Adoption du projet de loi anti-terroriste
Par Eolas le vendredi 25 novembre 2005 à 13:41 :: Actualité du droit :: Lien permanent
L'Assemblée va donc adopter dans une quasi unanimité républicaine le projet de loi « relatif à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers », seuls les Verts allant voter contre.
A l'heure où le parlement adopte en deux temps trois mouvements une loi maintenant un état d'urgence pendant trois mois, et ce trois jours après que les émeutes le motivant ont pris fin, des nouvelles règles d'exception et aggravations de la répression vont être rapidement adoptées.
Je respecte la représentation nationale, et pense que la lutte contre le terrorisme est effectivement un enjeu majeur. Mais malgré tout, je ressens une profonde amertume, et sur un point précis, une profonde colère.
Amertume à lire les atteintes aux libertés que le parlement consent avec enthousiasme : l'état d'exception devient la règle, les libertés sont rognées au nom de la sécurité ; sur cet aspect, le point va aux terroristes.
Témoin cette désolante entrée en matière de l'exposé des motifs :
L'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen dispose que « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l'oppression. »
A l'heure où la menace terroriste pèse sur la France, l'intérêt national commande de mieux assurer le droit à la sûreté, dans le respect des libertés.
Le respect des libertés est évidemment un vœu pieu puisque la loi ne va faire que les rogner. Mais oser invoquer la déclaration de 1789 pour justifier des mesure de police, la raison défaille.
Qu'est ce que la sûreté que les révolutionnaires ont ainsi érigée en droit suprême et sacré ? Certainement pas la sécurité comme on l'entend aujourd'hui au sens de : des caméras partout, les oreilles de la police qui traînent, le moindre fait et geste des citoyens photographié, enregistré, conservé. La sûreté est la protection de l'individu contre l'arbitraire de l'autorité. Le refus de l'emprisonnement discrétionnaire, des fameuses lettres de cachet, la garantie d'une égale protection de la loi et que la situation juridique de chacun est connue ou prévisible. Ce genre de lois, et la fréquence frénétique avec laquelle le législateur en adopte, comme si le journal officiel pouvait effrayer un Ben Laden, est à l'opposé de la sûreté.
Comme un tel projet repose sur la peur, il faut ressortir les clichés, et notamment la tarte à la crème de tous les textes publics et proclamations grandiloquentes :
Car la France n'est pas à l'abri d'attaques similaires à celles survenues à New York et Washington (septembre 2001), Madrid (mars 2004) et Londres (juillet 2005). La mondialisation des échanges et le perfectionnement des technologies de l'information et de la communication aggravent la menace. La volonté de destruction des terroristes y trouve de nouvelles voies d'expression.
La mondialisation, toujours elle. Elle a bon dos, que ce soit pour voter non à un référendum, justifier une politique économique protectionniste et interventionniste aux effets désastreux, et maintenant, pour nous filer le train au cas où. Mondialisation, société de l'information, onze septembre, Madrid et Londres. Belle enfilade de clichés. L'implication de ces deux derniers pays dans la guerre en Irak, contrairement à la France, n'est en revanche pas considéré comme pertinent. Le but n'est pas d'analyser, mais d'inquiéter.
Alors, que prévoit-il ce projet de loi, pour faire trembler Al Qaeda et ses séides dans leurs babouches ?
• L'extension de la vidéosurveillance, car rien n'effarouche plus un kamikaze qu'une caméra vidéo.
• L'obligation pour les fournisseurs d'accès à internet de conserver les données de connexion comme les opérateurs de téléphonie. Admirons au passage cette phrase « La problématique des « cybercafés » est d'offrir des accès à l'internet sans ménager de possibilités d'identifier les clients, ni de cerner les connexions individuellement » (exposé des motifs). Le ministre de l'intérieur de la République populaire de Chine ne pense pas autre chose...
• La possibilité pour la police d'accéder et de recouper les fichiers des compagnies aériennes : achat des billet et aussi enregistrement pour embarquement. Prenez l'avion, vous paierez la taxe Chirac ET serez fiché à la Direction nationale antiterroriste...
• L'installation de dispositifs de contrôle automatisés qui, automatiquement, lisent les plaques des voitures, prennent en photo le conducteur et les passagers, et conservent ces données huit jours.
• L'accès par la police antiterroriste aux fichiers des plaques d'immatriculation, permis de conduire, cartes d'identité, passeports, demandes de visas, titres de séjour, non-admissions sur le territoire.
• L'aggravation des infractions de terrorisme (car un kamikaze sera effrayé par la perspective d'être puni de 20 années de réclusion criminelle), dont l'association de malfaiteurs à caractère terroriste qui voit sa peine doublée (de 10 à 20 ans), qui du coup ressortit de la cour d'assises, ce qui ne va pas nécessairement faciliter la répression.
• La possibilité pendant quinze ans de revenir sur l'acquisition de la nationalité française par une personne condamnée pour terrorisme, contre dix maintenant.
• Enfin et surtout LA mesure qui va amener les fous d'Allah à la rémission et entraîner des redditions en masse : la possibilité pour les préfets d'interdire de stade l'auteur de violences dans ou à proximité d'une enceinte sportive (amendement n°81, 2e rectification, adoptée en séance hier après midi). Car s'il est un endroit où les islamistes intégristes sont légion, c'est bien dans la tribune Boulogne du Parc des Princes un soir de match.
Voilà pour l'amertume.
Mais là où elle fait place à la colère, c'est quand je constate que dans la garde à vue des personnes soupçonnées d'infraction de terrorisme, qui désormais pourra atteindre six jours, l'intervention de l'avocat reste repoussée à la 72e heure et à la 120e heure (soit au bout de trois et 5 jours). Le droit commun veut que le moindre voleur comme le pire des assassins ou des violeurs ait droit à un avocat dès la première heure, dès la première minute de la garde à vue.
Mais qu'une personne soit soupçonnée, simplement soupçonnée d'être un terroriste, et l'Etat de droit cesse. Pas d'avocat pour l'informer de sa situation, de ses droits, de ce qui va se passer ensuite. Pourquoi cette hostilité, car il n'y a pas d'autres mots, vis à vis de l'avocat ? Il n'y a pas 36 explications, il n'y en a que deux :
Soit l'avocat est soupçonné d'être le complice du terroriste, de sortir des informations et d'alerter les autres membres du réseau. L'adoption récente d'un célèbre article 434-7-2 du Code pénal va dans ce sens. Alors ne soyons pas Tartuffe, assumons jusqu'au bout : interdisons l'avocat en garde à vue, et dans le reste de la procédure aussi (car il a accès au dossier, il a le nom, l'adresse et le numéro de portable de tous les témoins entendus, sauf ceux anonymisés des "repentis", et il peut aller voir le terroriste en prison, vous vous rendez compte ?). Pas de liberté pour les ennemis de la liberté.
Soit le but est d'utiliser la bonne vieille technique du FUD : Fear, Uncertainty and Doubt, Peur Incertitude et Doute. Isolé, coupé du monde (il n'a même plus sa montre), dans un milieu hostile, privé de sommeil (ne croyez pas qu'on dorme bien menotté à un banc ou allongé sur une couche en béton nu), on espère faire craquer le gardé à vue. Or l'avocat est un visage ami, qui donne l'heure, dit où se trouve physiquement le gardé à vue et lui dégage l'horizon en lui indiquant ce qui va se passer dans les heures qui suivent. L'incertitude et le doute disparaissent. Ce traitement infligé à un candidat au suicide explosif vous indiffère ? Je comprends. Moi même, je ne me sens pas envahi de chagrin. Mais savez vous combien de personnes sont mises en garde à vue dans des enquêtes de terrorisme par rapport à celles qui seront finalement mises en examen ? Combien de personnes n'ayant rien à voir avec le terrorisme paieront leur amitié douteuse ou leur foi exacerbée (voire leur origine un peu trop basanée) d'un séjour dans les geôles de la République dans de telles conditions ? La torture psychologique d'innocents, car trois jours d'isolement sont une forme de torture, dans le sens de souffrance infligée pour briser la résistance d'une personne, est-elle le prix à payer pour notre sécurité ? Pour le législateur, la question ne se pose même pas.
Colère d'être traité ouvertement en ennemi dans la procédure quand je suis auxiliaire de justice, de traître potentiel quand j'ai prêté serment de probité. Colère de voir la représentation nationale tenir des raisonnements de comptoir sur ma profession.
Et tout ça pour quoi ? Qui peut feindre de croire qu'une loi, aussi policière et répressive soit-elle, nous mettra à l'abri du risque terroriste ?
Ha, oui, bien sûr. Un parlementaire.
Commentaires
1. Le vendredi 25 novembre 2005 à 18:22 par Droit administratif
2. Le vendredi 25 novembre 2005 à 18:33 par Gascogne
3. Le vendredi 25 novembre 2005 à 19:05 par Merlin
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5. Le vendredi 25 novembre 2005 à 19:49 par Patricia
6. Le vendredi 25 novembre 2005 à 20:02 par Droit administratif
7. Le vendredi 25 novembre 2005 à 20:05 par Droit administratif
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