique.

Il ne s’agit pas de mesures « répressives », et encore moins de réclamer un retour en arrière. Il s’agit simplement de recentrer la Justice sur sa mission première de protection des citoyens. Instaurer un fonctionnement normal, moderne et juste de l’institution judiciaire, adapté à la réalité d’aujourd’hui, dans lequel les citoyens puissent avoir confiance.

Nouvelle prétérition. L’IPJ ne connait que le tout répressif. Vous allez voir.

Un petit mot sur la mission de la justice, “protection des citoyens”. Ce n’est pas, n’a jamais été et en sera jamais le rôle de la justice. L’IPJ oublie d’ailleurs que les prisonniers sont eux aussi des citoyens et devrait donc militer pour leur protection contre l’État qui leur impose des conditions de détention indigne. Mais pour l’IPJ, on n’est plus citoyen quand on a été condamné.

Protéger suppose une antériorité du danger, d’empêcher un dommage de survenir. La justice, par sa nature même, n’intervient que pour réparer, donc a posteriori. Était-ce le rôle des juges d’être sur le pont de Nay pour empêcher la mort de Jérémy ? Bien sûr que non, ce rôle incombe à la police, et il est illusoire de croire qu’elle peut tout prévenir : même les États les plus policiers du monde connaissent le crime et la délinquance (dans des proportions plus importantes que chez nous, paradoxalement). La mission de la justice n’est pas de protéger, mais de réparer, en sanctionnant le crime. Vouloir inverser la chronologie aboutit à la rendre responsable de la mort de Jérémy et de tous les crimes commis. On sent que cette tentation existe aussi dans le personnel politique. Elle est irrationnelle, et malsaine, car elle revient à faire pression sur les juges, dont l’indépendance est notre première garantie.

Nous demandons: - que les peines de prison soient vraiment appliquées quand elles sont prononcées ; il faut savoir en effet qu’actuellement, 80 000 peines de prison restent non exécutées, faute de place.

Plutôt 82.000, chiffre issu d’un rapport de l’Inspection Générale des Services Judiciaires de 2009, qui représente 13% des peines de prison ferme prononcées. Il est faux de dire que c’est uniquement faute de place que ces peines ne sont pas exécutées. Environ 30.000 d’entre elles ne le sont pas car on ne retrouve jamais le condamné. Les 50.000 peines restantes constituent le stock des dossiers en attente d’exécution (source : le lien précédent). La plupart de ces 50.000 peines seront exécutées un jour. Le délai de traitement est en effet problématique, pour le condamné lui-même au premier chef (il n’y a pas de victime dans tous ces dossiers, loin de là), qui a pu trouver du travail, se réinsérer et changer de vie quand vient l’heure d’exécuter sa peine. Résultat inéluctable de décennies de moyens insuffisants. Si vous ne voulez pas vous payer une justice digne de de ce nom, vous le paierez d’une autre façon.

Le parc pénitentiaire fait 56 150 places opérationnelles au 1er mai 2011. Toutes ces places sont occupées, et plus encore : la population carcérale est de 64 584 personnes (au 1er mai 2011toujours) (taux d’occupation de 115%, avec les répercussions que l’on imagine sur les conditions de détention, qui vont un peu au-delà de l’absence de Playstations en cellule). Que propose l’IPJ ?- Ben d’exécuter ces peines, voyons. - Et comment ? - Ah mais vous allez nous lâcher avec ces satanés faits ?

J’ajoute enfin que le passage à l’acte suppose dans la plupart des cas (excluons les terroristes et les déments) que la personne commettant une infraction ait la conviction de l’impunité, c’est-à-dire qu’elle soit persuadée qu’elle ne sera pas arrêtée et punie pour ce fait. Colporter urbi et orbi et dans tous les médias que les peines de prison ne sont pas exécutées en France, quand bien même c’est faux, risque ainsi fort de favoriser des passages à l’acte. En somme, l’IPJ pousse au crime.

- que les victimes aient au moins autant de droits que les accusés, car aujourd’hui la triste réalité est que les délinquants ont souvent plus de droits et de considération que les victimes ;

Il est vrai que le fait qu’on n’incarcère pas les victimes les prive du droit de contester leur détention. Je vous laisse le soin de décider s’il faut modifier cet état du droit.

Pour le reste, j’invite l’IPJ à aller voir comment ça se passe ailleurs dans le monde, notamment aux États-Unis, pour constater que la France est le pays qui traite sans doute le mieux les victimes dans le cadre du procès. La seule chose qui leur reste fermée est la possibilité de faire appel sur l’action publique, c’est à dire demander une peine plus sévère ou contester une relaxe ou acquittement, qui est le monopole du parquet. Elles ne peuvent faire appel que sur leur action, l’action civile, c’est-à-dire les dommages-intérêts. Parce que la justice n’est pas la vengeance, et que la peine frappe le condamné au nom de la société et non au nom de la victime. Et que leur donner ce droit serait une usurpation des prérogatives de la République par des particuliers, et un cadeau empoisonné. La vérité est terrible : aucune peine, aussi dure fût-elle, ne répare le chagrin de la victime ou de ses proches. Même les familles des victimes dont l’assassin a été condamné à mort et exécuté n’ont jamais ressenti le moindre soulagement de ce fait. Parce qu’une exécution ne répare pas une mort, mais en fait une deuxième. J’ai déjà été confronté à des victimes qui se réfugiaient dans la colère pour échapper à leur douleur. C’est une échappatoire tentante et facile en apparence, mais c’est un cul-de-sac. Une fois la peine définitive tombée, elles se disent que si leur douleur est toujours là, c’est que cette peine est insuffisante, et demeurent à jamais frustrées en se disant que si la peine maximale avait été prononcée, elles ne souffriraient plus. Et si la peine maximale est prononcée, la douleur restant la même, elles se disent que ce maximum n’est pas suffisant. Et ainsi de suite.

Je ne leur jette nullement la pierre, je ne souhaite à personne de connaître ce qu’elles subissent. Mais la douleur ne remplace pas la Raison. Et en faire un argument politique est pour le moins critiquable.

- qu’aucune atteinte aux personnes et aux biens ne reste impunie, car les plaintes classées sans suite sont une invitation à la récidive;

D’un autre côté, une plainte fantaisiste ou infondée (parce que les faits ne constituent pas un délit), doit bien être classée sans suite. Quand les faits sont suffisamment étayés, le parquet n’hésite pas à poursuivre. Mais il n’a pas de temps à perdre à consacrer ses faibles moyens à poursuivre les chimères.

- que les lois nous protègent vraiment des criminels récidivistes ; aujourd’hui, la perpétuité dure 20 ans en moyenne. Même les prédateurs les plus dangereux ont vocation à sortir de prison ;

Bien sûr. Tous les matins, les juges d’application des peines arrivent au bureau en se demandant quel prédateur particulièrement dangereux ils vont pouvoir libérer aujourd’hui. C’est bien connu. D’ailleurs, traditionnellement, le 1er lundi du mois, il demandent aux avocats pénalistes de leur ressort de leur envoyer la liste de leurs clients détenus les plus dangereux pour établir les libérations conditionnelles du mois.

Désolé de faire de l’humour, mais face à ce monceau de sottise, ce n’est que de la politesse.

Plus sérieusement, je rappellerai ici que le meurtre de Jérémy n’a rien à voir avec la récidive puisque Samson G. n’avait aucun antécédent judiciaire, et n’a commis aucun autre meurtre, ni que je sache aucune infraction, depuis sa remise en liberté. Ce sont ici les thèses de l’IPJ qui s’invitent et parasitent la sympathie que vous pourriez éprouver pour Joël Censier.

S’agissant de la récidive, qui est un phénomène très variable selon la nature des faits, voici les chiffres du ministère de la justice, portant sur l’année 2007. Pour les condamnés pour délit, 8,0 % étaient en état de récidive légale, et 26,7 % en simple réitération sur cinq ans, c’est à dire qu’ils avaient déjà été condamnés dans les 5 années précédentes pour des faits de nature différente (par exemple : l’auteur d’un vol déjà condamné pour conduite en état d’ivresse). Ce qui laisse 65,3% de primo-délinquants.

Le taux varie selon les faits : les délits sexuels (agression sexuelle, exhibitionnisme) connaissent parmi les plus bas taux de récidive (moins de 6% en 2004), les délits routiers (conduite en état alcoolique ou en grand excès de vitesse) le plus haut, de l’ordre de 16%, le sommet étant les vols et recel avec près de 30% (chiffres 2004, pdf, lien Google viewer). Les sanctions prononcées sont nettement plus lourdes en cas de récidive ou de réitération, l’emprisonnement ferme qui représente 6,7 % des peines prononcées à l’encontre des primo condamnés, passe à 30 % pour les réitérants et à 50 % pour les seuls récidivistes. Sur les 3 245 condamnés pour crime en 2007, 128 étaient en état de récidive légale soit un taux de récidive de 3,9 %. Ce taux varie selon le type de crime : de 9,5 % pour les vols aggravés à 2,7 % pour les viols (je cite le ministère de la justice).

Les deux tiers des criminels condamnés n’avaient aucun antécédent judiciaire. En somme, méfiez-vous plutôt des honnêtes gens…

- que la justice et les magistrats soient responsables devant les citoyens, parce que leurs décisions sont prises au nom du peuple français ;

C’est oublier que ce sont précisément des citoyens qu’ils jugent. Être responsable devant ceux qu’on juge, est-ce une garantie d’indépendance ? Auriez-vous confiance dans la justice si votre riche adversaire dans son tort pouvait menacer le juge de poursuites s’il ne lui donnait pas raison ? Les magistrats sont responsables, mais cette responsabilité tient compte de leur nécessaire indépendance. J’ai traité ce sujet dans ce billet. Mais il est plus facile pour l’IPJ de laisser entendre que les juges sont irresponsables parce que les justiciables qu’ils condamnent ne peuvent pas se venger par un procès. La complexité, c’est pas le truc de l’IPJ, vous l’aurez compris.

La mise en œuvre de ce Pacte serait un changement considérable pour la protection des citoyens et des victimes.

…parce que….? Ah, non, c’est la fin de la phrase. Ceux qui veulent des explications iront se brosser.

Mais même si ces mesures peuvent vous paraître évidentes, elles n’ont aucune chance d’être reprises par les candidats à la présidentielle et votées dès 2012 si des centaines de milliers de citoyens ne se manifestent pas pour les demander maintenant.

C’est pourquoi je vous demande de cliquer sur le bouton ci-dessous pour signer votre Pacte 2012, puis de transférer ce message à vos amis, votre famille, vos collègues.

Le clic, nouveau paradigme de l’action politique. Cela permettra juste à l’IPJ de revendiquer désormais un million de personnes qui auront été abusées le temps de remplir un formulaire, et qui n’ont aucun moyen de se retirer de leurs fichiers, et de prétendre parler en leur nom.

De notre côté, nous mobilisons d’importants moyens humains et financiers pour : - rassembler des dizaines, des centaines de milliers de signatures ;

Soit des données personnelles collectées en toute illégalité et sans garanties pour les signataires, puisque les mentions imposées par la loi informatique et liberté s’agissant d’un traitement de données nominatif (notamment la désignation de la personne auprès de qui exercer le droit d’accès, de rectification et de retrait) sont absentes du formulaire de signature. Je suis certain que l’IPJ exigera que la loi pénale lui soit appliquée avec autant de rigueur qu’il l’exige pour les autres. Ah. Ah. Je déconne.

- préparer des dossiers précis, justifiant le coût et la faisabilité de chacune de nos réformes, avec des avocats et des juristes spécialisés ;

On aurait pu croire que ce travail avait été fait en amont, ne croyez-vous pas ?

- mobiliser la presse, pour que cette action soit médiatisée le plus largement possible ;

C’est le but de la manœuvre. L’IPJ n’a aucune légitimité dans le milieu universitaire, elle essaie la légitimité médiatique : le fameux “vu à la TV”. Force est de reconnaître qu’il a réussi sur ce point.

- organiser des rencontres officielles avec chaque candidat, pour obtenir leur engagement à mettre en œuvre nos réformes, en cas d’élection.

Marine Le Pen se fera sans nul doute un plaisir de les recevoir.

(…) Au nom de mon enfant, de ma famille, et de mon pays, je vous dis merci.

Non. Votre pays, M. Censier, est aussi le mien, et vous n’avez aucune légitimité pour parler en son nom. Quant à embarquer la mémoire de votre fils mort dans un combat qui ne fut jamais le sien, je ne suis pas sûr que ce soit le meilleur hommage à lui rendre.


PS à mes lecteurs : content de vous retrouver. Vous m’avez manqué.

samedi 20 juin 2009

Mentions Légales

Le Journal d’un avocat est un service de communication au public en ligne édité à titre non professionnel au sens de l’article 6, III, 2° de la loi 2004-575 du 21 juin 2004. Conformément aux dispositions de cet article, son éditeur a choisi de rester anonyme. 

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“Le fait, pour toute personne, de présenter aux[hébergeurs du site] un contenu ou une activité comme étant illicite dans le but d’en obtenir le retrait ou d’en faire cesser la diffusion, alors qu’elle sait cette information inexacte, est puni d’une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.”
 
Et je connais de très bons avocats. Demandez à l’IPJ.
 

RGPD

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Mis à jour le 18 août 2019. Ouais, je fais mes mentions légales en vacances si je veux.

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