Le concours de la Conférence
Par Eolas le jeudi 13 octobre 2005 à 19:29 :: General :: Lien permanent
Voilà un thème que je m'étais promis d'aborder il y a longtemps. La proximité du troisième tour me fournit la circonstance idéale.
Il est dans notre Barreau une tradition, reprise dans beaucoup de barreaux de province, celle de la Conférence du Stage.
L'intitulé est assez abscon, et quand vous saurez qu'en plus les lauréats portent tous le titre de secrétaire (même le trésorier), vous commencerez à comprendre qu'il y a dans ce vocabulaire pompeux qui ne veut rien dire un hommage à l'art que cette conférence a pour vocation de promouvoir et entretenir : la rhétorique verbale.
En fait, ces termes ont une raison historique.
Certes, on y parle beaucoup, mais là n'est pas l'origine du mot "conférence". Sous l'ancien régime, les avocats tenaient des réunions professionnelles appelées conférences. Elles s'appelaient toutes ainsi quand bien même leurs fonctions étaient différentes. Les conférences disciplinaires étaient les ancêtres des réunions du Conseil de l'Ordre, organe régulateur et sanctionnateur. Les conférences de doctrine étaient ce que nous appelons aujourd'hui la formation continue.
Ce sont les conférences d'études qui ont donné naissance à l'actuelle Conférence du stage. Ces réunions étaient organisées par les jeunes avocats pour débattre ensemble des questions de droit, au titre de leur formation générale. Ces conférences prenaient notamment la forme de procès simulés, ce qui remplissait un double rôle : former le jeune avocat à l'art de la plaidoirie, et étudier des dossiers réels soumis aux conférences de charité (ancêtre de l'aide juridictionnelle sauf qu'à l'époque, l'avocat plaidait gratuitement) afin de voir si la cause était suffisamment juste pour mériter d'être défendue pro bono (expression latine signifiant "pour le bien", le terme gratuit étant considéré comme obscène chez les avocats).
Je ne doute pas que dès cette époque mes jeunes confrères avaient déjà un esprit dissipé et que la fantaisie devait déjà être fort présente, quoiqu'encore officieuse.
Au XIXe siècle, l'organisation de ces conférences, devenues obligatoires, sera confiée à des jeunes avocats permanents, portant le titre de secrétaires (puisque l'essentiel de leur travail sera de la rédaction sous la direction du Bâtonnier) de la Conférence (les autres conférences ayant disparu sous leur forme ancienne).
Leur nombre est fixé à douze en 1835, et la durée de leurs fonctions limitée à un an en 1844.
En 1852, le concours de la conférence est institué pour désigner les douze secrétaires de l'année suivante. Au fil du temps, à Paris, les secrétaires vont s'accaparer ce concours dont ils décident qui sont les lauréats, le Conseil de l'Ordre ne faisant qu'entériner leur décision (ce n'est pas le cas pour les conférences du stage des autres barreaux, où les secrétaires sont moins nombreux, généralement deux ou trois). Cela s'accompagnera d'un glissement de sujets strictement juridiques vers des sujets plus absurdes, ce d'autant que la profession d'avocat va être soumise à une condition de diplôme qui assure que tous les porteurs de robe sont des techniciens du droit.
Enfin, la période de formation qui débute l'exercice de la profession s'appelle "le stage". la Conférence s'adressant à ceux-ci, c'est naturellement qu'elle a pris le nom de Conférence du Stage.
Ce concours existe encore aujourd'hui.
NB : ce qui suit n'est valable que pour le Barreau de Paris.
Il se déroule sur trois tours.
Le premier tour se décompose en 24 séances, étalées de janvier à juin. Chaque secrétaire en organise donc deux. Il se tient chaque lundi à 19h30, salle haute, dite Salle de la Conférence, bibliothèque de l'ordre, au palais de justice. L'entrée est libre, et ouverte à tous (j'insiste sur ces termes).
Chaque séance est présidée par le Bâtonnier ou un avocat qui le représente, et reçoit un invité auquel les deux sujets de la séance rendent hommage.
Par exemple, Véronique Vasseur, ex médecin-chef de la prison de la Santé, a-t-elle inspiré le sujet suivant : "le travail, est-ce la Santé ?", ou Monseigneur Vingt-Trois, archevêque de Paris, a-t-il donné lieu à "Sommes nous tous des numéros ?"
Les sujets sont publiés quinze jours à l'avance. Les candidats passent dans l'ordre des sujets, l'affirmative d'abord suivi de la négative.
Chaque candidat est applaudi, parfois par courtoisie, d'autres fois par enthousiasme. Jamais les discours ne sont commentés ou corrigés.
Une fois tous les candidats passés, le secrétaire organisateur de la séance lit à son tour un discours, intitulé "rapport", qui est un mélange des deux sujets.
Puis la parole est donnée à l'invité pour quelques mots, qui peuvent parfois être de véritables discours en eux même (je me souviens d'une séance où l'invité était Jean-Yves Montfort, président de la 17e chambre du tribunal, récemment muté à la cour d'appel de Versailles, qui fut une merveille d'esprit et d'humour).
Enfin, les secrétaires font des annonces liées à la vie de la conférence (prochains sujets, dates de Berryer, sujets de petite conférence - j'explique plus bas ce que c'est).
La séance est levée, les secrétaires vont tous remercier les candidats individuellement, peu important la qualité de leur discours, et se retirent ensuite entre eux pour délibérer.
Le second tour a lieu fin septembre, se tient sur trois jours et oppose les 36 meilleurs candidats du premier tour.
C'est un tour d'improvisation : le sujet est imposé aux candidats, de même que la position qu'ils soutiennent, et leur est communiqué cinq heures avant l'épreuve. Les sujets de cette année sont sur cette page. Chaque sujet est donc traité une seule fois, une fois par l'affirmative, une fois par la négative. A l'issue, douze candidats sont éliminés.
Le troisième tour a lieu fin octobre (cette année, ce sera les 17,18 et 19 octobre, à 19h30 sauf le 19 à 18 heures). Il oppose les 24 candidats restants, qui reçoivent leur sujet, tout aussi imposé, cinq jours avant. C'est un concours de très grande qualité, puisque ce sont les meilleurs qui restent (sur les 120-150 candidats qui s'affrontent au premier tout). N'hésitez pas à y aller.
Les secrétaires se retirent ensuite pour délibérer, traditionnellement dans un palace à l'étranger, ces lieux étant notoirement propices à la réflexion. C'est généralement là que les amitiés se brisent, les débats pour savoir qui sera lauréat pouvant être houleux et passionnés.
La liste est ensuite publiée, chaque secrétaire ayant un ordre qui définira ses fonctions dans la nouvelle promotion. Il ne s'agit pas de l'ordre d'arrivée, chaque secrétaire cooptant son successeur parmi les lauréats, et pas dans l'ordre arithmétique.
Premier secrétaire : primus inter pares, c'est généralement le candidat le plus brillant qui est nommé à ce poste. Il est chargé de représenter la Conférence auprès du Bâtonnier de l'Ordre, des différentes autorités et des représentations d'avocats françaises et étrangères. Il prononce un discours faisant l'éloge d'un avocat, lors de la rentrée solennelle de la Conférence du Stage et du Barreau de Paris, en novembre.
Deuxième secrétaire : C'est le bras droit du Premier dans sa mission de représentation à l'étranger, le deuxième Secrétaire est aussi le "Fou du Roi", le plus fantasque des secrétaires. Il prononce aussi un discours lors de la Rentrée de la Conférence sur un grand procès.
Troisième secrétaire : Il est chargé des relations avec la presse et les magistrats. C'est lui qui ouvre le concours en organisant la première séance du premier tour.
Quatrième secrétaire : il est chargé de l'organisation des conférences Berryer, que mes lecteurs connaissent bien. Théoriquement, il y en a une par mois, chaque secrétaire devant subir cette épreuve au moins une fois (en pratique, c'est rarissime).
Cinquième secrétaire : Il est chargé des questions relatives à la défense des minorités.
Sixième secrétaire : En charge des relations avec les barreaux étrangers.
Septième secrétaire : Chargé des relations avec les Barreaux francophones. Il assiste donc le sixième, un dicton en vogue chez les septièmes dit d'ailleurs qu'il n'y a pas de bon sixième sans bon septième.
Huitième secrétaire : Il est responsable du site web de la Conférence et de l'organisation du colloque de la conférence, institution qui me paraît être tombée en désuétude.
Neuvième secrétaire : Il organise la Petite conférence, qui se tient à dates variables au sein de l'Ecole de Formation du Barreau pour les élèves avocat, qui leur fait passer des simulations du concours sur des sujets déjà tombés. Un retour aux sources, en somme. Il organise également le prix Taittinger, une joute oratoire opposant magistrats et avocats.
Dixième secrétaire : Il est en charge de la défense pénale, et notamment des permanences des secrétaires.
Onzième secrétaire : Gardien des traditions, il organise le concours de la Conférence.
Douzième secrétaire : C'est le trésorier de la Conférence et organisateur des sorties officielles et agapes officieuses de la Conférence.
- Bon, c'est bien beau, mais des secrétaires, à quoi ça sert ?
Les secrétaires de la conférence incarnent et représentent le jeune barreau (tous ont moins de 35 ans et moins de 5 ans de barreau). Ils sont principalement en charge de la défense pénale d'urgence et ont le monopole des désignations en matière criminelle, que ce soit pour les instructions ou les cours d'assises. Ils ont également le monopole des dossiers de comparution immédiate quand le prévenu a demandé un délai pour préparer sa défense et qu'aucun avocat n'a pu être désigné à temps.
De manière générale, quand un dossier épineux se présente, ça tombe sur eux.
Gérer ce sacerdoce quand on est un avocat collaborateur comme le sont tous les avocats débutants n'est pas une sinécure.
Régulièrement, des confrères grognent contre ce qu'ils présentent comme une coterie de privilégiés, chouchoutés par le Bâtonnier et trop coûteux pour le Barreau, ou une survivance obsolète d'un autre temps.
Je n'en suis pas, et je ne dis pas ça parce que certains me lisent assidûment. Je trouve heureux qu'une institution fasse la part belle à des jeunes avocats en les mettant ainsi en avant en en faisant des représentants officiels du Barreau. Leur rôle dans la défense pénale est irremplaçable, et nécessite l'énergie et la disponibilité de la jeunesse.
Et ce concours d'éloquence donne lieu à des moments de grâce qui sont des perles dans ce superbe écrin qu'est le palais.
N'hésitez pas à aller applaudir les candidats du troisième tour. Vous assisterez à un beau moment, dans un lieu superbe. Et vous comprendrez sans doute la valeur de la Conférence.
Pour une histoire détaillée de la Conférence, cliquez ici.
PS : A la question « Suis-je moi même secrétaire ou ancien secrétaire de la Conférence ? », j'opposerai un silence mystérieux et inébranlable, n'insistez pas.
Commentaires
1. Le jeudi 13 octobre 2005 à 21:55 par anthony
2. Le jeudi 13 octobre 2005 à 22:44 par fb
3. Le jeudi 13 octobre 2005 à 22:53 par fb
4. Le vendredi 14 octobre 2005 à 09:00 par forgeron
5. Le vendredi 14 octobre 2005 à 09:39 par Benoit Boussier
6. Le vendredi 14 octobre 2005 à 10:04 par Eev
7. Le vendredi 14 octobre 2005 à 10:16 par -
8. Le vendredi 14 octobre 2005 à 10:25 par Alain
9. Le vendredi 14 octobre 2005 à 10:57 par Bertrand Lemaire
10. Le vendredi 14 octobre 2005 à 11:50 par Esther
11. Le vendredi 14 octobre 2005 à 12:29 par -
12. Le vendredi 14 octobre 2005 à 12:58 par EeV
13. Le vendredi 14 octobre 2005 à 13:23 par -
14. Le vendredi 14 octobre 2005 à 22:47 par @rno
15. Le lundi 17 octobre 2005 à 00:36 par Raboliot
16. Le lundi 17 octobre 2005 à 11:28 par advocatus
17. Le lundi 17 octobre 2005 à 14:31 par Gascogne
18. Le lundi 17 octobre 2005 à 14:46 par ML
19. Le lundi 17 octobre 2005 à 14:54 par cedric
20. Le lundi 17 octobre 2005 à 17:15 par carpediem
21. Le lundi 17 octobre 2005 à 17:43 par caroline vigneaux
22. Le mardi 18 octobre 2005 à 14:31 par Antoine Viau
23. Le mardi 18 octobre 2005 à 15:33 par Stfunx
24. Le mardi 18 octobre 2005 à 23:06 par Jé