Journal d'un avocat

Instantanés de la justice et du droit

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vendredi 24 avril 2009

Le temps des procureurs surpris par la nuit

Hier soir, France culture a diffusé, dans le cadre de son émission "Surpris par la nuit", produite par Alain Veinstein, un documentaire radiophonique intitulé « Le temps des procureurs », disponible à l'écoute sur le site ou en podcast sur iTunes.

Le documentaire radiophonique est un genre particulier, qu'il n'y a plus guère que France Culture à pratiquer, mais qui a son charme. L'image disparaît, remplacée par le son. C'est le bruit d'ambiance qui vous rend l'atmosphère, et cela oblige les intervenants à de la pédagogie, alors que la télévision, toujours beaucoup plus pressée, estime que l'image y pourvoit, ce qui est faux la plupart du temps.

La journaliste Amandine Casadamont a passé une journée dans deux parquets, un énorme et un tout petit : celui de Créteil (dont le ressort couvre tout le Val de Marne, soit un bon quart de la banlieue parisienne, 1.200.000 habitants et un nœud de circulation avec l'aéroport international d'Orly, et le marché de Rungis) et celui de Cambrai, tribunal de grande instance à deux chambres. Le département du Nord compte à lui seul pas moins de 7 tribunaux de grande instance (six après l'ouragan Rachida) contre un seul pour le Val de Marne ; mais la population du département du ch'Nord est de 2.500.000 habitants et surtout il s'étend des rivages de la mer du Nord pour unique terrain vague aux contreforts des Ardennes, soit 200km, contre 20km pour la distance la plus élevée pour le neuf-quatre. Même si à 8 heures du matin, je vous recommande plutôt le trajet Dunkerque-Fourmies que Vincennes-Périgny.

Elle a surtout accompagné les procureurs de permanence : ceux qui reçoivent les informations de placement en garde à vue et donnent les instructions pour les suites à donner au dossier, en fonction des comptes-rendus qui leur sont fait : classement sans suite, enquête de police préliminaire, comparution immédiate, ouverture d'une information. C'est passionnant pour les étudiants en droit qui envisagent l'ENM. Mais vous assisterez aussi à une comparution devant le délégué du procureur, pour une affaire que le procureur a décidé de classer sans suite après un rappel à la loi et le paiement d'une indemnisation à la victime.

Vous allez baigner dans le jargon, qui n'est pas toujours traduit. Si on vous explique les sens des CEA[1], CEI[2], ESI[3], ILA[4], vous entendrez à 1'48" cette phrase mystérieuse : « Je vais lui en parler, si c'est un renvoi à l'info, tu l'ouvriras. » Traduction : un dossier assez grave est en cours de traitement. Le parquet ne sait pas encore ce qu'il va décider, mais l'ouverture d'une instruction avec saisine du juge d'instruction est envisageable. La personne qui parle va donc en référer à la hiérarchie, qui décidera s'il y a lieu de renvoyer l'affaire devant le juge d'instruction pour qu'il effectue une information judiciaire (synonyme d'instruction, on emploie le terme d'information pour éviter la répétition du mot instruction dans la même phrase quand “juge d'instruction” y figure : « une information judiciaire a été confiée à Lulu, juge d'instruction à Saint-Trouperdu-Sur-Nulpar ».). Donc il faut comprendre : « je vais en parler au chef (qui peut être le procureur himself à Cambrai, ou un vice-procureur en charge de la section du traitement en temps réel à Créteil). S'il décide qu'on renvoie le dossier devant le juge d'instruction pour une information judiciaire, c'est toi qui effectueras les formalités d'ouverture de cette information, à savoir le réquisitoire introductif, et le cas échéant le débat contradictoire devant le JLD pour placement sous mandat de dépôt. »

À la 17e minute, vous assisterez impuissants à une splendide nullité de procédure qu'aucun avocat ne pourra soulever. Un procureur, débordé, rappelle un service de police pour une garde à vue dont il est incapable de donner les détails, à commencer par le nom du gardé à vue. Si cette information était tombée dans les oreilles de l'avocat du gardé à vue, il tenait sa nullité : le parquet n'a pas été informé de manière effective dès le début de la mesure puisque le procureur ignore le nom du gardé à vue, le nom de l'officier de police judiciaire en charge de l'enquête, et visiblement la nature des faits. Information tardive du parquet, nullité. Heureusement, l'avocat est soigneusement tenu éloigné de cette phase de la procédure et n'a aucun moyen d'apprendre que les droits fondamentaux de son client n'ont pas été respectés. On a eu chaud, hein ?

Enfin, à la 40e minute, vous aurez un grand classique : un Palestinien sans passeport qui parle très bien le Français avec un fort accent algérien et le lit couramment (on ne vantera jamais assez la qualité du système d'enseignement du Français dans l'Éducation nationale palestinienne). Si on lui demande sa ville de naissance, c'est forcément Gaza. Ne lui en demandez pas plus sur la géographie de son pays ou le nom de la monnaie qui y est utilisée (le Nouveau Sheqel israëlien ou le Dinar jordanien ; informellement le dollar américain).

Vous saurez enfin pourquoi Gascogne est coi pendant plusieurs jours : il est de permanence, car au tribunal de Castelpitchoune, ça tombe plus souvent qu'à Créteil (Sub Lege Veritas, c'est différent : c'est un tire-au-flanc, il a le temps de venir).

Notes

[1] Conduite en état alcoolique.

[2] Conduite en état d'ivresse.

[3] Entrée et Séjour Irréguliers.

[4] Infraction à la Législation sur les Armes.

dimanche 9 mars 2008

Scène de ménage

Je vous avais promis un nouvel exemple de la capacité d'autodérision des américains. La voici.

Jimmy Kimmel est un animateur de télévision, découvert par Comedy Central, qui anime depuis janvier 2003 une émission sur ABC, Jimmy Kimmel Live. C'est un de ces Talk Show passant le soir, comme les américains savent si bien les faire : un animateur assis à un bureau, un invité sur un fauteuil ou un sofa qui vient faire sa promo, avec un orchestre dans un coin qui met l'ambiance et accompagne un invité musical. Mais un animateur plein d'esprit, qui réagit avec humour au tac au tac. David Letterman sur CBS, Jay Leno et Conan O'Brian sur NBC animent des émissions du même genre.

Jimmy Kimmel est le petit ami d'une comédienne, Sarah Silverman, découverte par l'émission dont je vous ai parlé il y a peu, Saturday Night Live. Elle est l'héroïne d'une comédie diffusée sur Comedy Central où elle joue un alter ego fictif qui porte son propre nom, comme en leur temps avaient fait Jerry Seinfeld ou Drew Carrey.

Enfin, Jimmy Kimmel a un gag récurent dans son émission : chaque soir, il la conclut en annonçant qu'il devait recevoir Matt Damon, mais "Désolé, Matt, on n'a plus le temps". C'est une blague récurrente à tel point qu'en décembre 2006, Matt Damon a été effectivement invité de l'émission, mais à peine était-il assis sur le fauteuil de l'invité que Jimmy Kimmel a annoncé que désolé, ils n'avaient plus le temps. Evidemment, c'était un gag fait en accord avec Matt Damon.Pour mes lecteurs qui sortiraient du coma, Matt Damon est un acteur qui a gagné l'oscar du meilleur scénario avec son ami d'enfance Ben Affleck pour le film qui les a révélés, Good Will Hunting, traduit en français par... "Will Hunting". Oui, chères lectrices, il y a des américaines qui ont grandi à Cambridge, Massachusset, dans la même rue que Matt Damon et Ben Affleck. Il n'y a pas de justice dans ce monde, je le sais bien.

Mais je m'égare.

Le 31 janvier dernier, Sarah Silverman est l'invitée de Jimmy Kimmel Live. Jimmy Kimmel, connaissant bien sa petite amie, est visiblement mal à l'aise : il se doute qu'elle a préparé quelque chose. Et effectivement, à un moment de son interview, elle annonce qu'elle a un aveu à lui faire, qu'elle a trop attendu pour lui dire, mais qu'elle attendait une occasion. Et Voici le clip qui fut diffusé. Les sous-titres sont de votre serviteur.

Jimmy Kimmel ne pouvait pas laisser l'affront impuni.

La réplique fut sanglante, et fut diffusée le 24 février dernier. Je vous laisse la découvrir. Les sous-titres commencent à la 28e seconde, je n'ai pas traduit l'annonce des invités de l'émission.

Quand je vous dis que les américains sont de grands gosses.

Notez au passage comment l'auto-censure assumée à coups de [bip] permet paradoxalement une grande liberté de parole. On ne bippe pas sur nos antennes. Imaginez-vous un tel chœur être diffusé en France ?

Non, en France, la censure est plus feutrée, plus hypocrite. L'exemple en est donné par notre ministre de la justice, il faut dire.

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