Non lieu
Par Eolas le mardi 28 août 2007 à 12:20 :: Les leçons de Maître Eolas :: Lien permanent
Un débat s'est engagé en commentaires sous mes billets traitant de la démence sur la pertinence du terme de "non lieu", pouvant être perçu comme : "il ne s'est rien passé, c'est un non événement, ceci n'a pas eu lieu". C'est d'ailleurs ce sens que semble lui donner le président de la République dans une récente allocution.
Pourtant l'absurdité du propos est manifeste : quand un non lieu est prononcé parce que l'auteur des faits était au moment de son acte atteint d'un trouble psychique tel qu'il a aboli son discernement, personne ne dit ni ne laisse entendre que les faits n'ont pas eu lieu.
Et déjà on parle de changer le terme.
Etant de ces naïfs qui croient que quand le peuple ne comprend pas un mot, il ne faut pas le changer mais le lui expliquer, et ainsi l'élever plutôt que s'abaisser, voyons donc ce qu'est en réalité un non lieu.
Le terme vient de l'article 177 du code de procédure pénale (la version du haut, celle du bas entrera en vigueur le 1er janvier 2010).
Nous sommes dans l'hypothèse où une instruction judiciaire a été ouverte, c'est à dire que le procureur ou la personne se disant victime d'un crime ou un délit ont demandé à un juge d'instruction de mener une enquête en toute indépendance (il instruit à charge et à décharge : sa mission est la recherche de la vérité et non de fournir des arguments à celui qui l'a saisi). Il a pour cela des vastes moyens juridiques et des moyens matériels plus modestes. Il a à sa disposition la police judiciaire et la gendarmerie, qu'il peut charger d'enquêter sur le terrain, de rechercher et d'entendre des témoins ; l'acte par lequel il leur confie ces missions s'appelle une commission rogatoire (il commet les policiers pour agir à sa place, en leur priant, en latin rogare, d'accomplir telle et telle diligence qu'il décrit). Il peut interroger lui même les suspects, les victimes et les témoins. Au besoin, il peut restreindre la liberté du suspect, voire l'incarcérer afin de s'assurer qu'il ne s'enfuit pas, ne détruit pas des preuves ou ne fait pression sur les témoins ou la victime elle même. Il peut enfin solliciter des expertises : psychologiques, mais aussi balistiques pour identifier l'arme du crime, autopsie pour déterminer les causes de la mort, génétique pour identifier l'auteur d'un viol, etc...
Quand le juge estime avoir terminé son enquête, il en avise les parties, par courrier ou verbalement à l'issue d'un interrogatoire. Cet avis, qui porte le doux nom "d'article 175", comprendre du Code de procédure pénale, donne 20 jours à ces parties[1] pour demander un acte d'instruction supplémentaire : entendre telle personne pour lui poser telles questions, une contre expertise, faire une confrontation, etc. Le juge accomplit ces actes, ou rend une ordonnance refusant de les accomplir en expliquant pourquoi, ordonnance dont il peut être fait appel. Si aucun acte n'est demandé, ou que les demandes d'acte ont été traitées, l'instruction est close. Toute nouvelle demande d'acte est désormais irrecevable, et le dossier est transmis au parquet. Un procureur, le procureur régleur, va réviser tout le dossier et prendre des réquisitions, généralement très longues, qui disent, pour simplifier :
« L'instruction a établi les faits suivants (suit le récit détaillé avec le renvoi aux pages du dossier sur lesquelles s'appuient la démonstration du procureur). Elle a cerné les éléments suivants sur la personnalité des mis en examen et, éventuellement des parties civiles : (suit le résumé de la situation personnelle des parties, et des éventuelles expertises psychiatriques ou psychologiques). Le parquet en conclut qu'il y a des charges suffisantes contre Untel, Truc et Bidule d'avoir commis telle infraction. Par contre, la participation de Tartempion n'est pas établie. Il demande donc au juge d'instruction de renvoyer Untel Truc et Bidule devant le tribunal correctionnel (ou les mettre en accusation devant la cour d'assises si les faits sont un crime) et de dire n'y avoir lieu à suivre contre Tartempion. »
Ce réquisitoire s'appelle réquisitoire définitif, par opposition au réquisitoire introductif qui a saisi le juge d'instruction au début, et au réquisitoire supplétif qui a élargi sa mission en cours d'instruction si des faits nouveaux ont été découverts.
Rien n'empêche, même si l'usage est rare, aux avocats de déposer également un argumentaire du même type défendant leur point de vue. On ne parle pas de réquisitoire, terme réservé au parquet, mais de conclusions. L'avocat de Tartempion aura intérêt à expliquer pourquoi il estime que son client est hors de cause, l'avocat de la partie civile à exposer pourquoi il estime que les mis en examen doivent bien être jugés. L'idéal est de les déposer dans le délai de 20 jours, afin qu'elles soient jointes au dossier, pour que le procureur régleur en ait connaissance. Ca met un peu de contradictoire là où il n'y en a toujours que trop peu, et on ne peut pas connaître la position du parquet avant qu'il ait requis. Autant essayer de le rallier à son point de vue, car c'est alors un allié de poids.
Une fois que le réquisitoire est revenu avec le dossier, le juge prend à son tour une ordonnance, dite ordonnance de règlement, où il décide des suites à donner à son dossier. Là aussi en toute indépendance même s'il est fréquent qu'il suive purement et simplement les réquisitions du parquet, son ordonnance n'étant qu'un copier-coller des réquisitions, ou y renvoyant purement et simplement par la mention "adoptons les motifs du réquisitoire définitif".
C'est cette ordonnance de règlement qui peut être de non lieu.
Le juge d'instruction, après j'insiste sur ce point, plusieurs pages d'explications détaillées, conclut qu'il n'y a pas lieu de poursuivre une procédure au pénal contre telle personne.
Cela peut résulter de plusieurs causes différentes.
Soit les faits ne sont pas établis ou ne constituent pas une infraction. C'est là que le non lieu se rapproche le plus du mauvais sens donné par notre président. Cela arrive assez fréquemment, les juges d'instructions ayant régulièrement à connaître de plaintes que la courtoisie appelle "de fantaisie". Entre le plombier qui a mal fixé un chauffe-eau, le voisin qui empoisonne par des radiations émises par sa télévision, le concierge qui a volé son ticket gagnant du loto mais sans aller réclamer les fonds, juste pour se venger du locataire du sixième, etc. Il y a aussi des personnes qui peuvent avoir réellement été victimes, mais l'instruction ne parvient pas à établir de preuves (une subornation de témoin, par exemple, le témoin étant devenu la maîtresse de celui pour qui elle a témoigné, mais rien ne prouvant la collusion préalable). Dans ces cas, oui, c'est terriblement douloureux pour les victimes. La justice n'est pas omnipotente, et elle a trouvé ici ses limites, la présomption d'innocence pouvant protéger parfois des coupables.
Soit les faits sont établis, mais l'auteur n'a pu être identifié. C'est ainsi que s'est piteusement terminée le 3 février 2003 l'instruction de l'affaire dite "du petit Grégory".
Soit les faits sont établis, l'auteur identifié, mais les faits sont prescrits car trop anciens.
Soit enfin les faits sont établis, l'auteur identifié, les faits non prescrits mais il y a une cause d'irresponsabilité pénale, dont je vous rappelle la liste : la démence, la contrainte, l'erreur inévitable sur le droit, l'autorisation de la loi et le commandement de l'autorité légitime, la légitime défense, l'état de nécessité, et le défaut de discernement dû au très jeune âge (PAS la minorité, on parle ici d'enfants de moins de 10 ans).
Concrètement, les non lieu pour des causes extérieures à la personne que sont la contrainte (j'ai volé sous la menace d'une arme), l'erreur inévitable sur le droit (j'ai eu une autorisation administrative délivrée par erreur), le commandement de l'autorité légitime (j'ai fait feu sur l'ordre de mon supérieur), la légitime défense (j'ai tiré pour me défendre), et l'état de nécessité (j'ai grillé un feu rouge pour transporter une femme qui accouche à l'hôpital) sont rares. Il faut qu'ils soient particulièrement évidents (Ca arrive pour la légitime défense des forces de l'ordre). Sinon, s'agissant d'une appréciation des faits autant que du droit, les juges d'instruction préfèrent, et c'est compréhensible, renvoyer l'affaire à la juridiction de jugement, en principe collégiale, pour qu'il en soit débattu publiquement, toutes les parties réunies. Peut être que la mise en place des collèges de l'instruction changera cela, mais je pense que les juges d'instruction continueront à estimer que leur rôle n'est pas de trancher sur ces questions de fond, mais de fournir à la juridiction de jugement les éléments lui permettant de décider en connaissance de cause.
En revanche, l'irresponsabilité pénale et le défaut de discernement sont généralement établis lors de l'instruction, par des expertises pour la première et le dernier. Renvoyer un dément devant une juridiction de jugement, ou pire encore un jeune enfant, étant un traumatisme inutile, c'est à ce stade de l'instruction que la décision est le plus utilement prise.
Comme vous le voyez, un non lieu n'est pas un couperet qui tombe du ciel, sous forme d'une lettre sèche et brève. Il est rendu à l'issue d'une instruction qui a duré plusieurs mois, que les parties civiles ont pu suivre par l'intermédiaire de leur avocat et sur laquelle elles ont pu agir par des demandes d'actes, et prend la forme d'une ordonnance longuement motivée s'appuyant sur les éléments concrets du dossier dont chacun a pu être contesté. Enfin, ce non lieu peut être contesté par la voie de l'appel, mais si tous les experts ont conclu de la même façon, l'appel est illusoire.
Enfin, dernier point important : un non lieu n'est pas aussi définitif qu'une décision de relaxe ou d'acquittement (Rappel : il s'agit dans les deux cas d'un jugement de non culpabilité ; la relaxe est prononcée par le tribunal de proximité, de police ou correctionnel, l'acquittement par la cour d'assises) : une instruction conclue par un non lieu peut être réouverte en cas de découverte de faits nouveaux, mais seulement par le procureur de la République (à la demande de la victime, par exemple). Seule condition : que la réouverture ait lieu dans le délai de prescription (trois ans pour un délit, dix pour un crime), délai qui court à compter de la date de l'ordonnance de non lieu ou de l'arrêt de la chambre de l'instruction le confirmant.
Ainsi, dans l'hypothèse, soulevée par un commentateur, du simulateur assez brillant pour se faire passer pour un dément auprès d'experts psychiatres et qui bénéficie d'un non lieu, puis sort après quelques mois en hôpital psychiatrique, si on peut établir la simulation (soit que le faux dément s'en vante ouvertement, soit que les médecins de l'hôpital remarquent la supercherie puisque le faux dément n'a plus d'intérêt à continuer à simuler s'il veut sortir), il s'agira d'un fait nouveau pouvant fonder la réouverture de l'instruction. Mais là, on entre plus dans le domaine des fictions de TF1 (où les méchants sont aussi intelligents que méchants et que mauvais acteurs) que dans la réalité.
Notes
[1] ...qui sont les mis en examen et les témoins assistés, terme trompeur car il s'agit dans les deux cas de suspects, et les parties civiles, personne se prétendant directement victimes de l'infraction.
Commentaires
1. Le mardi 28 août 2007 à 13:19 par v_atekor
2. Le mardi 28 août 2007 à 13:21 par Mani (phane de marguerite)
3. Le mardi 28 août 2007 à 13:39 par v_atekor
4. Le mardi 28 août 2007 à 13:43 par Raphael
5. Le mardi 28 août 2007 à 13:48 par Jar0d
6. Le mardi 28 août 2007 à 13:53 par PEB
7. Le mardi 28 août 2007 à 14:12 par Armand
8. Le mardi 28 août 2007 à 14:13 par koz
9. Le mardi 28 août 2007 à 14:13 par Isorni des bacs à sable
10. Le mardi 28 août 2007 à 14:29 par Salomon Ibn Gabirol
11. Le mardi 28 août 2007 à 14:35 par Jar0d
12. Le mardi 28 août 2007 à 14:35 par Neville
13. Le mardi 28 août 2007 à 14:38 par Jar0d
14. Le mardi 28 août 2007 à 15:01 par Mani (phane de marguerite)
15. Le mardi 28 août 2007 à 15:12 par David
16. Le mardi 28 août 2007 à 15:13 par Salomon Ibn Gabirol
17. Le mardi 28 août 2007 à 15:15 par Raramel
18. Le mardi 28 août 2007 à 15:15 par koz
19. Le mardi 28 août 2007 à 15:18 par koz
20. Le mardi 28 août 2007 à 15:25 par PEB
21. Le mardi 28 août 2007 à 15:30 par daniel40
22. Le mardi 28 août 2007 à 15:32 par arbobo
23. Le mardi 28 août 2007 à 15:38 par vanille
24. Le mardi 28 août 2007 à 15:43 par draft bold
25. Le mardi 28 août 2007 à 15:52 par draft bold
26. Le mardi 28 août 2007 à 15:55 par Jar0d
27. Le mardi 28 août 2007 à 15:59 par Ahuizotl
28. Le mardi 28 août 2007 à 16:10 par Clément
29. Le mardi 28 août 2007 à 16:14 par daniel40
30. Le mardi 28 août 2007 à 16:33 par Schmorgluck
31. Le mardi 28 août 2007 à 16:54 par PAF, le chien !
32. Le mardi 28 août 2007 à 17:13 par David
33. Le mardi 28 août 2007 à 17:13 par Glyg
34. Le mardi 28 août 2007 à 17:20 par adrastee
35. Le mardi 28 août 2007 à 17:36 par PEB
36. Le mardi 28 août 2007 à 17:36 par La Vieille
37. Le mardi 28 août 2007 à 17:47 par Nicolas
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39. Le mardi 28 août 2007 à 19:13 par Marie Laure Fouché
40. Le mardi 28 août 2007 à 19:21 par Hervée
41. Le mardi 28 août 2007 à 19:29 par Hervée
42. Le mardi 28 août 2007 à 19:32 par bardabu
43. Le mardi 28 août 2007 à 19:34 par Raph
44. Le mardi 28 août 2007 à 20:08 par Sans pseudo
45. Le mardi 28 août 2007 à 20:20 par Mani (Huguette admirer)
46. Le mardi 28 août 2007 à 20:36 par Nicolas
47. Le mardi 28 août 2007 à 20:42 par Le Chevalier Bayard
48. Le mardi 28 août 2007 à 20:46 par Marie Laure Fouché
49. Le mardi 28 août 2007 à 20:47 par Tehem
50. Le mardi 28 août 2007 à 21:06 par PAF, le chien !
51. Le mardi 28 août 2007 à 22:02 par Jar0d
52. Le mardi 28 août 2007 à 22:05 par draft bold
53. Le mardi 28 août 2007 à 22:22 par Victoire
54. Le mardi 28 août 2007 à 22:39 par PAF, le chien !
55. Le mardi 28 août 2007 à 22:57 par ballinette
56. Le mardi 28 août 2007 à 22:58 par bayonne
57. Le mardi 28 août 2007 à 23:00 par ballinette
58. Le mardi 28 août 2007 à 23:04 par ballinette
59. Le mardi 28 août 2007 à 23:05 par PAF, le chien !
60. Le mardi 28 août 2007 à 23:12 par David
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62. Le mardi 28 août 2007 à 23:29 par gros chat
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80. Le mercredi 29 août 2007 à 12:57 par Le Chevalier Bayard
81. Le mercredi 29 août 2007 à 13:25 par Thaïs
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87. Le mercredi 29 août 2007 à 20:43 par Shadoko
88. Le mercredi 29 août 2007 à 23:21 par gros chat
89. Le jeudi 30 août 2007 à 01:41 par Filinte
90. Le jeudi 30 août 2007 à 07:17 par ecrivateur
91. Le jeudi 30 août 2007 à 09:43 par alouette
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99. Le vendredi 31 août 2007 à 16:53 par Nicolas
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