Mariage homosexuel : la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux putatifs
Par Eolas le mercredi 14 mars 2007 à 11:21 :: Commentaire judiciaire :: Lien permanent
Par un bref et lapidaire arrêt, la première chambre civile de la cour de cassation a rejeté le pourvoi formé par les époux putatifs dans la fameuse affaire du mariage homosexuel de Bègles.
- Pardon, Maître...
- Oui, ma lectrice bien-aimée[1] ?
- Que veut dire donc ce mot de putatif que vous employâtes à deux reprises, accolé au mot "mariage" ?
- Le mariage putatif, chère lectrice, est dit du mariage annulé en justice mais qui, par un adoucissement jurisprudentiel, continue à produire certains effets de droit. Par exemple, les enfants nés dans un mariage annulé n'en restaient pas moins légitimes, à l'époque à présent révolue, mais pas depuis si longtemps, ou on distinguait les filiations légitimes, naturelles et adultérines. Je ne puis appeler les époux de Bègles époux : l'annulation du mariage me le prohibe. Si j'ajoute l'épithète putatif, je respecte la loi et leur rends néanmoins le titre d'époux pour lequel ils se sont tant battus. Puisqu'ils se sont battus pour le symbole, je leur offre une victoire symbolique.
- Je reconnais bien là votre délicatesse qui a fait votre réputation sur Technorati. Mais continuez, continuez, je bois vos paroles.
- Alors, Je tâcherai de vous enivrer sans vous soûler. C'est donc la première chambre civile de la cour de cassation qui a statué, chambre qui tient ses audiences les mardi et mercredi, et qui est compétente entre autres pour les affaires relevant de l'état des personnes. Deux arguments étaient soulevés contre l'arrêt de la cour d'appel de Bordeaux, que j'avais déjà commenté en son temps.
- Oui, je m'en souviens fort bien. La modestie vous fait taire le fait que vous aviez annoncé cette nullité avant même que le mariage ne soit célébré, nous gratifiant à cette occasion d'un jeu de mot qui a fait la réputation de votre blog dans toutes les salles de garde de l'Assistance Publique.
- Tout cela ne nous rajeunit pas. Et bien, apportons une nouvelle pierre à l'édifice, qui ne sera toutefois pas la dernière.
- Et comment cela ? Le Monde annonce pourtant que la cour de cassation a définitivement annulé le mariage de Bègles ?
- Le Monde va un peu vite en besogne, même si l'avenir lui donnera probablement raison. Mais chaque chose en son temps : voyons ce qui a été dit, avant de voir ce qui sera fait. Les époux putatifs soulevaient donc deux arguments, que l'on appelle des moyens de cassation en procédure civile. Le premier moyen, cité en italique dans le texte de l'arrêt, visait à dénier au procureur de la République de Bordeaux le droit de demander au tribunal de grande instance de cette ville d'annuler ce mariage.
- Ha ? Et pourquoi n'aurait-il pu ?
- Parce que, arguaient nos mariés éphémères, l'article 184 du Code civil permet au ministère public d'agir en nullité d'un mariage quand celui-ci a violé l'un des articles du Code civil énuméré par ce même article 184, soit portant sur la condition d'âge des époux, le défaut de consentement de l'un des époux, l'absence physique de l'un des époux à la célébration, la bigamie, et la trop proche parenté. Or ici, aucun de ces cas de nullité n'était invoqué par le ministère public.
- Le moyen semble sérieux.
- Il succombe néanmoins, la cour de cassation relevant que le ministère public avait fait opposition à ce mariage, et qu'il a été néanmoins célébré par l'officier d'état civil : dès lors que ce mariage a été célébré illégalement malgré la voie de droit employée par le parquet, le parquet tirait de l'article 423 du nouveau code de procédure civile qualité à agir pour atteinte à l'ordre public.
- Ainsi, c'est le maire qui a célébré la noce qui a donné par son comportement les moyens au ministère public de la faire annuler ? La morale ne semble pas froissée par cette solution.
- Peu me chaut : le droit ne l'est point, et c'est ce qui compte à mes yeux ; quant à ce qui compte à mon coeur, cela n'a point sa place dans un prétoire.
- J'aime quand vous faites votre bourru. Vous n'êtes pas crédible, mais c'est mignon. Et quel était le second moyen ?
- Vous parlez déjà comme un avocat aux Conseils, chère amie ! Le deuxième moyen se divisait en cinq arguments, qu'on appelle des branches (le premier moyen se divisait ainsi en deux branches : d'une part, violation de l'article 184 du Code civil et d'autre part, violation de l'article 423 du nouveau Code de procédure civile). Ce moyen est le plus intéressant car il porte au fond du droit, et non sur la recevabilité de l'action. Voici les cinq arguments des époux putatifs :
- Le Code civil ne mentionne nulle part expressément la condition de différence de sexe.
- Refuser le mariage aux personnes de même sexe porte atteinte à leur droit à une vie privée et familiale normale protégée par l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme (CEDH) et constitue une discrimination fondée sur le sexe prohibée par l'article 14 de la même convention.
- Exclure les coupes homosexuels car ils ne seraient pas naturellement féconds contrevient au droit au mariage protégé par l'article 12 de cette même convention et constitue une discrimination fondée sur le sexe prohibée par l'article 14 (notons que cet argument n'a à aucun moment été retenu par la cour d'appel de Bordeaux).
- L'article 12 de la CEDH protège le droit au mariage de l'homme et de la femme, sans exiger que les deux époux soient nécessairement de sexe différent, dès lors la décision de la cour d'appel viole les articles 12 et 14 de la CEDH (notons que la jurisprudence de la cour européenne des droits de l'homme dit expressément le contraire).
- Enfin, la position de la cour d'appel de Bordeaux violerait l'article 9 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne[2], qui ne vise aucunement une condition de sexe.
- Tiens ? Cette Charte est en vigueur ?
- Et non, chère lectrice, car un couple de pays de l'Union dont je tairai le nom a rejeté le Traité portant Constitution pour l'Europe qui l'intégrait dans le droit européen, dans la fameuse deuxième partie. Et figurez vous que presque deux ans après, il en est qui chantent encore victoire.
- Le goût de certains pour l'absence de garanties de leurs droits me laisse sans voix.
- Nul n'est plus prisonnier que l'esclave heureux de son sort, ma chère. La cour de cassation rejette en bloc cette argumentation, en posant lapidairement que « selon la loi française, le mariage est l’union d’un homme et d’une femme ; que ce principe n’est contredit par aucune des dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui n’a pas en France de force obligatoire ».
- La cour de cassation a beau avoir un nom féminin, je ne la trouve pas bavarde.
- C'est une vieille tradition. Mais il est néanmoins aisé de comprendre. Le mariage est l'union d'un homme et d'une femme : ici, la cour de cassation interprète le droit, comme c'est sa mission première. Elle pose clairement que selon le Code civil actuel, le mariage s'entend de l'union de l'homme et de la femme.
- Et d'où sort-elle ce sens ?
- Du dictionnaire. Ce n'est pas à la cour de cassation de changer le sens des mots, c'est au législateur de changer les mots.
- Et sur les arguments tirés de la CEDH ?
- La Cour européenne des droits de l'homme refuse de faire du droit au mariage entre personnes du même sexe un droit protégé par l'article 12. Son interprétation est pour le moment que le mariage s'entend de l'union de l'homme et de la femme. Si un pays veut légaliser une telle union, libre à lui, bien sûr. Mais la cour refuse de l'imposer aux pays ayant ratifié la convention.
- Qu'en conclure ?
- Que le législateur ne peut plus se défausser sur les juges. C'est à lui de modifier la loi ou d'expliquer pourquoi il s'y refuse. Bref, le débat doit avoir lieu au parlement et non dans la prétories. Cela tombe bien, les législatives, c'est dans trois mois.
- Me permettez-vous une question ?
- Une, dix, cent ou mille, je suis votre serviteur.
- Galant homme. Vous disiez que cette pierre n'était pas la dernière ?
- Non, en effet. Nos déboutés peuvent porter l'affaire devant la cour européenne des droits de l'homme, puisqu'ils ont invoqué devant les tribunaux français la violation d'au moins un des articles de la CEDH. Ils ont six mois pour ce faire.
- Et qu'adviendra-t-il ?
- Ils seront très probablement déboutés. La cour a une position claire sur la question de l'article 12. Mais si la cour revirait de jurisprudence, tout pourrait recommencer.
- Comment cela ?
- La loi française prévoit une possibilité de demander la révision d'un procès à la suite d'une condamnation de la France pour violation de la CEDH. La mariage de Bègles n'est donc pas définitivement mort. Même si je ne parierais pas grand chose sur lui.
- Merci, cher Maître. Je vous quitte édifiée.
- Chère Madame, je suis le plus heureux des architectes.
Notes
[1] Qu'il soit permis à votre serviteur, à l'instar de Pierre de Siorac, la fantaisie de s'imaginer lu par une lectrice plutôt qu'un lecteur, quand bien même mes lecteurs du sexe forts sont ici fort bienvenus.
[2] Le droit de se marier et le droit de fonder une famille sont garantis selon les lois nationales qui en régissent l'exercice.
Commentaires
1. Le mercredi 14 mars 2007 à 12:33 par Miaou
2. Le mercredi 14 mars 2007 à 12:46 par Flolivio
3. Le mercredi 14 mars 2007 à 12:52 par Laure
4. Le mercredi 14 mars 2007 à 12:52 par B
5. Le mercredi 14 mars 2007 à 13:26 par Largentula
6. Le mercredi 14 mars 2007 à 13:46 par Rutrapio
7. Le mercredi 14 mars 2007 à 13:47 par Candide
8. Le mercredi 14 mars 2007 à 13:59 par PsychoGun
9. Le mercredi 14 mars 2007 à 14:08 par Anne
10. Le mercredi 14 mars 2007 à 14:25 par schloren
11. Le mercredi 14 mars 2007 à 14:31 par Amndine P.
12. Le mercredi 14 mars 2007 à 14:43 par Authueil
13. Le mercredi 14 mars 2007 à 15:10 par Damocles
14. Le mercredi 14 mars 2007 à 15:12 par Makura
15. Le mercredi 14 mars 2007 à 15:21 par Hervé
16. Le mercredi 14 mars 2007 à 15:39 par ff
17. Le mercredi 14 mars 2007 à 15:41 par plumette
18. Le mercredi 14 mars 2007 à 15:50 par Raph
19. Le mercredi 14 mars 2007 à 15:50 par Marie
20. Le mercredi 14 mars 2007 à 16:29 par ff
21. Le mercredi 14 mars 2007 à 16:46 par plumette
22. Le mercredi 14 mars 2007 à 17:07 par Yogi
23. Le mercredi 14 mars 2007 à 17:23 par thyphaine
24. Le mercredi 14 mars 2007 à 17:31 par Henri
25. Le mercredi 14 mars 2007 à 18:45 par Gannet
26. Le mercredi 14 mars 2007 à 19:10 par Belddoc
27. Le mercredi 14 mars 2007 à 22:51 par Laurent
28. Le mercredi 14 mars 2007 à 23:17 par plume d'oie
29. Le mercredi 14 mars 2007 à 23:35 par dadouche
30. Le jeudi 15 mars 2007 à 01:42 par Erwan
31. Le jeudi 15 mars 2007 à 09:49 par Laurent
32. Le jeudi 15 mars 2007 à 11:55 par PEB
33. Le jeudi 15 mars 2007 à 12:48 par MMC
34. Le jeudi 15 mars 2007 à 12:53 par Yann
35. Le jeudi 15 mars 2007 à 17:07 par Kazar
36. Le jeudi 15 mars 2007 à 19:01 par Mathieu / Mateo
37. Le jeudi 15 mars 2007 à 20:46 par Jerome
38. Le jeudi 15 mars 2007 à 22:49 par Upsilon
39. Le jeudi 15 mars 2007 à 22:55 par Upsilon
40. Le vendredi 16 mars 2007 à 12:53 par m.anuel
41. Le vendredi 16 mars 2007 à 14:46 par Mathieu / Mateo
42. Le samedi 17 mars 2007 à 13:09 par Vincent Ramos
43. Le samedi 17 mars 2007 à 15:38 par antistress
44. Le dimanche 18 mars 2007 à 06:47 par Le Chevalier Bayard
45. Le dimanche 18 mars 2007 à 13:42 par antistress
46. Le mardi 20 mars 2007 à 01:12 par ff
47. Le mardi 20 mars 2007 à 04:37 par Le Chevalier Bayard
48. Le mardi 20 mars 2007 à 19:14 par Le Chevalier Bayard
49. Le mardi 20 mars 2007 à 19:39 par Le Chevalier Bayard
50. Le mercredi 25 avril 2007 à 23:39 par Ouf
51. Le vendredi 27 avril 2007 à 22:29 par Ouf
52. Le lundi 28 mai 2007 à 17:32 par Arthur Rainbow