Soyez le JLD : les délibérés
Par Eolas le lundi 20 février 2006 à 10:53 :: Soyez le juge :: Lien permanent
Merci à tous ceux qui ont joué le jeu, y compris et surtout aux magistrats qui ont pris la peine de motiver leur décision non sans humour. Ce qui se passe dans la tête d'un juge est une question presque métaphysique pour les avocats, et cette brève visite de votre occiput me paye largement de ma peine.
Avant de lever le voile, quelques mots.
Le but de cet exercice n'était pas de deviner ce qui a été prononcé. C'est un jeu de rôle, donc sans gagnant ni perdant.
L'objectif, que nombre d'entre vous ont deviné, était de vous faire chausser les souliers inconfortables du JLD et de réaliser à quel point prendre une telle décision était difficile, source de cas de conscience, bien loin de l'arbitraire de monstres froids qu'on aime bien invoquer ces temps-ci.
Une autre fausse impression que je souhaite dissiper serait celle de la loterie judiciaire. En effet, vous le verrez les décisions rendues sont parfois bien différentes de celles proposées par des magistrats ayant joué le jeu (En fait, dans un cas, c'est même exactemement le contraire sur les quatre cas). Mais il faut garder à l'esprit que j'ai raconté ces cas sur la base des notes que j'ai pu prendre au cours des débats, tandis que les trois intervenants au vrai débat (le procureur, l'avocat et le juge) avaient, eux, accès à un dossier qui faisait de trente à plusieurs centaines de pages selon les cas, dont les éléments pouvaient nourrir la réflexion du juge. De plus, ils avaient le mis en examen face à eux : le ton de sa voix, son attitude générale, sont des éléments qui influent le juge. En cas de divergence, la prudence exige d'estimer que la vraie décision était la bonne - sauf à mon avis dans un des cas.
sDe plus, ces affaires ont toutes été examinées avant le deuxième procès d'Outreau, donc avant que n'éclate cette affaire. L'avocat de Monsieur Vert n'a donc pas fait allusion à ce dossier dans sa vraie plaidoirie, c'est un ajout de ma part, mais aujourd'hui, j'imagine mal que cet argument n'eût pas été employé (il est utilisé à toutes les sauces au point d'avoir d'ores et déjà perdu sa force). Les JLD ont statué avant le traumatisme, à une époque où la mode était plutôt de châtier les délinquants et de punir les juges qui remettaient en liberté. Oui, la justice est contingente, elle est influencée par la société et les circonstances, et c'est pourquoi il est inacceptable que des hommes politiques exercent des pressions, dans un sens comme dans l'autre, parce que ces pressions intéressées ne sont pas sans effet.
Un mot sur la détention provisoire : certains d'entre vous ont proposé deux mois ou six mois de détention provisoire. Vous ne pouvez pas : le mandat de dépôt est de quatre mois en matière correctionnelle, un an en matière criminelle. La remise en liberté peut être sollicité à tout moment, ordonnée d'office par le juge, et vous sera éventuellement soumise si le juge d'instruction refuse une demande du détenu ou de son avocat. En prononçant une durée fixe, vous prononcez en fait une peine et vous sortez de votre position de JLD. Quelle que soit votre opinion sur le dossier, elle n'importe pas car elle ne vous est pas demandée. Un juge ne statue que sur ce qu'on lui demande de trancher, c'est une règle fondamentale, essentielle, de ses fonctions. Et elle est scrupuleusement respectée.
Enfin, vous connaîtrez la frustration du JLD : je ne puis vous dire si les mis en examen étaient ou non coupables ni à quelle peine ils ont été condamnés. Sauf dans les petits tribunaux, les JLD ne peuvent pas matériellement suivre un dossier. La pile qui leur est amenée tous les jours étouffe de toutes façons rapidement leur curiosité.
Mais il suffit : la porte du cabinet s'ouvre, l'imprimante laser mouline et crache ses ordonnances à la suite, il est temps de connaître la décision du juge pendant que la greffière tamponne et signe frénétiquement les pages.
- Monsieur Violensky :
Monsieur Violensky a été placé sous contrôle judiciaire avec comme obligations :
- Remise du passeport ;
- S'abstenir d'entrer en relation avec son employé et les victimes ;
- Consigner la somme de 15.000 euros en 24 versements, 23 de 150 euros le solde pour le 24e versement, sur cette somme 3000 euros garantissant la représentation de Monsieur Violensky (il les récupérera s'il est présent à tous les actes de l'instruction et à son procès) et 12.000 pour indemniser les victimes (elles pourront toucher ces somems en cours d'instruction) ;
- Répondre aux convocations du service de controle judiciaire ;
- Justifier de la réalité de ses activités professionnelles ;
- Informer le juge de ses déplacements hors de la région ;
- Ne pas sortir du territoire métropolitain sans autorisation préalable du juge.
La décision a été limite, le JLD l'a souligné à Monsieur Violensky (dont l'avocat rougissait de plaisir), le critère déterminant ayant été l'indemnisation de la victime et non la vie de famille de Monsieur Violensky (merci à ce JLD d'avoir explicité sa décision au nom de mes lecteurs). Pour la petite histoire, Monsieur Violensky a passé quatre jours en détention, son avocat ayant, lors de la première comparution de son client, sollicité un délai pour préparer la défense et réunir les justificatifs professionnels et de propriété de la maison. Il a fort bien fait, à mon avis.
- Arthur et Marc Montenlair.
Détention provisoire pour tous les deux, en raison des investigations devant être menées et du risque de concertation. Outre le receleur, le JLD a émis des doutes sur le fait que les montenlair n'étaient effectivement que deux dans cette opération et que leur soeur était totalement étrangère aux faits. Il a préféré donner raison au juge d'instruction qui voulait pouvoir mener des investigations complémentaires sans risques pour l'enquête.
- Amélie Gatépouri.
Ce dossier m'a paru intéressant car la personnalité de la mise en examen est une vraie provocation au mandat de dépôt, tant elle peut mettre en colère par l'insouciance manifeste, le caractère répété des actions délictuelles et leur aspect manifestement ludique ou lucratif sans être fondé sur un besoin de subsistance. Beaucoup d'entre vous ont d'ailleurs prononcé un mandat de dépôt pour lui faire les pieds. Mais là était le piège : c'est en réalité vous mettre à la place du juge répressif, celui qui prononcera la peine, et qui pour ce faire aura à sa disposition un dossier d'instruction plus complet que le vôtre. C'est là qu'est le plus apparu le travers de prononcer une peine et non une mesure strictement nécessaire à l'instruction.
Mademoiselle Gatépouri a été placée sous contrôle judiciaire avec une simple obligation de pointage et de justifier une formation ou un emploi (puisque son oisiveté semble être propice au passage à l'acte). Le JLD ne pouvait prononcer une interdiction de rencontrer les autres mis en cause puisqu'ils n'étaient pas identifiés. Mais j'ai du mal à imaginer qu'une fois renvoyée devant le tribunal correctionnel, elle échappe à une peine ferme qui entrainera de plus la révocation de son sursis simple, et un fort risque de révocation de ses sursis avec mise à l'épreuve si elle ne s'y est pas scrupuleusement conformée : le JAP ne lui fera pas de cadeau. Ca sent la paillasse pour Amélie. Mais la justice procédera normalement.
- Prosper Vert
Mandat de dépôt. En l'espèce, l'antécédent d'exhibition sexuelle et les propos de la mère, si hostile à sa fille, ont fait craindre au JLD des pressions de la part du mis en examen qui semblait exercer sur elle une certaine emprise. Cette affaire illustre à mon sens l'état d'esprit qui existait bien souvent avant l'Affaire dont le nom m'échappe : atteinte sexuelle sur mineure = détention provisoire, sous la forte pression du parquet. L'avocat de permanence qui s'est occupé de ce dossier était fort mécontent et était décidé à faire appel de cette décision, et il avait raison à mon sens. Il n'est pas impossible que la chambre de l'instruction soit revenue sur ce mandat, tant on était limite pour toutes les raisons que vous avez exposées dans vos décisions. Il y avait matière à débat. Et je me demande si ce dossier serait considéré de la même façon aujourd'hui. Ce dosier limite m'a paru un bon cas pratique.
L'audience est levée (bien que cette phrase ne soit jamais prononcée dans le cabinet d'un JLD, c'est plutôt "vous pouvez disposer" adressé à l'escorte).
Commentaires
1. Le lundi 20 février 2006 à 11:16 par andrem
2. Le lundi 20 février 2006 à 11:55 par Guignolito
3. Le lundi 20 février 2006 à 12:31 par dadouche
4. Le lundi 20 février 2006 à 13:44 par loz
5. Le lundi 20 février 2006 à 13:53 par Pierre
6. Le lundi 20 février 2006 à 13:59 par Judge Dredd - Avocat provincial
7. Le lundi 20 février 2006 à 14:03 par yann
8. Le lundi 20 février 2006 à 14:07 par dadouche
9. Le lundi 20 février 2006 à 14:24 par DD
10. Le lundi 20 février 2006 à 15:01 par Alain
11. Le lundi 20 février 2006 à 16:03 par yann
12. Le lundi 20 février 2006 à 16:04 par Guignolito
13. Le lundi 20 février 2006 à 16:28 par dadouche
14. Le lundi 20 février 2006 à 16:54 par yann
15. Le lundi 20 février 2006 à 16:56 par Guignolito
16. Le lundi 20 février 2006 à 16:57 par Guignolito
17. Le lundi 20 février 2006 à 18:38 par Bruno
18. Le lundi 20 février 2006 à 19:34 par Le musicien
19. Le lundi 20 février 2006 à 21:12 par Paul
20. Le lundi 20 février 2006 à 21:43 par Fred
21. Le lundi 20 février 2006 à 21:58 par Judge Dredd - Avocat provincial
22. Le mardi 21 février 2006 à 01:21 par Vonric
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25. Le mardi 21 février 2006 à 09:26 par Parayre
26. Le mardi 21 février 2006 à 09:28 par Le Chat
27. Le mardi 21 février 2006 à 10:22 par yann
28. Le mardi 21 février 2006 à 13:43 par dadouche
29. Le mardi 21 février 2006 à 15:27 par Paul
30. Le mardi 21 février 2006 à 20:59 par Le musicien
31. Le mardi 21 février 2006 à 22:58 par dadouche
32. Le mercredi 22 février 2006 à 22:19 par yann